CHRONIQUE LITTERAIRE DU PROF YOKA : « Couvre-feu, Couvre-covid »

Photo ACTUALITE.CD

Confidences du chauffeur du Ministre

La nouvelle est tombée comme une bombe : couvre-feu ! « Couvre-feu » est un mot  à la rigueur familier pour nos générations des années de feu et de sang. C’est  un  mot  de moins en moins   usité  aujourd’hui, du moins à Kinshasa. Je ne dirais   pas  autant de  l’est du pays où le couvre-feu, hélas, est un sport et un sort funestes : couvre-feu, couvre-jour, couvre-nuit,  voire couvre-covid…

Cette  nouvelle de couvre-feu nous est tombée  dessus en pleine cuite, dans notre bar-nganda du quartier, et bien trop tard. La nouvelle nous est tombée au-delà de 21 heures, l’heure  fatidique  de ce  vendredi  fatidique  du début du couvre-feu fatidique,  et sans préavis. Personne d’entre  les   ambianceurs   n’a vu venir le danger. Et pour cause : pas de courant électrique pour suivre les infos ou  les  matches ; pas de groupe électrogène de substitution ; pas de bière fraîche. Et    pas   la moindre  ombre   dandinante   de  londonnienne noctambule ; et donc pas d’ambiance habituelle…

Pour   tromper l’ennui      et conjurer le sort, la cuite  aidant, nous nous sommes mis à chanter a capella, les voix  enrouées et  imbibées  d’alcool. Et personne d’entre les ambianceurs présents n’avait encore  conscience  du  silence  des  rues environnantes dans ce quartier habituellement tonitruant.

… Jusqu’au  moment où la police a fait irruption, armes et matraques au poing. La police a cassé la porte d’entrée en criant « Haut les mains ! Personne ne bouge ! Vous êtes encerclés ! Vous êtes en arrestation ! » En une fraction de seconde, le  bar-nganda était pris d’assaut   et envahi par des policiers excités.

C’est   lors   des   perquisitions   du bar-nganda et de nos … poches que nous avions enfin compris l’étendue de notre forfaiture : non seulement  nous n’avions   observé   aucune consigne sanitaire du couvre-covid ; mais nous avions bravé     le  couvre-feu. En tant qu’ « autorité morale »   des  ambianceurs du quartier, j’ai   eu beau présenter des excuses au commandant     des policiers, niet. Je   suis   allé   loin  en indiquant maladroitement  que  notre rencontre faisait partie d’une campagne anti-Covid ; niet. De guerre lasse, j’ai fini par dire n’importe quoi : que nous étions un groupe de prière charismatique ; que nos intentions ferventes consistaient à solliciter la providence divine afin d’exorciser le Covid ; niet.   Alors j’ai sorti le grand jeu : j’ai sorti ma carte de service aux armoiries étoilées sur fond de totem de léopard, avec signature ministérielle kilométrique et un cachet inimitable. Sur la carte de service,  il était mentionné comme grade « Pilote -1e Classe- de- l’escorte- ministérielle » au service de Son Excellence le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (à prononcer avec respect…). A la seule référence de mon patron de Ministre, le commandant du peloton des policiers s’est automatiquement mis au garde-à-vous, et a ordonné à ses hommes de baisser la garde et de se replier.

J’en  ai aussitôt profité pour offrir  une tournée générale au profit des hommes en uniforme  et  en armes. Le commandant des policiers a fait mine de décliner l’offre ; je n’ai pas eu à beaucoup insister pour qu’il accède à ma gracieuse demande.  Ce fut, de mémoire d’ambianceur du quartier, une des plus belles soirées de cuite et de coexistence pacifique entre policiers et … hors-la-loi !

Nous avons cuvé notre bière en parfaite fraternité et dans un concert certes cacophonique de chants grivois, mais fort sympathique. Et tout ça  jusqu’à 5 heures du matin, heure théorique de fin de couvre-feu.   Et tout ça avec une compagnie de gais lurons en état avancé  d’ébriété…

 

(YOKA Lye)

21-12-2020