Recension du livre du Professeur Léonard Albert Kabeya Tshikuku "Épistémologie et Méthodologie économiques. Aperçu critique à l'usage des chercheurs africains"

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Aujourd’hui, la rédaction vous propose ce texte de Clovis MAKWANGA, économiste, Enarque – Administrateur Civil (AC) qui revient sur l’essai de Léonard-Albert  KABEYA TSHIKUKU.

Porté aux fonts baptismaux le 27 octobre 2020 à la bibliothèque du Centre Wallonie Bruxelles, par l’Honorable Sénateur, Professeur Modeste BAHATI LUKWABO et la Déléguée générale Wallonie Bruxelles, Mme Kathryn BRAHY  l’essai publié par le Professeur L.A. KABEYA TSHIKUKU dont le compte rendu de lecture a été lu par son Assistant, M. Clovis MAKWANGA a été officiellement présenté au public. Reprise ci-dessous, l’intervention de M. Clovis MAKWANGA.

1.     Présentation de l’œuvre

L’ouvrage est un essai qui s’adresse aux économistes – chercheurs et accessoirement aux chercheurs d’autres disciplines.  Il est particulièrement élaboré à l’intention des chercheurs africains, qui, pour la plupart, sont formés à reproduire le prêchi-prêcha des enseignements théoriques élaborés en d’autre temps et sur d’autres terrains.

Le titre de l’ouvrage est : «  Epistémologie et Méthodologie Economiques. Aperçu critique à l’usage des chercheurs en Afrique ».

Le livre, publié aux éditions Mélibée (Toulouse) en décembre 2018 compte 554 pages  (avec annexes et bibliographie comprises). Il est subdivisé en 6 parties qui abordent des thèmes sur : (i) De la théorie économique contemporaine, (ii)  Les principaux concepts de l’analyse économique, (iii) Processus d’une analyse scientifique, (iv) Des méthodes descriptives, (v) Des méthodes explicatives et enfin, (vi) Bilan et perspectives. Ces parties sont reparties sur un total de 26 chapitres.

Il est préfacé par le Professeur PFUNGA PFUNGA KANIANGA PHOCAS avec en prime un témoignage de SAMIR AMIN d’heureuse mémoire qui, de son vivant, en avait lu le manuscrit.

 

2.     Analyse synthétique de l’ouvrage

Q1. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’une étude générale sur l’épistémologie et méthodologie appliquées en sciences économiques. Son but est de nourrir le débat public. La fixation est faite sur l’espace continental africain, bien que l’étude présente de l’intérêt pour toute la corporation économiste sur la planète. 

L'épistémologie étant l'étude de la formation et de la circulation du savoir, l'épistémologie de la science économique telle que développée dans cet essai étudie la façon dont l’économie officielle produit les affirmations sur le monde économique, la manière dont elle fait circuler ces affirmations, et la cohérence de son savoir.

Erigé sur le postulat du marché (le triptyque doxa : équitable, efficient et salutaire), le savoir de l’économie conventionnelle est incapable de théoriser un quelconque mouvement, surtout qu’en Afrique, les mutations structurelles des systèmes socioéconomiques font mentir les évidences.

A la lecture de cet ouvrage, le chercheur se fera une idée plus précise et plus claire des présupposés, des méthodes et des points aveugles de la science économique officielle. Il saura pouvoir articuler à la fois les forces et les faiblesses de l'approche économique, et mieux comprendre la tension entre le désir de scientificité (caractéristique majeure de l’économie conventionnelle de vouloir unifier le champ de l'économie) et le désir de pluralité explicative (qui tend au contraire à refuser l'unification). Le chercheur se convaincra ou pas du plaidoyer de l’auteur sur la nécessité de procéder à une révision déchirante de l’univers et de la pratique de la recherche économique.

En somme, il est question d’un dossier d’instruction. Ainsi, pour l’auteur, il y est ouvert une instruction sur les fondements épistémologiques et la pratique méthodologique de la théorie économique universitaire. Il signe et persiste : l’ordre économique nouveau est libéral. Il est en rupture de bancs avec tous les passés africains. Ses couleurs se déclinent suivant les coins et les époques : libéral-pillard, libéral-négrier, libéral-colonial, libéral-étatique, libéral-privé, libéral-social, libéral-marxiste, libéral-chrétien, libéral-libéral…

Q2. Quel est le problème posé dans l’élaboration de cet ouvrage ?

De bien grands problèmes s’agitent en Afrique, et tiennent tous les esprits en éveil. La débâcle économique, financière, humanitaire est, aujourd’hui comme hier, évidente sur le continent. L’auteur réfute le psittacisme mimétique de la pratique de l’économie officielle sur le continent, prétendant connaitre tout, répondre à tout, et expliquer tout alors que champs de ruine et désolation gouvernent l’Afrique!

Le travail des économistes-conventionnels en Afrique et ce qu'ils en disent relève-t-il d'une cohérence en profondeur ? L'économie, comme science sociale, est-elle réellement  au service de la société, et si oui, de quelle manière et pour quelle société ? 

En effet, l’auteur est formel : l’économie conventionnelle ne donne aucun éclairage théorique, par exemple, sur les ruptures et mutations systémiques ; et son paradigme dominant accuse de l’impuissance heuristique foncière. Ce paradigme néoclassique, inchangé depuis la seconde moitié du 19è siècle a envahi les universités et les centres de recherche en Afrique et dans le monde, condamnant ainsi l’Afrique à ne jamais lui poser d’autres questions que celles auxquelles il est préparé à répondre, et à ne les lui poser que sous la seule forme sous laquelle il est outillé à répondre.

C’est pourquoi, cet essai tente de contribuer à mettre plus de cohérence, en confrontant le paradigme le plus dominant et le plus rédhibitoire aux postulats, principes, règles, outils conceptuels et protocoles de validation généralement acceptés par la communauté scientifique de notre temps. Il est donc question de la méthodologie en recherche économique solidement chevillée à l’épistémologie.

Q3. Quelle est la thèse générale du texte ?

Face à la pensée propre de l’économisme, l’auteur soulève des questions majeures sur la réfutation de l’héritage épistémologique et méthodologique de l’économie conventionnelle sur le continent. Cet essai présente et examine les faiblesses heuristiques de la philosophie économique néoclassique responsable de la coproduction de la position subalterne des chercheurs économistes et universitaires africains face à leurs pairs. Sous l’éclairage des savoirs appartenant à plusieurs sciences, l’auteur pose la thèse de la nécessité d’une révision de l’univers et de la pratique de la recherche économique. Le chercheur économiste africain est appelé à se former une opinion personnelle sur l’art de se poser de vraies questions scientifiques et sur les méthodes auxquelles recourir, dans chaque cas pratique, pour y rechercher des solutions.

Q4. Quelles sont les idées principales de l’auteur ?

Rédigé avec un style de précision du propos et d’intelligibilité élaborée des explications, l’auteur ne s’est pas résigné sur les moyens pour présenter ses idées et rendre plus fluide la compréhension du lecteur. Avec un humour sans pareil, le lecteur sera édifié davantage en découvrant les exemples, les annexes, et les anecdotes contextualisés que l’auteur évoque pour relever la pertinence de ses écrits. En effet, les idées principales peuvent se rapporter utilement aux parties de l’ouvrage de la manière suivante :

-   L’auteur dresse l’état des lieux de la science économique, vue d’Afrique. Il rend compte spécifiquement de sa crise d’explication et de prévision, ou son incapacité épistémologique originelle à théoriser le mouvement en général et en particulier la transition socio-économique de sous-développement au développement ;

-  Examen critique du regard général et des postulats que se donne la profession économiste sur l’univers, la société et l’économie.il est question de percer le secret du savoir en vigueur dans ce domaine et d’y situer sa propre pratique scientifique, préalablement et correctement appréciée ;

-  Examen proprement dit, en Economie et accessoirement dans d’autres domaines du savoir, des principales étapes qui jalonnent la démarche scientifique ;

- Il inventorie et expose les méthodes les plus courantes en économie et sciences sociales i.e les méthodes descriptives (qui ont un intérêt et une portée exploratoire)

-  Il analyse les méthodes explicatives qui sont à portée essentiellement interprétative et prédictive. Parmi ces méthodes, l'auteur au fonctionnalisme, au structuralisme, à la cybernétique et à la dialectique ;

- L’auteur évalue en dernière partie de son œuvre les avancées portées par cet ouvrage, il relève aussi les lacunes et les limites de l’essai et esquisse les perspectives ouvertes de l’œuvre, notamment sur la recherche épistémologique et méthodologique en économie sur le continent.

En conclusion, que doit retenir la jeunesse africaine, à qui cet ouvrage est dédié, et quel écho en faire ?

Avec la publication de cet ouvrage, le Professeur KABEYA TSHIIKUKU tire l’attention de la jeunesse africaine, en particulier les chercheurs économistes, sur l’épistémologie et la méthodologie qui doit guider leurs pas à la découverte scientifique.

Il l’interpelle de la manière suivante : A l’heure de l’internet et du copier-coller, ils sont nombreux les jeunes économistes – chercheurs en Afrique qui piquent sur la toile leurs problèmes scientifiques en même temps que leurs solutions. En quels termes précis, et pour qui, de sujets de leurs analyses constituent-ils des problèmes à poser à la réflexion scientifique ?

Cheik Anta Diop ne disait-il pas : « A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents ».

A l’instar de Frantz Fanon qui disait : « Chaque génération, découvre sa mission, l’accompli ou la trahit », l’auteur convie la jeune génération des chercheurs économistes africains à rechercher la voie de la vérité scientifique tout en se posant de vraies et véritables questions sur sa condition.