RDC : des peines capitales et des acquittements dans l’affaire de l’assassinat de l’épidémiologiste de l’OMS à Butembo

Procès des présumés auteurs du meurtre de l'épidémiologiste de l'OMS/Ph ACTUALITE.CD

17 prévenus ont écopé d’une peine capitale, cinq acquittés et trois autres condamnés à des peines allant de trois à cinq ans de prison dans l’affaire de l’assassinat du docteur Richard Mouzoko, épidémiologiste de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tué en avril 2019 à Butembo alors qu’il était déployé pour la riposte contre la dixième épidémie d’Ebola. La Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, qui a statué en premier et dernier ressort, a rendu son arrêt ce lundi 8 mars autour de 14 heures, au terme d’une dizaine d’audiences tenues depuis le 22 février dernier à Butembo, ville où le crime avait été commis.

Parmi les 17 prévenus qui ont écopé d’une peine capitale figure le docteur Jean-Paul Munda, ancien médecin chef de district sanitaire de Butembo. La Cour les a reconnus coupables d’association de malfaiteurs, participation à un mouvement insurrectionnel et terrorisme par assassinat. D’après les juges, ces personnes, toutes en fuite, ont planifié et exécuté l’assassinat de l’expert de l’OMS sur provocation du docteur Jean-Paul Mundama. Ce dernier avait, avec ses collègues médecins, décidé de faire partir d’autres prestataires de soins non-originaires de la région, évoquant la disparité dans l’allocation des primes par l’OMS. La cour militaire opérationnelle a présenté le docteur Mundama comme plaque tournante et principal provocateur du crime pour avoir non seulement évoqué l’idée de faire partir les non-originaires, mais aussi remis une somme de 700 dollars américains aux exécutants, avec une promesse de leur alloué 25 000 dollars supplémentaires après le forfait.

Les trois autres condamnés à des peines allant de trois à cinq ans de prison sont notamment le médecin Gilbert Kasereka, alors responsable du centre de transfusion sanguine. Ce dernier est reconnu coupable d’association de malfaiteurs pour avoir participé à une réunion avec le docteur Mundama, réunion au cours de laquelle l’idée de faire partir les médecins non-originaires aurait été débattue. La cour l’a condamné à trois ans de prison, une légère peine due en majeure partie pour sa délinquance primaire et sa collaboration.

Les deux autres condamnés sont des miliciens, anciens employés de la riposte. Même si n’ayant pas participé à l’action, ils ont été informés de la réalisation du forfait par des exécutants avec lesquels entretiennent des liens depuis leur passage dans des milices locales. La cour les a ainsi reconnus coupables de participation au mouvement insurrectionnel et les a par conséquent condamnés à cinq ans de prison.

Cinq acquittés faute de preuve

Les cinq personnes acquittées sont notamment deux autres médecins, les docteurs Hyppolite Sangala et Paluku Luendo, ainsi que trois femmes vendeuses de Kaskisi, une boisson indigène, chez qui les exécutants avaient pris la boisson avant et après le forfait. Pour le cas de ces trois femmes, les juges ont estimé que le simple fait de prendre la boisson chez elles comme des simples clients ne signifie pas qu’elles étaient au courant ou avaient participé à l’exécution de l’idée criminelle. Ils les ont par conséquent acquittées. Pour les deux médecins acquittés, Hyppolite Sangala et Paluku Luendo, la Cour n’a trouvé aucune preuve les inculpant. Ils avaient été cités par le docteur Gilbert Kasereka comme participants à une réunion de décembre 2018 durant laquelle le docteur Mundama avait émis son idée de faire partir tous les prestataires non-originaires. Mais au terme de la comparution des prévenus et tenant compte des déclarations contenus dans les procès-verbaux établis lors de l’instruction préjuridictionnelle, la cour n’a rien trouvé de convainquant, attestant qu’ils avaient pris part à pareille réunion. La réunion évoquée par Gilbert Kasereka avait eu lieu le 3 décembre à la division provinciale de la santé et avait un objet précis : l’organisation du lieu du travail, à en croire le compte rendu présenté à la cour. Mais celle ayant décidé de la chasse aux prestataires non-originaires pour les écarts entre les primes avait regroupé le 19 janvier 2019 le docteur Mundama, le docteur Gilbert Kasereka, et un émissaire des miliciens mai-mai, mais ni le docteur Sangala, moins encore Luendo n’était présent. La cour les a ainsi reconnu non-coupables, et les a acquittés. Et les acquittés, et leurs proches présents à l’audience étaient tous émus de pouvoir regagner ensemble le domicile après plus de 500 jours passés en état d’arrestation.

Le calvaire des innocents en prison et le sort des parties civiles

Si les prévenus anonymes étaient en prison, les trois médecins étaient en résidence surveillée dans des chambres privées à l’hôpital Matanda où, à en croire leurs avocats, ils étaient obligés de débourser 50 dollars le jour, et cela pendant plus de 500 jours de séjour. Samedi, au terme du réquisitoire, les docteurs Sangala et Luendo avaient introduit une action exigeant d’être indemnisés chacun à hauteur de 100 000 dollars américains par le condamné Gilbert Kasereka pour des préjudices subis suite à ses déclarations mensongères ayant conduit à leur arrestation. Dans son arrêt, la cour a rejeté cette demande. L’unique demande d’indemnisation jugée recevable et fondée est celle introduite par l’Université catholique du Graben dont sa clinique médicale avait enregistré des dégâts lors de l’assassinat du docteur Mouzoko. L’UCG, l’unique acteur qui s’est constitué « parties civiles » avait demandé des dommages et intérêts de l’ordre de 500 000 dollars américains, mais les juges ont arrêté que seuls 15 000 dollars lui soient versés comme dommages et intérêts par les auteurs de l’acte de terroriste, notamment les condamnés en fuite. Cet arrêt prononcé par une cour militaire qui statue en premier et dernier ressort met ainsi un terme à ce feuilleton judiciaire portant sur un fait qui avait agité la ville de Butembo, en pleine crise d’Ebola. La seule question qui suscite des discussions, c’est le sort des condamnés en fuite. Si le docteur Jean-Paul Mundama se retrouve à l’étranger, les autres courent dans la nature après leur évasion, en octobre 2020, lors de l’attaque contre la prison centrale de Beni où ils avaient été conduits pour détention, à cause de leur dangerosité.

Claude Sengenya