Des consultations citoyennes entamées à Goma par Joseph Kabila à la levée d’immunité du ministre de la Justice, Constant Mutamba dans une affaire de détournement présumé de 39 millions de dollars en passant par l’arrestation de l’ancien ministre des Mines Martin Kabwelulu, la semaine qui vient de s’achever a été riche en actualités. Retour sur chacun des faits marquants avec Christine Bijika.
Merci de nous accorder de votre temps Madame. Pouvez-vous nous parler brièvement de vous ?
Christine Bijika : je suis coordinatrice nationale de COOPEC Épargne (structure spécialisée dans l'octroi des crédits) et assistante financière à la fondation EUREKA.
Joseph Kabila a entamé cette semaine des consultations citoyennes à Goma dans le but de sortir la RDC de la crise. Quelle est, selon vous, la portée réelle de cette initiative ?
Christine Bijika : Cette initiative pourrait avoir une certaine portée symbolique, notamment auprès de ses partisans et des populations de l'Est qui se sentent souvent marginalisées. Toutefois, sur le fond, elle soulève des interrogations. Joseph Kabila n’occupe plus de fonction officielle et n’a donc pas de mandat pour conduire des processus de sortie de crise au nom de la République. Si son intention est de contribuer à la paix, cela doit se faire dans un cadre institutionnel clair et en collaboration avec les autorités en place, sans créer de confusion dans l’opinion.
L’arrestation de l’ancien ministre des Mines Martin Kabwelulu, soupçonné d’être impliqué dans le financement du M23, a surpris l’opinion. comment interprétez-vous cette interpellation ?
Christine Bijika : Il est tout à fait normal que cette arrestation ait surpris l’opinion, car elle concerne une personnalité politique de premier plan, longtemps considérée comme influente. En tant que membre de la société civile, je salue cette interpellation si elle s’inscrit dans un processus judiciaire équitable, basé sur des preuves tangibles. Elle montre, espérons-le, un début de volonté de l’État de s’attaquer à l’impunité, même au plus haut niveau.
Le nom de l’ancien président Joseph Kabila est indirectement associé à cette affaire, notamment en raison de sa récente apparition publique à Goma aux côtés de figures proches du M23. Comment percevez-vous cette posture ?
Cette posture soulève de nombreuses interrogations. Quand un ancien chef d'État se montre publiquement avec des personnalités controversées ou soupçonnées d’atteintes à la paix nationale, cela peut semer le trouble dans l’opinion. Il est important que les anciens présidents jouent un rôle de rassembleurs et non d’amplificateurs de tensions, surtout dans un contexte aussi fragile.
Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, fait l’objet d’une demande de levée d’immunité dans une affaire de détournement présumé de 39 millions de dollars. Quel signal cela envoie-t-il, selon vous, quant à l’intégrité des institutions ?
Cela envoie un signal mitigé. D’un côté, le fait même qu’une demande de levée d’immunité soit introduite est une preuve que certains mécanismes de redevabilité sont en marche. De l’autre côté, cela jette une ombre sur l’intégrité des institutions, car lorsque des personnalités aussi stratégiques sont impliquées dans des accusations aussi graves, cela révèle un dysfonctionnement structurel et un besoin urgent de réforme en profondeur.
La Chambre basse du Parlement a approuvé la levée de l’immunité du ministre Mutamba pour lui permettre de se défendre. Quelle lecture faites-vous de ceci ?
C’est une avancée qu’il faut saluer. La levée de l’immunité parlementaire montre que personne n’est au-dessus de la loi. Cela doit devenir la norme et non l’exception. La justice doit suivre son cours sans pression politique, et nous espérons que cette affaire ira jusqu’au bout afin que la vérité soit établie.
La disparition du député honoraire Kovo Ingila, enlevé selon ses proches dans des conditions troublantes, suscite une vive inquiétude. Que révèle, selon vous, cette affaire sur l’état de la sécurité et de l’État de droit en RDC aujourd’hui ?
C’est extrêmement préoccupant. Cette disparition met en lumière l’insécurité persistante, y compris à l’égard de personnalités politiques. Cela révèle aussi une faiblesse inquiétante de l'État de droit. Quand même ceux qui ont exercé des fonctions publiques peuvent disparaître sans explication claire, cela signifie que nul n’est véritablement protégé.
Quelles attentes formulez-vous à l’égard des autorités judiciaires face à ceci ?
Nous attendons des autorités judiciaires une enquête rapide, transparente et impartiale. Il est essentiel de faire la lumière sur cette disparition et de rassurer la population que la justice fonctionne, même dans des cas sensibles. Toute forme d’impunité ou de dissimulation serait un échec de plus pour notre État de droit.
Sur le plan économique international, le contentieux autour des droits de douane imposés par les États-Unis pourrait avoir des répercussions globales. Pensez-vous que l’Afrique, et la RDC en particulier, est préparée à faire face aux conséquences indirectes de ces tensions commerciales mondiales ?
Malheureusement, je ne pense pas que la RDC soit bien préparée. Nous avons un tissu économique très vulnérable et trop dépendant des exportations de matières premières. Les tensions commerciales entre grandes puissances peuvent impacter nos revenus à travers des chaînes d'approvisionnement et des marchés instables. Il est urgent que la RDC diversifie son économie et renforce ses capacités de résilience.
La Chine a annoncé la création d’un organisme international de médiation basé à Hong Kong. Voyez-vous cela comme une alternative crédible aux mécanismes actuels de résolution des conflits, notamment pour les pays africains ?
C’est une initiative intéressante qui montre que le monde multipolaire cherche à se réinventer. Pour les pays africains, cela peut représenter une alternative si l'organisme prouve son impartialité et son efficacité. Toutefois, nous devons rester vigilants pour éviter de tomber dans des rapports de dépendance ou d’influence unilatérale.
La RDC pourrait-elle y jouer un rôle selon vous ?
Absolument, la RDC peut et doit y jouer un rôle. Mais pour cela, il faut d’abord asseoir notre propre crédibilité sur le plan diplomatique et institutionnel. La RDC, en tant que pays stratégique en Afrique centrale, doit se positionner comme acteur de paix et de stabilité régionale, ce qui lui permettrait d’intervenir dans ce type d’instances avec légitimité.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka