Au mois de décembre, l’Université de Kinshasa (UNIKIN) a honoré des membres de sa communauté. Professeure ordinaire à la faculté de médecine, Berthe Zinga Ilunga a reçu le prix Sophie Kanza récompensant son rôle dans la défense de l’égalité du genre. Dans un entretien accordé au Desk femme d'Actualité.cd, elle revient sur son parcours et dresse un bilan de l’enseignement universitaire au Congo.
Bonjour Professeure Berthe Zinga. Merci de nous accorder cette interview. Vous venez de recevoir le prix du dynamisme chercheur à l'Université de Kinshasa. Que représente pour vous cette reconnaissance ?
Berthe Zinga : Depuis que j’ai abordé l’assistanat académique en 1983, je suis resté fidèle aux missions d’enseignement, de recherches et de service à la société. Je sors d’une période d’intenses activités liées aux travaux de fin d’études des futurs médecins et d’une retraite en résidence bloquée à Bibwa, des membres du Cercle Sophie Kanza, l’Association des Femmes Professeures d’Université en RDC, destinée à la révision des statuts et à l’actualisation du plan d’action. Je suis heureuse de constater que notre action pour l’équité du genre, considérée comme l’un des critères de crédibilité de toute action du développement, est prise en compte par les autorités académiques que je remercie par ailleurs.
Quelles sont les missions de l'Association des Femmes Professeures d’Université en RDC et du Cercle Sophie Kanza?
Berthe Zinga : l’Association des femmes professeures d’Université en RDC est une organisation de la société civile, qui procède du courant international manifesté autour de la question du genre. Les femmes professeures d’université en RDC, sensibles aux attentes qu’elles ont suscitées auprès de toutes les autres femmes qui les considèrent comme les dépositaires de leurs espoirs, ont induit des contacts qui ont permis une identification aisée des convergences et des solidarités. Cela a donné lieu à la naissance en 2010 du Cercle Sophie Kanza (CSK), nom de la première congolaise diplômée d’université, pionnière de la parité homme femme.
Le CSK entend prendre activement part à la promotion de l’équité du genre, à l’amélioration du savoir des femmes dans le domaine de la science et de la technologie, et à la participation des femmes professeures au renforcement de la capacité contributive des femmes (de tous les horizons) au développement national. Nous avons organisé plusieurs activités scientifiques et à ce jour, nous collaborons notamment avec la Fondation Denise Nyakeru Tshisekedi pour l’accès aux institutions universitaires internationales des jeunes femmes assistantes académiques, en vue de parachever leur cursus, ainsi que l’établissement du mentorat pour jeunes filles aux seins d’établissements de l’Enseignement Supérieur et Universitaire (ESU).
Que représente le « prix de dynamisme chercheur »?
Berthe Zinga : nous avons réalisé une série d’activités depuis notre arrivée à l’UNIKIN. Avec le nouveau comité de gestion, nous avons par exemple organisé une activité sur le mentorat de la jeune fille, sur les droits de l’étudiante, sur le réchauffement climatique avec le ministère du genre. Il y a plus de 3500 professeurs en RDC, mais les femmes ne représentent que moins de 10% (202 femmes professeures). Pour cela, nous organisons le mentorat en faveur de la jeune fille étudiante pour que nous puissions repérer celles que nous pouvons encadrer pour qu’elles puissent répondre aux critères, notamment celui de distinguer au moins une fois au premier et deuxième cycle. Ensuite, elles seront encadrées en tant qu’assistantes.
Vous êtes aussi la première femme professeure agrégée de médecine en RDC et ancienne autorité académique au sein du comité de gestion de l’UNIKIN, entre 2005 et 2009. Quel est votre avis sur le redressement de l’Université congolaise ?
Berthe Zinga : la descente aux enfers de l’ESU, ainsi que l’avait bien identifié, dans une note pertinente un professeur émérite, date du début des années 80 suite à la disparition progressive des budgets de la recherche, des publications, du fonctionnement et de l’investissement. Depuis lors, des exercices louables, sous diverses terminologies, ont produit des recommandations et même fixé des objectifs. La question à laquelle il convient de répondre est la suivante : pourquoi depuis des années, ces objectifs sont demeurés relativement hors d’atteinte, laissant prospérer les maux qui gangrènent notre secteur ?
Au-delà de l’ESU, j’observe que nous appréhendons ces questions dans une sorte de confusion entre les objectifs et les moyens. Ainsi, nous fixons des objectifs et oublions de résoudre correctement la question sous-jacente : qui va payer ? Le défaut d’aboutissement des ambitions constamment exprimées est en grande partie imputable à l’insuffisance de financement. Il me paraît impératif de mettre prioritairement le curseur sur cette question. Sinon on continuera à tourner en rond, à se réunir pour traiter des questions de véhicules, de grève… à multiplier filières et vacations pour pouvoir faire vivre le personnel etc… des solutions de débrouillage qui ont eu un impact quasiment nul sur le redressement du secteur.
