RDC : « il y a des thématiques qui sont très difficiles à aborder, surtout lorsqu’il s’agit de la sexualité féminine » Kalista Sy

Photo/ Droits tiers
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Le feuilleton sénégalais « Maitresse d’un homme marié » lève le tabou sur les thématiques liées à la femme africaine. Diffusée sur la chaine A+, cette série télévisée a fait bouger les lignes. Retour sur ce phénomène qui a littéralement secoué le petit écran avec Kalista Sy, la réalisatrice de la série et invitée d'honneur de la cinquième édition du festival cinema au féminin (CINEF).

Bonjour Madame Kalista Sy et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Vous êtes scénariste et réalisatrice sénégalaise, on vous doit  la série « Maîtresse d’une homme marié ». D’où vous est venue l'idée de faire cette fiction?

Kalysta Sy : « Maîtresse d’une homme marié » est l’histoire de toutes les femmes du monde et des africaines en particulier. L’idée m’est venue de l'envie de raconter en tant que femme nos us et coutumes face à la modernité, face à la vie. C’est l’aventure des femmes sénégalaises qui ont la trentaine et qui font face à la société, à leurs vies et leurs choix. 

Le feuilleton aborde particulièrement les questions de polygamie, de la liberté sexuelle des femmes et des violences faites aux femmes. Pourquoi une orientation vers ces thématiques ? 

Kalysta Sy : il ne s’agit pas tellement de l’orientation vers des thématiques données. Avant, ce sont les hommes qui le faisaient. Généralement, les rôles des femmes consistaient à la fois à être belle et soumise. J’ai voulu montrer des femmes fortes qui traversent des moments difficiles mais qui tiennent. La question des violences conjugales est aujourd’hui un réel problème de société. La question du body shaming, la dépression, touchent les femmes. La polygamie est un fait présent dans la culture musulmane, même si dans les autres cultures on parle de deuxième bureau. Et tout cela est raconté par une femme.   

"Maitresse d'un homme marié" a suscité des vives discussions au niveau de la ville de Dakar, jusqu’à pousser les autorités religieuses à demander son interdiction. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Kalysta Sy : très bien !. Il y a des thématiques qui sont très difficiles à aborder, surtout lorsqu’il s’agit de la sexualité féminine. Dire que « le corps de la femme lui appartient » choque mais ce sont des débats qui doivent exister dans la société. Plus les femmes gagnent de la place, plus les thématiques qui les touchent directement sont visibles. Elles peuvent aujourd’hui parler de congé de maternité, parce qu’elles travaillent, elles vont parler de l’autorité parentale, des questions d’éducation, de l’égalité des chances et des salaires, des droits sociaux et économiques, elles vont parler de la vie de couple, du choix (...) A chaque fois que ces questions seront abordées, elles vont susciter les débats et cela fait partie de la société. Je savais qu’une telle réaction allait arriver.     Avec l’évolution de la technologie, pensez-vous que les barrières autour de la sexualité féminine en Afrique commencent à tomber ? Que faudrait-il pour s’affranchir ? 

Kalysta Sy : Oui. Il y en a qui voudront conserver le côté traditionnel mais il faut reconnaître que l’on ose parler beaucoup plus qu’avant. Au sujet des menstrues, les jeunes filles connaissent beaucoup plus de choses que certaines femmes parce qu’aujourd’hui il y a des applications, des cours, des discussions. Il y a une certaine évolution. On fera des pas en avant, on aura l’impression de stagner, on aura l’impression de faire des pas en arrière mais l’essentiel est d’avoir cette dynamique qui pousse à aller  de l'avant. Les femmes ont toujours des droits mais c’est la matérialisation qui pose problème. 

Vous donnez combien de temps à l’Afrique pour que les femmes deviennent plus épanouies et bénéficient totalement ou presque de leurs droits ? 

Kalysta Sy : cela sera possible quand les femmes décideront de se raconter en tant que femmes. Plus on aura des femmes qui vont poser les thématiques qu’il faut, plus cela attirera l’attention des autres femmes et les poussera à y travailler. 

Le processus pour trouver les actrices adaptées à vos critères était facile ? Quel a été le plus grand défi ? 

Kalysta Sy : Oui. J’ai fait jouer des femmes pour lesquelles ce n’était même pas le métier. Lalla par exemple, est une grande couturière, une grande femme d’affaires. Quand je lui ai proposé d’endosser le rôle, elle a accepté volontiers. Toutes les femmes dans la série « Maitresse d’un homme marié » ont un emploi. C’est exactement ce que je voulais. Nous avons mis une année pour 50 épisodes (1ère saison) et cinq mois pour 32 épisodes (2ème saison). Le plus grand défi était de commencer, de trouver un producteur capable d’accepter un tel projet et d’y mettre les fonds. 

Le Sénégal à l’honneur, vous avez été l’invitée d'honneur de la cinquième édition du festival « Cinéma au féminin » CINEF à Kinshasa, que retenez-vous de ce rendez-vous avec le public kinois ? 

Kalysta Sy : j’ai beaucoup de gratitude envers le peuple congolais. Cela m’a permis de rêver. De savoir qu’une Afrique unie est possible, qu’une Afrique qui rêve est possible, qu’une Afrique qui travaille ensemble est possible. Réaliser un film à Dakar, avec des sénégalaises et être invité à Kinshasa, partager avec des gens ces mêmes visions, passion et désir, c’est une grande fierté. Le cinéma actuel est basé sur le partage. Pour réussir actuellement dans ce secteur partout dans le monde, il faut s’investir dans la coproduction. Ma présence au Congo est une histoire qui a été écrite et nous allons continuer à l’écrire avec la RDC. Nous aurons probablement des congolais qui pourront venir au Sénégal et vice versa. 

Un retour sur votre parcours ?

Kalysta Sy : J’ai un parcours atypique. Je suis journaliste de formation. J’ai obtenu un baccalauréat en section Littéraire, ensuite un master en journalisme et communication. Voilà que je termine réalisatrice. 

Des ambitions ?

Kalysta Sy : de nouvelles histoires. Je ne vais raconter  que des histoires de femme. 

Un message aux femmes africaines ? 

Kalysta Sy : vous êtes capables de tout faire. Même si ça ne réussit pas, essayez encore. Un jour, ça finira par réussir. En réalité, la réussite, c’est 99% d’échecs. A une femme dévalorisée, victime des violences conjugales ou autres, je lui dirais de se lever et de partir. De se dire qu’elle mérite de vivre. Si quelqu’un n’est pas capable de prendre la lumière et de la mettre sur elle (cette femme), qu’elle la prenne elle-même et la mette sur elle.

Propos recueillis par Prisca Lokale