Rénovation des Universités en RDC : l’argent de la taxe RAM est-il détourné?

Le dossier de la rédaction
Le dossier de la rédaction

La cour des comptes a ouvert une enquête sur le dossier relatif à la rénovation de plusieurs universités du pays. Officiellement sur base de l’argent collecté avec la taxe RAM, près de 120 millions de dollars sont en train d’être investis par le gouvernement. ACTUALITE.CD a découvert qu’un même groupe  d’hommes d’affaires est le principal bénéficiaire de ces marchés, pourtant attribués par des appels d’offres. 

Officiellement, ce sont deux consortiums distincts qui ont remporté en répondant à des appels d’offres restreints lancés par Muhindo Nzangi, ministre de l’enseignement supérieur et universitaire (ESU) les marchés de rénovations des universités. Mais ACTUALITE.CD a découvert qu’ils étaient étrangement liés.

Le premier consortium est composé de trois entreprises -Building Blocks Sarl, ZS Africa Solutions Sarl et Société Probuild Sarl – et a gagné pour près de 72 millions USD de marchés publics pour des travaux à l’UPN, l’INBTP et l’Université de Bunia. Le deuxième est aussi composé de trois entreprises - ONE Builders Sarl, SRP Construction Sarl et Xin Wha Sarlu. Ce second consortium a lui obtenu pour près de 48 millions USD d’argent public pour l’exécution de travaux à l’Université Officielle de Mbuji-Mayi et l’Université de Kananga. Tous ces projets sont financés par la controversée taxe RAM dont la perception a été suspendue le 20 février 2022 après des mois de protestation populaire. 

Mais ces deux consortiums ont un point commun caché : Jérôme Stanislas J. Spaey. Le 1 novembre 2019, cet homme d’affaires belge a créé une société 5C Energy qui moins d’un an plus tard va collecter la taxe RAM pour le compte de l’ARPTC. En octobre 2021, le gouvernement avait annoncé que plus de 25 millions avaient été collectés. L’ODEP évoquait déjà le chiffre de plus 266 millions, dont près de 40% ne figureraient pas  dans les budgets 2021 et 2022. Plusieurs sources confirment en tout cas que sur tous ces millions collectés, 5C Energy en conservait plus d’un tiers.

Bien qu’inconnu du grand public, Jérôme Stanislas J. Spaey est présent dans l’actionnariat de plusieurs sociétés. On le retrouve notamment comme directeur général d’une société en France appelée Stofan.  Son président s’appelle Philips Sixte. Etrangement, il est le fondateur et principal actionnaire de SRP Construction, l’une des entreprises chargées de la rénovation des universités de Mbuji-Mayi et de Kananga. Cette entreprise a été opportunément créée le 7 septembre 2021, moins de six mois avant le début de l’appel d’offres restreint. Mais ce n’est pas la seule coïncidence suspecte.

Le nom de Jérôme Stanislas J. Spaey apparaît aussi dans l’organigramme de WOREX-EU, une entreprise de construction basée en Slovaquie. Parmi ses associés figure un certain Shmaya Shapiro. Cet Israélien est l’un des co-fondateurs de la société ZS Africa qui a officiellement remporté avec son consortium l’appel d’offres restreints sur les travaux à l’UPN, l’INBTP et l’Université de Bunia. ZS Africa a elle été créée le 10 mars 2021.

La cour des comptes a ouvert une enquête pour tenter d’y voir clair après le scandale provoqué par les propos d’Isabelle Kibassa, belle-sœur du président Tshisekedi et membre de l’ARPTC. Lors d’une visite sur le chantier de Mbuji-Mayi, cette dernière s’était inquiétée de ne pas voir dans l’avancée de travaux les millions investis. Le ministre Muhindo Nzangi avait répliqué en assurant que ce retard n’était dû qu'à des problèmes d’approvisionnement.

Dans son communiqué daté du 6 janvier, le Procureur général près la Cour des comptes, M. Tudieshe, a annoncé l'ouverture "des investigations" non seulement pour Mbuji-Mayi mais aussi  pour les travaux de construction et de réhabilitation des universités de Mbuji-Mayi, de Kananga, de Bunia, de l'UPN ainsi que de l'INBTP (Institut National du bâtiment et des travaux publics) de Kinshasa. Il dit l’avoir fait sur base des informations portées à sa "connaissance" par les Congolais, sans en préciser le contenu.

Cela ne semble pas inquiéter le ministre de l’ESU Muhindo Nzangi. “C'est un travail de routine qui doit être fait chaque fois qu'il y a des dossiers des marchés publics. Elle va donner son rapport à l'Assemblée nationale qui va faire des vérifications. Ce qui est normal », a dit Muhindo Nzangi au cours du briefing presse du ministère de la Communication et médias ce 11 janvier.

Combien 5C Energy a-t-elle touché sur l’argent de la RAM et ce montant est-il justifié ? Sur les près de 120 millions de millions de dollars déboursés pour rénover les Universités du pays, combien vont être finalement touchés par les associés de Jérôme Stanislas J. Spaey? Est-ce que ces fonds sont bien utilisés pour faire les travaux commandités par l’Etat congolais? Comment expliquer qu’un même réseau d’affaires remporte tous les appels d’offres relatifs à la taxe RAM? Autant de questions auxquelles la cour des comptes devra répondre.

D’autres éléments pourraient inquiéter ce gendarme des finances publiques. La société Probuild Sarl, membre du consortium chargé des travaux à Kinshasa et à Bunia, avait déjà été soupçonné en 2020 par le parquet général de Matete avec neuf autres entreprises de détournements de deniers publics dans le cadre des enquêtes sur la gestion et l’exécution des travaux du programme d’urgence des 100 premiers jours du chef de l’État. Mais il n’y avait eu aucune suite.

Les hommes d’affaires indiens Sajid et Rahim Dhrolia, actionnaires de la société A One Builders, membre du consortium chargé des travaux de rénovation dans les universités de l’espace Kasaï, étaient eux cités pour des soupçons de blanchiment d’argent par l’enquête Congo Hold-up. Ils avaient tout démenti en bloc.

Jordan Mayenikini et Sonia Rolley