Que faire ?
Berthe Zinga : dans le cadre d’un groupe technique de travail que j’ai mis en place depuis un peu plus d’une année, nous avons élaboré des propositions réalistes et réalisables qui tiennent compte de l’impossibilité de relever sensiblement le niveau de minerval d’étudiants, des contraintes budgétaires de l’Etat et du cadrage macro-économique du pays. Fruits de notre expérience et de notre pratique des rouages financiers et budgétaires de l’Etat dans nos diverses responsabilités, ces propositions qui ont été évaluées par certains hauts cadres du ministère des finances quant à leur faisabilité, seront soumises très prochainement aux autorités compétentes. L’objectif étant le redressement progressif de l’ESU en renouant avec les budgets de la recherche, des publications, du fonctionnement et de l’investissement.
Pendant une dizaine d'années, vous avez été responsable de la Commission Nationale pour les réfugiés. Est-ce selon vous un phénomène récurrent en RDC ?
Berthe Zinga : le problème des réfugiés est fondamental pour notre pays, car tout ce qui se vit actuellement à l’Est en termes de conflits, guerres, avec leurs cohortes de morts, des déplacés internes etc. trouve son origine dans le réfugié, c’est-à-dire la demande de la communauté internationale d’ouvrir un corridor pour laisser entrer les ressortissants rwandais, y compris les hommes armés, qui fuyaient les évènements survenus dans leur pays en 1994.
En fait nos rapports avec les neuf pays limitrophes ont un dénominateur commun : réfugiés, déplacements forcés. Pendant une dizaine d’année, j’ai parcouru la RDC et voyagé dans quasiment tous les pays limitrophes, J’ai vécu les processus d’emballement de la violence, je connais la géographie humaine et physique des espaces nationaux concernés par les déplacements forcés, la complexité et l’extrême sensibilité des situations ainsi que les enjeux.
Pouvez-vous relever un fait ayant marqué votre passage à la Commission Nationale pour les Réfugiés ?
Berthe Zinga : je garde le souvenir de la participation dans l’organisation et la mise en œuvre du rapatriement de 133.000 compatriotes « Enyele » réfugiés dans la province de Likouala au Congo-Brazzaville, opération de référence mondiale, qui m’avait d’ailleurs valu les félicitations de M. Antonio Guterres. Il fallait ensuite poursuivre avec le ministère de l’intérieur, dans une atmosphère de tensions, l’élaboration du plan de réconciliation des communautés hostiles et la mise en œuvre du processus de médiation en vue de la paix. Un pacte de réconciliation a été signé en marge du forum de réconciliation sous la direction du Ministre de l’Intérieur et d’un commissaire de district. Le climat de paix s’y est durablement installé.
Il y a aussi les enjeux de la clause de cessation du statut de réfugié rwandais, sollicitée et obtenue par le Rwanda de la communauté internationale. La position de la RDC qui n’entendait pas invoquer cette clause a été par nos soins, intensément défendue aux cours des rencontres internationales à Kigali, Johannesburg, Genève, New-York... C’était à la fois délicat, éprouvant, passionnant et gratifiant.
Peut-on alors considérer que la médecine mène finalement à tout ?
Berthe Zinga : disons plutôt qu’à la base de mon engagement, il y a un souci pour autrui et un véritable intérêt pour les problèmes de la société. Et aussi, un penchant pour le travail d’équipe. C’est ainsi qu’au Secrétariat Général de l’UNIKIN j’ai pu bénéficier de l’accompagnement d’un personnel administratif chargé d’expériences et de compétences et à la Commission Nationale pour les Réfugiés, je me suis insufflée une vraie passion pour un principe imaginé depuis des millénaires par l’homme dans sa sagesse et considéré d’ailleurs comme l’une des premières marques de civilisation : l’octroi d’un asile aux personnes déplacées par les conflits et les persécutions.
Un dernier mot ?
Berthe Zinga : s’agissant de l’UNIKIN, en tant que présidente du Cercle Sophie Kanza, lauréate d’un prix lié à l’équité du genre, j’observe avec regret l’absence de femme parmi les cinq membres du comité de gestion, contrairement à une tradition en vigueur depuis des années. Qu’il soit en outre permis à la secrétaire générale administrative honoraire de l’UNIKIN de rappeler que les dispositions légales actuelles sont formelles : le poste d’administrateur de budget revient à un haut cadre directeur de l’administration. Enfin, en ce début d’année, la professeure, actrice humanitaire et membre de la société civile, rêve d’une RDC, dans un monde sans conflits, sans guerre et par conséquent sans réfugié.
Propos recueillis par Prisca Lokale