Genre : le tangible intangible 

 'Le Debut de Cheri Samba' (La Sirene) , 2003

Comme tous les ans, le monde commémore ce 8 mars la Journée internationale des femmes. L’objectif de cette journée est de mettre en avant la lutte pour les droits des femmes et notamment pour la réduction des inégalités par rapport aux hommes.

Le texte choisi ce 9 mars est celui de l’avocat et écrivain Tata N’longi Biatitudes. 

J’avais en général, le cœur à la fête, chaque 8 mars. J’avais l’humeur festive, je célébrais les femmes de ma vie, je postais leurs photos sur les réseaux sociaux. Je publiais des textes longs comme l’hymne uruguayen pour célébrer les bontés et les beautés dont elles parent. 

Mais ça c’était avant. 

Aujourd’hui je ne suis pas d’humeur très joyeuse. 

Je me suis toujours considéré comme un féministe. Je ne suis pas un homme violent et j’ai toujours soutenu l’égalité des droits et des chances entre les filles et les garçons. Je porte la parole sur le sujet de la parité. J’avais toujours eu l’impression que sur le sujet, je faisais ma part. 

Et puis j’ai eu une fille. Après les mois d’émerveillements, le temps à surveiller ses premiers pas, les jours à attendre le premier « papa », sont venus les premiers mots, les premières phrases, les premières questions. Il a fallu lui expliquer qu’il fallait sortir de la chambre quand Papa s’habille, parce que Papa est un « garçon ». Les questions sont donc venues. Surprenantes, comme des kakés inattendus. 

Depuis l’année passée quelque chose a changé. Ma fille a grandi d’un an. Elle est à l’âge des questions. Elle a hérité de mon entêtement à ne jamais renoncer tant qu’elle n’a pas les réponses. 

- Papa, pourquoi tu n’aimes pas les frites ? 

- Parce que je trouve pas ça bon. 

- Papa, moi j’aime les frites. Maman aussi aime les frites. Toi tu n’aimes pas les frites parce que tu es un garçon ? 

- Papa, toi tu es fort. Tu es fort parce que tu es un garçon ? 

- Papa, toi tu travailles tout le temps, tu travailles bcp parce que tu es un garçon ? Moi je veux travailler beaucoup comme toi. 

En fait, le vrai enjeu n’est pas les réponses que je vais lui donner,  à ma fille. Mais la question qui se pose à moi, sur le modèle de société que je vais lui vendre, le modèle de famille que je vais lui vendre, sur l’éducation que je dois lui donner sur le fait d’être une fille. 

Égalité des droits, parité, féminisme, sont des mots. Dans la vie de tous les jours rien, rien n’est simple. Comment et que vais-je lui enseigner sur ce que veut dire être femme et être un homme, une fille ou un garçon, dans cette société. Comment dealer avec cette société sur ce que l’on est et la manière dont on compte le porter ? 

Depuis que ma fille me pose toutes ces questions la question du genre ne paraît pas aussi simple que ça. 

Égalité des droits, égalité de chance, me paraissait assez univoque, moi et mon esprit de juriste amoureux de logique formelle. Mais ça c’était avant. 

Être femme, être fille, du coup être garçon, qu’est-ce que ça veut dire ? 

Le genre. C’est pas juste comme la couleur de peau, le rang social. C’est une réalité TANGIBLE. On est vraiment, biologiquement, différent, on est ( et on naît réellement - n’en déplaise pas à Groult) femme ou homme. C’est pas juste une affaire de couleur de peau ou de longueur de nez. Le genre c’est un truc qui fait pisser différemment, qui fait accoucher différemment, qui fait chanter différemment ( en général ), qui fait baiser différemment ( en principe ). 

Le genre c’est en même temps, une des réalités les INTANGIBLES de notre humanité. Sauf catastrophe absolu et rayonnement d’une bombe extraterrestre aux effets inconnus sur les biologies des gens ( ah ah Sinzo Aanza ), il y aura toujours dans cette triste et glorieuse humanité, des gars et des meufs. 

Il y a donc une réalité avec laquelle il faut composer. Et les règles juridiques, pleines de bonne volonté, d’égalité, de parité, à elles seules, n’y parviendront pas. 

En fait l’histoire des mondes qui a composé l’humanité dans les différentes ères de son trajet, a toujours été celle de cette invention des façons de coexister ces deux « races » d’humains obligés à cohabiter et surtout obligés de permettre ce qui en fin de compte et est le but ultime de tout groupe de vivants : la survie de l’espèce. 

