REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
ASSEMBLEE NATIONALE
3ème Législature de la 3ème République
Honorable SEGIHOBE BIGIRA Jean-Paul
DEPUTE NATIONAL ELU DE RUTSHURU
Tel : +243 823 445 702
E-mail : jpsegihobe@gmail.com
Palais du Peuple/Kinshasa-Lingwala
Kinshasa, le 11/04/2022
N/Réf : 51/JPS/AN/2022
Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Michel SAMA LUKONDE KYENGE
Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Hôtel du Gouvernement à Kinshasa/Gombe
Objet : Que fait Kinshasa pour nous faire sortir de cette tragédie ?
Monsieur le Premier Ministre,
Quel drame pour Rutshuru que cet abominable mouvement se réclamant d’un certain 23 mars ! Une tourbe malfaisante des êtres humains sanguinaires ayant choisi, bon gré mal gré, le crime- souvent le plus innommable- comme mode opératoire a repris du service à partir de Runyoni et de Chanzu, localités situées à la lisière du Parc national des Virunga aux frontières avec le Rwanda et l’Ouganda, en Territoire de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu.
En plein état de siège, dans la nuit du 27 mars 2022 une nouvelle guerre vient d’être déclenchée. La République démocratique du Congo est à nouveau attaquée. La nation est frappée de stupeur, on dénonce des faits terribles, l’armée pointe l’auteur, le Gouvernement dément et recadre le porte-parole du Gouverneur militaire du Nord-Kivu. Qui est censé rapporter la vraie réalité du terrain ? Est-ce ceux qui vivent et meurent sous le feu de l’action des assauts ennemis ou ceux qui arrondissent les discours sous les coups de quelques attentions pudiques de diplomatie qui, du reste, ont montré leurs limites ? Ce camouflage couvre des trahisons vertigineuses qui indignent le Congolais lucide. Une souillure sur le visage de ce pays qui, visiblement, n’en finit pas avec le cycle du mal. Des morts, encore des morts, militaires comme civils, la débandade, des déplacements désordonnés des populations, des cris au secours, une catastrophe humanitaire ! Une éternité psychologique pleine d’angoisse !
Jours et nuits sont hantés par le spectre des personnes innocentes, réfugiées dans différents camps en Ouganda, qui expient sur cette terre étrangère, dans la plus affreuse des humiliations, un crime qu’elles n’ont jamais commis. « Qu’avons-nous fait pour être ici, loin de nos champs ? Que fait Kinshasa pour nous faire sortir de cette tragédie ? », me demandaient quelques hommes et femmes ayant fui Jomba que j’ai visités au camp de Nyakabande dans le District de Kisoro en Ouganda.
Les scènes d’inhumanité sont vécues par des personnes déplacées, forcées de quitter pour la énième fois leurs milieux de vie habituels, pour mener une vie sans vie, rythmée par un inconfort existentiel, les unes occupant des salles de classe dans des écoles du centre de Rutshuru ne pouvant plus fonctionner de ce fait, les autres perchées sur des collines de Rubavu, de Buroro, de Mungo, de Kabingo dans le Groupement Busanza loin du danger militaire mais exposées à celui de mourir par l’inanition, les autres encore blessées sans soins médicaux abandonnées dans les villages de Tshengerero, de Kabindi, de Rwanguba, de Ceya, passant la nuit à la belle étoile. Des odeurs nauséabondes des corps sans vie en putréfaction ne pouvant être dignement enterrés, devenant par la force des choses le repas piteux pour les rares chiens errant dans ces villages aux visages d’enfer. Une situation humanitaire dramatique en plus pour une population qui ne sait à quel saint se vouer. Avons-nous besoin d’aller loin et de fournir des efforts pour trouver des éléments du crime contre l’humanité ?
