Radio France Internationale (RFI), a rendu publics de nouveaux éléments dans l’affaire Chebeya qui indiquent des responsabilités dans l’assassinat du défenseur des droits humains et de son chauffeur, Fidèle Bazana, plus de 10 ans après les faits. C’est ainsi que l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH-OMCT), la Ligue des Électeurs, le Groupe Lotus, l’Association africaine de défense des droits humains (ASADHO) et la Voix des Sans-Voix pour les droits de l’homme (VSV), ont appelé à la réouverture du dossier Chebeya.
Si ce procès réclamé a lieu, il sera considéré comme une avancée en matière de gestion des Droits de l’Homme en RD Congo, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’impunité, si on considère le statut des personnes impliquées. Du coup, l’espoir de voir les lois mises en place appliquées n’est plus irréaliste pour nombre de Congolais qui rêvent d’un véritable Etat de droit.
Au cours des années passées, beaucoup de rapports ont été publiés sur les multiples violations graves des droits de l’Homme en République Démocratique du Congo. Il est vrai aussi que les témoignages sur les atrocités que les populations congolaises subissent pratiquement au quotidien se recoupent généralement. Au centre des tableaux sombres dépeints dans différents rapports par des Congolais et par d’autres membres de la communauté internationale figurent les innombrables cas de violences inimaginables dont les violences sexuelles perpétrées certes sur l’ensemble du territoire national mais particulièrement dans l’est du pays sont plus affligeantes pour nombre de femmes.
« C’est à l’inspection qu’on les a étouffés ».
— ACTUALITE TV (@actualitecdTV) February 8, 2021
Le glaçant de deux policiers:
-Chebeya et Bazana assassinés dans les locaux de l’Inspection Générale de la PNC.
-Les tueurs étaient dirigés par le major Christian Ngoy Kenga Kenga, commandant du bataillon Simba.
-La suite ici… pic.twitter.com/DT4ZEBDWZA
Aujourd’hui donc, les actes de violation des droits de l’Homme en RD Congo frappent directement des victimes qui se comptent par centaines de milliers. Mais il ne faut pas oublier plus de 5 millions de personnes qui ont dû fuir leurs domiciles afin de se soustraire à la violence du fait des conflits armés de tous genres qui n’arrêtent pas d’endeuiller la RD Congo depuis de longues années.
Les autorités de la RD Congo ont été interpellées à maintes reprises par rapport à leur responsabilité morale et politique en ce qui concerne la protection des populations civiles congolaises. Des réponses ainsi que des explications, certes difficiles, ont été fournies par l’un ou l’autre membre du gouvernement congolais, même si certaines tentatives d’éclaircissement n’ont ni satisfait ni rassuré les attentes des Congolais en général et des acteurs du secteur des Droits de l’Homme en particulier au vu de ce qui se passe toujours sur le terrain.
En tant qu’êtres humains et Congolais, nous ne pouvons pas ignorer ces malheurs qui frappent nombre de nos compatriotes dans leur chair et dans leur dignité. Les actes de violence sont en effet de ceux qui doivent susciter le sentiment d’humanité lorsqu’ils deviennent des actes courants. Il est révoltant d’assister à l’insouciance et à l’indifférence des gouvernants.
Le président de la République et le Premier ministre entrant doivent disposer d’une vision claire et pratique des changements radicaux à mettre en place pour affirmer et garantir concrètement la promotion et la protection des droits de l’homme en RD Congo. En dignes représentants d’institutions responsables devant le peuple, ils doivent accorder aux dossiers brûlants de violation des Droits de l’Homme le statut de véritables problèmes publics. Ce sera ainsi un acte essentiel, s’il en est, dans le processus de résolution du problème des violations des Droits de l’Homme en RD Congo. Ils doivent savoir que la notion de bonne gouvernance n’englobe pas uniquement l’efficacité et la transparence dans la gestion des ressources de l’Etat et des affaires publiques mais aussi le respect pour l’Etat de droit et les Droits de l’Homme.
La quête du bien-être de la population ne doit pas rester que l’écho des slogans propagandistes et populistes pour les dirigeants politiques actuels : seuls les actes conduiront à de réels changements.
La tâche ne sera pas insurmontable si l’on tient compte de la grande impulsion que le précédent régime a donnée à la mise en place d’un arsenal des règles devant servir à garantir la promotion ainsi que le respect des Droits de l’Homme en RDC. Sans parler des institutions créées expressément pour lutter contre les violations des droits de l’Homme et en réduire au maximum les effets nuisibles au bien être des Congolais. Ce faisant, le législateur est sans nul doute parti d’une question fondamentale : comment mettre fin à la violence et autres violations des Droits de l’Homme dont sont victimes les populations civiles en RD Congo ? Il a juste manqué une approche clairement volontariste du problème des Droits de l’Homme tel qu’il se pose en RDC.
L’évolution juridique
Plusieurs indicateurs témoignent des avancées remarquables enregistrées sur le plan juridique en matière de gestion de la promotion et de la protection des Droits de l’Homme en RD Congo. De la volonté affirmée à la réalité, le chemin a semblé chaotique et plein d’embûches. Mais les réalisations existent et doivent être mesurées à l’aune des enjeux qui sont de taille. Elles sont les bases et les pilliers de ce que sera demain la pratique des Droits de l’Homme en RD Congo.
La Constitution de la RDC promulguée le 18 février 2006 contient une soixantaine d’articles directement liés aux questions des Droits de l’Homme. Si l’on prend en considération l’histoire du Congo, on peut affirmer sans hésiter que ces articles édictent des principes aussi audacieux que révolutionnaires. Pour s’en convaincre, il suffit de lire par exemple l’article 61 qui contient le noyau intangible des Droits de l’Homme, l’article 14 qui établit la parité entre l’homme et la femme, l’article 220 qui interdit la révision de certaines normes, l’article 218 qui décrit clairement les modalités de réclamation et les voies de recours tant judiciaires que politiques, dont la technique de la pétition qui semble être en vogue ces jours-ci. De plus, toujours au profit des citoyens, la loi constitutionnelle congolaise consacre formellement les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que les droits collectifs.
Pour rendre applicables les principes constitutionnels évoqués supra, il a fallu élaborer un arsenal de lois et règles qui ont été soumises au vote parlementaire avant leur promulgation par le précédent Président de la République. Parmi ces règles, on peut citer les deux lois du 20 juillet 2006 qui luttent contre les violences sexuelles considérées désormais comme crimes contre l’humanité, la loi du 14 juillet 2008 qui protège les personnes vivant avec le VIH/SIDA, la loi du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, la loi portant suppression de la peine des travaux forcés et la loi du 13 juillet 2011 portant criminalisation de la torture.
Ces textes normatifs ont été complétés par deux documents phares importants élaborés pour guider les actions gouvernementales en matière des Droits de l’Homme. Le premier de ces textes est le Plan National de Promotion et de Protection des Droits de l’Homme actualisé en août 2009 lors de la deuxième Conférence sur les Droits de l’Homme. Le deuxième texte, le Plan d’Action des Droits de l’Homme de février 2011 reprend et priorise les recommandations que des Organes internationaux en matière des Droits de l’Homme ont adressées à la RD Congo.
Parallèlement à cette démarche volontariste au niveau interne, sur le plan international, la RDC a adhéré depuis 2010 au traité de l’OHADA en vue de sécuriser les affaires. Sur la même lancée, la RDC a aussi ratifié la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption au cours de la même année.
Ces réformes juridiques ne pouvaient prétendre donner des résultats satisfaisants qu’accompagnées de réformes constitutionnelles. Il a fallu mettre en place aussi bien sur le plan national qu’au niveau des provinces des structures idoines créées pour canaliser l’élan et les actions liés à la gestion de la promotion et de la protection des Droits de l’Homme.
Cette démarche a encouragé la métamorphose du système judiciaire en RD Congo. Il en est ainsi du processus d’éclatement de la Cour Suprême de Justice en Cour Constitutionnelle, Cour de Cassation et Conseil d’Etat conformément aux orientations constitutionnelles. Le Conseil Supérieur de la Magistrature a été mis sur pied au regard de la loi du 5 août 2008 et est amplement opérationnel. Les tribunaux pour enfants prévus dans la loi du 10 janvier 2009 ont été rendus effectifs par la fixation de leurs sièges et ressorts par décret du Premier Ministre du 5 janvier 2011 ainsi que par la désignation et l’affectation des juges pour enfants. Toujours pour renforcer les capacités humaines des institutions judiciaires congolaises, deux mille nouveaux magistrats furent nommés en 2010 et en 2011.
En plus de ces institutions du secteur juridictionnel, d’autres qui touchent spécifiquement et directement au domaine des Droits de l’Homme ont été créées et doivent normalement être à pied d’œuvre. C’est le cas de l’Entité de Liaison des Droits de l’Homme en RD Congo créée en août 2009 mais devenue effective en 2010. Il s’agit d’un mécanisme tripartite de concertation et de collaboration en matière des Droits de l’Homme entre les pouvoirs publics, la société civile et les partenaires internationaux.
D’autres institutions traitant des aspects thématiques définis ont également été mises en place. L’Agence Nationale de lutte contre les violences faites à la femme et à la jeune fille en est une. On peut également citer le Comité National et les Comités Provinciaux de lutte contre les pires formes de travail des enfants ainsi que les Comités de médiation en matière de justice pour mineurs.