Ces façons ont souvent été cruelles pour les femmes, les hommes ayant vite profiter de leur supériorité physique pour imposer une distribution des espaces de fonctionnement qui leur était favorable. 

Je suis bien conscient en tant qu’humain mâle, je suis un privilégié. Je mentirai si je disais que plus ou moins consciemment, je n’en ai pas profité. Parfois faisant fermer le clapet à mes idées progressistes.  

Je comprends la rage des individus, femelles, qui doivent pour la plupart, subir cette injustice collective à leur échelle individuelle. Je les comprends d’autant plus encore que désormais, je suis le père d’une fille, qui s’est mise à poser des questions. 

L’enjeu est souvent posé en terme de droits. C’est bien, c’est utile. Ça peut sauver des destins individuels ( ça doit, ça devrait ) et faire avancer la cause collective de l’humanité, qui est féministe par principe. 

On a souvent parler de vulgarisation (je déteste ce mot ), d’éducation, de plaidoyer. C’est bien, c’est utile. Indispensable. 

Mais la question des droits pose le problème en terme d’individu ou de groupe d’individus. Les femmes, les hommes, les enfants, les travailleuses, les élèves. 

L’éducation c’est bien. Mais que doit-on enseigner aux enfants. ( la mienne, elle est souvent enquiquinante avec ses questions, je suppose que les votres aussi ! ) ? Que les femmes et les hommes sont égaux ? C’est tout ? 

Non évidemment. Il faut éduquer pour transmettre à nos enfants ( et aux adultes de bonne volonté, ça me rappelle un chant latin ) un nouveau modèle de société. 

Ah voila ! La belle trouvaille. Mais quelle nouveau modèle de société ? Une société de parité et d’égalité ! 

Ah oui ? 

Moi aussi je trouvais ça suffisant. Mais c’était avant. Jusqu’à ce que Nela se mette à me poser des questions. 

L’égalité de droits doit être le socle de notre société, en faveur de chaque individu quelque soit les différences tangibles et/ ou intangibles dont il est porteur. 

Mais il faut également une société qui se réinvente une nouvelle façon de négocier avec le fait que les hommes et les femmes sont à la fois substantiellement les mêmes et fondamentalement différents. Il faut réinventer des nouvelles façon de coexister. Des nouvelles façons d’exister, des nouvelles façons de s’aimer, des nouvelles façons de flirter, de draguer, de compétir, de courir sur des pistes d’athlétisme, de travailler, 

Cette réinvention, chaque famille, chaque ville, chaque pays, l’humanité entière, chacun a son niveau local, chacun et ensemble au niveau universel, devra en trouver le ton juste, interrogeant ses propres manières d’être et de faire. 

Car la nouvelle façon d’être en paix avec le genre ne pourra pas être la même partout et ne sera jamais définitive et figée pour le temps. Il faut de l’intelligence, on ne pourra pas se contenter de copier chez les voisins. 

Les hommes et les femmes sont à la fois substantiellement les mêmes et fondamentalement différents. C’est le début de réponse aux questions de Nela. Mais en fait c’est surtout un début de nouvelles interrogations. Car, en fait, c’est aussi la réinvention des questions, cette affaire, je n’ai pas toujours eu l’impression qu’on se pose toujours les bonnes quand on parle de genre. 

C’est pas gagné. Au delà des différentes physiques, on ne sait pas trop ce qui relève de la nature, et ce qui relève des siècles d’accommodation. 

Je ne vais pas vous embêter plus longtemps, vous n’êtes certainement pas nombreux à avoir suivi les pistes tortueuses de cette pensée alambiquée jusqu’ici. Je vais continuer à réfléchir aux réponses à donner à ma questionneuse de fille. 

C’était pour m’excuser de ne pas avoir fait de longs posts hommages à la femme-mère-sumercoptaire-super-héroïnes-mère des nations. Il y a tant de jours pour faire ça. Un jour par an, c’est déjà trop peu pour réfléchir à comment réinventer le monde. 

Et puis, ces hommages sont trop appuyés pour ne puer la mauvaise conscience. 

Bon je vais m’arrêter là. Il y en a qui fêtent. Je ne vais pas les déranger. Moi aussi j’étais comme ça, j’avais le cœur à la fête. Mais ça c’était avant. Avant les questions de ma fille. Quelle emmerdeuse !

PS tant qu’à faire, il faut soit une journée internationale du genre, hein ? 

PS 2 si tu as fini ce texte, tu connais Benoîte Groult ? 

 

PS 3 c’est à cause de l’embouteillage que mon texte est long.