Cinéma - Un film sur la guerre de 6 jours à Kisangani : "un cri déchirant dans la mémoire collective, un acte de transmission et une mémoire pour que l'oubli ne devienne une forme de trahison"

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Le film "La guerre des 6 jours de Kisangani"

Une nation ne se construit pas seulement par ses institutions ou ses infrastructures, dit-on, elle se construit surtout grâce à sa mémoire et cette mémoire pour avoir du sens doit être partagée. 25 années après la guerre des six jours à Kisangani suite au conflit sanglant entre les forces rwandaises et ougandaises, les combats qui se sont déroulés dans cette ville à partir du 5 juin 2000, les deux armées se sont livrées à un pilonnage intense et aveugle contre des zones civiles densément peuplées et ont tué intentionnellement des civil·e·s, violé des femmes et pillé des maisons.

Pour raviver la mémoire collective, le documentaire "la guerre des six jours de Kisangani" produit par l'agence DIVO de Déo Kasongo a été projeté jeudi 5 juin dernier dans la salle Ciné Buzz à Kinshasa devant des journalistes, acteurs politiques et sociaux émus et attentifs au regard de l'ampleur de la tragédie. Cette initiative a bénéficié de l'appui et l'accompagnement du ministère de la Justice et Garde des Sceaux et du Fonds Spécial de réparation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (FRIVAO).

Dans ce documentaire basé sur de nombreux témoignages éprouvants, il a été question de donner la parole aux victimes souvent oubliées mais aussi de rompre le silence sur des crimes dont les commanditaires sont connus et qui restent toujours impunis. Pendant plus d'une heure, récits de rescapés, témoignages choquants et images d'archives ont retracé la partie sombre de l'histoire de la ville Kisangani qui porte jusqu'à ce jour les stigmates de cette guerre.

"Ce soir, nous faisons silence pour écouter le cri d’une ville, le cri de Kisangani, le cri d’un peuple, le cri de la nation. La Guerre des Six Jours. Le documentaire coïncide avec le 25ème anniversaire de cet événement tragique. Il ne s’agit pas simplement d’une œuvre cinématographique. C’est un cri déchirant dans la mémoire collective. C’est un acte de transmission. Une mémoire tendue vers l’histoire, pour que jamais l’oubli ne devienne une forme de trahison", a déclaré dans son mot de circonstance Bolukola Osony Chancard, Coordonnateur du FRIVAO.

Lui-même victime de cette guerre, Bolukola Osony Chancard rappelle que lors de l’invasion du territoire national par les armées ougandaises et rwandaises, des dommages incalculables ont été infligés : des vies brisées, des psychés traumatisées, des infrastructures détruites, des communautés dévastées. Occasion pour lui de revenir sur le pourquoi de ce film documentaire.

"Ce film maintenant parce qu'au fond de chaque cicatrice se cache une vérité parce que le sang versé sans justice est une plaie qui soupire parceque le silence lorsqu'il dure trop longtemps se confond avec le déni. Kisangani, ville martyre, a été le théâtre de combats sanglants. Ce film, nous l’avons voulu. Ce film, nous l’avons porté. Nous l’avons réalisé avec la conviction que la mémoire est un acte de paix", a-t-il fait savoir lors de son intervention.

À l'en croire, le FRIVAO, en tant qu’institution de justice réparatrice s’est donné pour devoir moral de réconcilier les temps, de faire dialoguer le passé avec le présent, pour éclairer l’avenir.

"Ce documentaire est à la fois une œuvre de mémoire, une leçon d’histoire, une incantation de justice, un hymne à la paix, un plaidoyer pour la conscience. Il nous parle, il nous interpelle,et surtout, il nous responsabilise.En projetant ce film, nous n’honorons pas seulement les morts, nous honorons la vie. Nous ne faisons pas que dénoncer, nous annonçons.Nous annonçons une nouvelle ère: celle d’une nation qui ne tremble plus devant son passé mais le regarde en face avec courage et dignité", a déclaré le coordonnateur du FRIVAO.

Et de poursuivre : 

"Ce documentaire est un appel: un appel à la responsabilité individuelle, un appel à la mobilisation collective, un appel à la perfection de notre humanité, un appel à l’éveil patriotique.Il ne suffit pas de regarder, il faut s’engager. Il ne suffit pas de commémorer, il faut transformer. Il ne suffit pas de pleurer, il faut réparer.La Guerre des Six Jours n’est pas un chapitre isolé.C’est un carrefour de notre histoire. Elle nous rappelle que la paix n’est jamais acquise,que la justice n’est jamais automatique, et que la mémoire n’est jamais inutile".

Selon le coordonnateur du FRIVAO, vingt-cinq après la guerre des six jours, les victimes attendent toujours la vérité, la justice et pour la plupart des réparations. Il a invité les congolais à faire de ce film non une fin mais un point de départ, un acte fondateur, une pierre blanche sur le chemin vers la vérité.

"Nous tendons la main aux survivants. Nous leur disons : nous vous avons vu. Nous vous avons entendus.Votre douleur est inscrite dans notre mémoire, et elle y restera. Nous invitons la justice, nous invitons la jeunesse congolaise à se souvenir : non pour se venger, mais pour construire, non pour haïr, mais pour comprendre, non pour gémir, mais pour agir. Ce soir, la République ne ferme pas les yeux sur son histoire. Elle les ouvre grand pour mieux éclairer son avenir. Ce soir, nous ne projetons pas simplement un film. Nous projetons un engagement : un engagement pour la justice, un engagement pour la paix, un engagement pour la vérité. Car il est temps.Tant que la douleur peut se dire avec dignité, tant que la mémoire devient action, tant que la parole de l’histoire s’inscrit dans le marbre de la justice", a souligné le coordonnateur du FRIVAO.

La guerre des six jours est l’un des conflits qui ont opposé les armées ougandaise et rwandaise à Kisangani entre août 1999 et juin 2000, semant la mort et la destruction. La première guerre, dite « guerre des trois jours », a commencé le 14 août 1999 : les deux armées ont échangé des coups de feu et des tirs de mortier aveugles, qui ont tué plus de 30 civil·e·s et en ont blessé plus de 100.

Après près d’un an de calme relatif, les combats ont repris le 5 mai 2000 et n’ont duré cette fois-ci qu’une journée. Un mois après, jour pour jour, la guerre des six jours a éclaté. Ce conflit a été plus intense. Sans opérer de distinction entre civil·e·s et combattants, les deux armées ont pilonné aveuglément Kisangani, tuant plusieurs centaines de civil·e·s et en blessant des milliers.

Clément MUAMBA