Ce n’est pas la première fois que ce genre de situation se produise. Il y a quelques semaines, les localités de Kanombe et de Nyesisi dans le Groupement de Gisigari, toujours dans le Rutshuru, ont été la cible des attaques du M23 provoquant des morts dans les rangs de nos forces armées, dont un officier et de nombreux civils. Certaines populations ayant fui ces contrées ne sont toujours pas revenues. L’on peut bien légitimement se demander si votre Gouvernement sait qu’il existe des déplacés qui nécessitent son assistance.
Monsieur le Premier Ministre,
Je voudrai vous dire haut ce que nombreux pensent bas : la présence du M23 à la frontière avec nos deux voisins n’est pas anodine. Elle participe à un plan savamment monté pour nous affaiblir. Des tueries et pillages des ressources naturelles du Congo programmés participent de cette cynique stratégie d’accaparement par terreur et dépossession. L’insécurité consécutive à des attaques de ce mouvement armé aux revendications saugrenues en plus des tracasseries et des kidnappings qui se font permanemment dans le Territoire de Rutshuru doivent nous interpeler. Finalement, que disent les accords avec notre Gouvernement que ce groupe armé invoquent à longueur des journées pour justifier les crimes qu’il commet sur la paisible population ? Nous voulons savoir ! Allons-nous régulièrement perdre des parents, des frères, des sœurs, des enfants, des militaires au front sans qu’on ne sache pourquoi ? Dites la vérité de ces fameux accords au peuple. Qu’est-ce qui se cache derrière cette rhétorique « des engagements non tenus par le Gouvernement de Kinshasa » ? L’histoire doit nous apprendre et Emile Zola nous a prévenus lorsqu’il disait que « quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle » (Emile Zola, « J’accuse », dans L’Aurore, 13 janvier 1898, repris par L’Obs, 12 juillet 2006).
On ne le dira jamais assez, le M23 est un arbre qui cache la forêt. En apparence d’unité, il a une identité multiple charriant plusieurs fidélités qui ont mis à jour leurs divisions internes. Aussi, l’assomption métèque de ses revendications ébouriffantes a-t-elle révélé deux branches, l’une ayant trouvé refuge en Ouganda qui s’en débarrassera plus tard, l’autre obtenant hospitalité au Rwanda. Malgré la dissension survenue au sein de ce groupe armé, les attaques de nos forces de défense et de sécurité n’ont pas cessé. Rien ne devrait aussi nous empêcher de penser à la rivalité de deux pays voisins dans cette partie lorsqu’on sait que des accords de coopération portant sur la construction et la modernisation des infrastructures routières d’intérêt commun entre notre pays et l’Ouganda ont fait grincer des dents du Rwanda qui craint la diminution du flux économique résultant du transit sur son territoire des marchandises à destination de la République démocratique du Congo. Aussi, la décision conjointe de mutualiser les forces de défense FARDC/UPF en vue de traquer les forces négatives et terroristes qui sèment la mort dans les Provinces de l’Ituri et du Nord Kivu pourrait-elle avoir nourri des frustrations de ce voisin éternel qui, en se trompant, pense éterniser l’insécurité sur notre territoire pour bien exister.
En même temps, nous devons interroger notre gouvernance, notre façon d’agir pour trouver notre part de responsabilité dans ce drame qui ne peut être totalement mis sur le dos des autres. Dans l’ordre des dates et des responsabilités, il y a bien des personnes haut placées en politique, dans l’armée et dans le monde maffieux des affaires dont la conscience a pu s’accommoder de beaucoup de choses. La traitrise de la nation vient également de ce milieu, au point qu’on peut véritablement douter du patriotisme de certains. De toute façon, lorsque notre pays sous-traite sa sécurité il nous revient franchement de travailler rapidement pour sortir de cette situation de fragilité qui impacte à coup sûr sur notre souveraineté.
