Guerre en RDC: A la tête de l'Union africaine, les Comores ne feront pas mieux que leurs prédécesseurs

Azali Assoumani et Félix Tshisekedi
Azali Assoumani et Félix Tshisekedi

Que pourraient réellement faire l'Union des Comores une fois investie à la tête de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l'Union africaine pour "aider" la République démocratique du Congo de se tirer au mieux de la spirale de conflits armés dans sa partie orientale? Pour y répondre rigoureusement, il sied avant tout de rappeler le pouvoir du Président de cet organe de l'organisation panafricaine, de donner quelques indications des Comores, de rappeler la complexité du problème sécuritaire dans l'Est de la RDC.

1. Pouvoir du Président de la Conférence de l'UA

La présidence de cette organisation n'est pas un organe en tant que tel créé par sa charte constitutive. C'est plutôt une institution établie de facto et incarnée par une personnalité politique particulière du continent, à savoir: un chef d'Etat. C'est la qualité du leadership du Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l'Union africaine qui formate et détermine la portée de sa fonction, au-déla des considérations symboliques liées aux cérémoniales et procédures prévues dans le Règlement intérieur de ladite organisation. 

Dès lors, il convient de relativiser le pouvoir du Président de l'UA dans la gestion et la résolution des problèmes du continent, d'autant plus que son mandat n'est que d'une année non renouvelable. Il lui serait plus aisé d'impulser des réflexions stratégiques surtout sur des sujets techniques, comme la réforme institutionnelle et l'autonomisation de l'organisation panafricaine, que de prendre, en solo, des initiatives politico-diplomatiques sur, notamment, des sujets opposant des Etats membres. Sur cette dernière question, le Président, qui est tenu d'agir dans un cadre non pas isolé mais plutôt soumis aux dispositifs institutionnels et normatifs existants pour assurer la continuité de l'action de l'organisation, est tenu de mettre à contribution les autres organes, notamment le Président de la Commission. Celui-ci est l'expression de la permanence fonctionnelle de cette organisation intergouvernementale. Face à des conflits à impact régional, le Président de la Conférence est dans un rôle de diplomatie préventive consistant à éviter l'éclatement d'un conflit ouvert ou de créer les conditions de médiation pour en assurer la résolution. Ceci pourrait expliquer la désignation du Président angolais pour tenter de rappprocher Kinshasa et Kigali.

Si le rôle du Président de la Conférence de l'UA était matériellement significatif, le Chef de l'État de la RDC, qui a pris la tête de cette organisation en 2021, aurait très vite imposé la paix dans l'Est de son propre pays. A l'observation, le Président Félix Tshisekedi n'avait jadis pas pris d'initiatives spécifiques de résolution des problèmes sécuritaires dans la partie orientale du Congo démocratique. 

2. Faible puissance des Comores

Il s'agit d'un Etat fragile ainsi inscrit sur la liste de l'OCDE. L'archipel des Comores est régulièrement confronté à des catastrophes naturelles et des épidémies, attestant une faible capacité d'autonomie d'actions du gouvernement comorien. Les secteurs de l’agriculture et de la biodiversité sont les plus vulnérables.

Entre-temps, le pays peine à ancrer sa stabilité politique. Ancien chef d’état-major de l’armée comorienne, Azali Assoumani, actuel Président des Comores et futur Président de la Conférence de l'Union africaine, est un vieux singe en rupture de banc avec l'idéalisme. Auteur d'un coup d'Etat en 1999, quand il en parle, il avoue : "J’ai dit une chose et j’ai fait le contraire (...)", a-t-il confié à Jeune Afrique le 05 août 2022. 

Rangé, par l'Union africaine, sur la liste des pays de l'Afrique orientale, cet archipel comprend notamment des peuples sociologiquement proches d'autres Etats de cette aire africaine, tels que ceux du Kenya, de l'Ouganda, etc. Il est possible que l'offre stratégique du Président Félix Tshisekedi ait, à sa récente visite aux Comores, persuadé son homologue comorien de se passer des considérations sociologiques qui pourraient susciter dans son chef une perception de l'instabilité dans l'Est de la RDC que semblent partager les autres pays de la Communauté d'Afrique de l'Est. Au tout dernier sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de Gouvernement de l'EAC à Bujumbura, il y aurait eu un front contre le Président congolais. Ce, eu égard à la Déclaration finale de ces assises, remise en cause, un jour après, par Kinshasa au travers d'un communiqué officiel. 

3. Complexité du problème sécuritaire de l'Est

Il est imprudent de ne pas considérer, à l'analyse, la complexité à la base de la persistance des cycles de violences armées dans la façade orientale du pays. Il est vrai que le Rwanda en constitue un problème. Il est également vrai que si le Rwanda pille les ressources exportables de la RDC, il les achemine par les ports de Mombassa au Kenya et de Dar-es-Salaam en Tanzanie, faisant ainsi de ces derniers pays parties au problème. Donner l'impression de ne pas considérer assez les Multinationales dont bon nombre seraient issues du monde occidental, fait biaiser l'analyse. Ne pas reconnaitre les problèmes de gouvernance qu'accuse l'Etat congolais donnant lieu à la composition, la décomposition, la récomposition ainsi que la multiplicité des groupes armés locaux, du reste en interconnexion avec les groupes armés étrangers, détourne l'attention d'une bonne part de la solution. 

De tout ce qui précède, que pourraient faire les Comores pour promouvoir une solution durable à l'insécurité dans l'Est du pays?

4. Ma réponse

Je soutiens que la rigueur dans l'analyse prospective aurait disposé le Président Félix Tshisekedi de ne faire la publicité de sa récente visite aux Comores. Sans sous-estimer le rôle que pourrait jouer ce pays, l'action diplomatique à y mener devrait s'inscrire essentiellement loin des médias, dans le secret.  Car, il ne suffit pas de dire urbi et orbi "mon espoir (...) de voir mon aîné ici puisse aussi aider à ramener la paix (...)". Encore faut-il s'en rassurer préalablement grâce à des études sérieuses des spécialistes des services compétents. 

La faible attraction du leadership des Comores ne lui confère pas une marge importante de s'investir plus que ses prédécesseurs pour une solution significative au problème sécuritaire dans l'Est du Congo démocratique. Repensons notre action diplomatique dans la gestion du problème sécuritaire dans l'Est. Il ne suffit de parler haut et fort pour convaincre les partenaires sur la scène africaine et au-déla. 

Lembisa Tini (Ph.D)