A côté de toutes ces institutions, on ne peut manquer d’évoquer la création d’un ministère en charge des questions des Droits de l’Homme. Ce fut le ministère de la Justice et Droits Humains. En plus, dans les provinces, des ministères sectoriels avaient incorporé cette charge dans leurs attributions, ce qui permettait de donner des assises solides à la promotion et à la protection des Droits de l’Homme en RD Congo.
La route est encore longue
Les hypothèques à l’action des législateurs congolais pour la promotion des Droits de l’Homme en RDC existent toujours et sont de deux ordres. Il y a d’abord l’impunité et ensuite les conflits armés de l’Est dans lesquels la responsabilité de la Communauté internationale a également été mise en cause.
Il faut un bon système judiciaire animé par un personnel conscient de ses responsabilités qui accompagne la mise en place des règles de loi et leur stricte application. Cela ne dépend pas des seuls dirigeants politiques qui doivent interpeller en permanence le personnel œuvrant dans le secteur de la justice. Les hommes et les femmes du Congo doivent également faire entrer les nouvelles règles dans leurs us et coutumes.
Dans la démarche pour s’attaquer aux violations des Droits de l’Homme en RDC, l’impunité a toujours été la tare la plus difficile à éradiquer. L’ex-président Joseph Kabila Kabange en était d’ailleurs conscient. En voyage en France en 2004, à l’occasion d’une interview accordée au journal Le Monde, ne disait-il pas : « Mais j'en viens à l'impunité. L'Assemblée nationale va être saisie d'un projet de loi consacrant l'amnistie mais uniquement pour les faits de guerre. Les génocides et les autres crimes contre l'humanité ne seront pas couverts. Leurs responsables seront traduits en justice tôt ou tard, quelle que soit leur position dans le gouvernement… Mais je me dois également de condamner ce qui s'est passé dans mon pays pendant des années. J'attends, et les Congolais avec moi, le mea culpa des pays qui nous ont agressés, dont le Rwanda. Il y a eu, au moins, 3 millions de morts au Congo… Mais où sont les coupables des massacres, des viols et des pillages dans mon pays ? Ils ont détruit une ville comme Kisangani. Nous avons commencé à traduire en justice ceux que nous avons pu arrêter. Mais il y a tous les autres, les "vrais coupables". Certains se cachent au Rwanda, en Ouganda... Qui les jugera ?» Interview du président Joseph Kabila paru dans LE MONDE du 03.02.2004.
Aujourd’hui encore, la difficulté demeure pour faire cesser l’impunité. La voie est encore longue pour arriver à un système judiciaire efficace qui inspire le respect et la confiance auprès des citoyens.
Par ailleurs, beaucoup de Congolais ont fini par conclure que la responsabilité de la violation des Droits de l’Homme en RDC, du moins dans certains de ses aspects, est partagée avec les partenaires extérieurs de la RD Congo. Ces derniers n’ont pas doublé les efforts pour appuyer les autorités de Kinshasa dans la lutte pour la réduction des violations des Droits de l’Homme, dont certaines se font essentiellement dans le cadre du pillage des minerais congolais par certaines multinationales ayant pignon sur rue en Occident et en Asie. Les minerais congolais pillés, à l’instar du colombo tantalite, constituent les principales composantes dans certaines industries modernes.
Le lien entre la violence à l’Est du Congo, l’exploitation minière et le commerce des minerais clé a déjà été établi sans conteste. L’on sait aussi que les fabricants des produits électroniques sont les plus grands utilisateurs de ces ressources naturelles. Les grandes multinationales impliquées continuent à financer directement les crimes contre l’humanité du fait des groupes armés qui commettent régulièrement des atrocités et des viols massifs sur le territoire congolais. Que dire des certains pays voisins tels que le Rwanda et l’Ouganda qui ont encouragé l’instabilité à l’Est du Congo pour la simple raison qu’ils en tiraient bénéfice. De quoi anéantir tous les efforts déployés par les autorités congolaises, pour combattre les violations aux Droits de l’Homme en RD Congo.
Au vu de ce qui se passe à l’est de la RD Congo, l’une des solutions au problème des violations des Droits de l’Homme passe également par des mesures innovatrices liées à l’économie en général et à l’exploitation minière en particulier. Comment changer la situation pour à la fois mettre fin à la violence dans toutes ses formes et continuer à assurer des revenus aux milliers de Congolais qui se trouvent impliqués dans le système de l’exploitation minière décriée aujourd’hui ? Là est le dilemme. Quelles mesures seront prises par le gouvernement congolais ?
Comme on peut le constater, il existe déjà en RDC un arsenal juridique appréciable qui peut faciliter le respect et l’observance des lois empêchant les violations des Droits de l’Homme ou du moins susceptibles de mettre fin à l’impunité dans ce domaine. Encore faut-il le mettre en œuvre.
Nawej Karl