Monsieur le Premier Ministre,
Je vous rappelle que la situation de danger permanent dans le Territoire de Rutshuru a vidé certaines localités de ses populations, entraînant ainsi un exode massif vers des camps des réfugiés en Ouganda. Les répercussions sur le plan social, économique et politique sont sans appel. En effet, la circonscription électorale de Rutshuru qui comptait 8 sièges des députés nationaux et provinciaux en 2011 a vu le nombre réduit à 7 pendant la législature actuelle perdant ainsi un siège à cause du vide créé par la fuite des populations qui cherchent à se mettre à l’abri de l’inconfort existentiel fabriqué par plusieurs forces négatives opérant impunément dans cette région.
Aujourd’hui, des milliers des Congolais vivent dans des camps des réfugiés en Ouganda. Lorsqu’on sait que des enfants, des femmes, des vieillards passent leur temps à compter les jours qui passent sans comprendre ce qui leur arrive et sans savoir ce qui les attend, il y a lieu de se révolter. Lorsqu’on sait que des hommes et des femmes disposant encore de force physique pour travailler sont enfermés dans des camps des réfugiés, devenant mendiants et ayant, par ce fait, perdu leur dignité, notre conscience collective doit être interpelée. Mes frères et sœurs ne cessent de me poser la question de savoir si le Gouvernement de Kinshasa sait qu’ils existent. Je voudrai vous transmettre ces cris de cœur de nos compatriotes qui pensent que la République les a abandonnés. C’est aussi l’occasion pour moi de savoir si réellement le Gouvernement de la République dispose d’un plan pour ramener ces réfugiés chez eux. Existe-t-il une tripartite entre notre Gouvernement avec le Gouvernement ougandais et le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés quant à la gestion de cette question ?
En rappelant les pages sombres du Territoire de Rutshuru de l’année 2022 en plus de celles autant que tragiques connues, l’histoire écrira que c’est sous la présidence d’Antoine-Félix Tshisekedi, avec vous comme Premier Ministre, au moment où Christophe Mboso N’Kodia Pwanga et Modeste Bahati Lukwebo étaient respectivement présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et moi-même Député national, qu’une telle tragédie a pu surgir. Le régime passé de Joseph Kabila a fait face à ces esprits de malfaisance sociale sans qu’une solution définitive ne soit apportée. Le changement annoncé par le régime actuel reste une réalité tout autant insaisissable que désirée.
La situation dramatique actuelle dans le Territoire de Rutshuru ne me donne pas de choix. Les souffrances atroces des populations de cette partie de la République amplifient ma passion, celle de la paix, pour les femmes et les hommes de Rutshuru qui ont tant souffert et qui ont droit au bonheur. Le coup de cœur et l’interpellation que je vous fais n’est que le cri de l’âme de l’enfant éternel de Rutshuru que je suis.
Je voudrai vous suggérer que vous preniez des mesures qui s’imposent pour finir cette guerre. Notre armée en est capable et la République dispose des hommes et des femmes capables de mener les fronts militaires et diplomatiques susceptibles de ramener la paix dans cette partie de notre pays. Aussi, vous prierai-je de prendre contact avec le gouvernement de l’Ouganda ainsi que le Haut-Commissariat pour les Nations unies aux fins de gérer de manière concertée la question des réfugiés congolais en Ouganda. Puisqu’il faut envisager le retour de ces derniers sur leur terre, votre Gouvernement doit prendre les mesures nécessaires pour que ces compatriotes réfugiés en Ouganda se sentent motivés à retourner chez eux. Par ailleurs, une assistance humanitaire urgente devra arriver à tous ces déplacés internes éparpillés dans le Territoire de Rutshuru. La prise en charge de ces déplacés sera un signal aux réfugiés que votre Gouvernement prend la mesure de leurs difficultés et votre discours tendant à leur demander de retourner au pays sera crédible.
Il est plus que temps d’agir, c’est le moment d’éviter le jugement du tribunal de l’histoire qui sera sans appel à votre égard si vous ne résolvez pas la question des populations de Rutshuru victimes de cette guerre injuste.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de mes sentiments patriotiques.
Honorable Jean-Paul SEGIHOBE BIGIRA
Député National élu de la Circonscription de Rutshuru/Nord-Kivu