LA PRESTATION DE SERMENT PAR LES JUGES CONSTITUTIONNELS DE LA RDC : LE ROLE DU PARLEMENT

Photo d'illustration/ACTUALITE.CD

Par

Joseph CIHUNDA HENGELELA, Jean MAPELA KAHUNGA

Clément SHAMASHANGA MINGA

Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique

CREEDA (www.creeda-rdc.org)

Introduction

La controverse autour de la nomination de trois nouveaux membres à la Cour constitutionnelle (CC) par l'Ordonnance n°20/116 du 17 juillet 2020 a fini par impacter le processus de leur prestation de serment. En effet, à l’issue de l’audience leur accordée par le Président de la République autour de la problématique, les Présidents de deux chambres parlementaires ont affirmé leur attachement aux textes juridiques. Cela insinue que cette nomination ne leur parait pas régulière. Mais, le point de vue des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat n’est pas partagé par le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM). Car, à la suite également de l’audience que le Président de la République leur a accordée, cet organe de gestion de la carrière des magistrats par l’intermédiaire de son Président intérimaire a déclaré que : « les juges récemment nommés prêteront serment incessamment devant le chef de l’État (…) ». Il s’en suit que l’institution Pouvoir judiciaire est prête pour cette prestation de serment desdits hauts magistrats nommés par le Président de la République. 

La position de deux Présidents de chambres parlementaires se fonde sur le rôle du Parlement dans le processus de prestation de serment. La conception qu’ils se font de ce rôle peut être considérée comme un moyen pour empêcher le déroulement de cette cérémonie. Pour donner de la voix sur la question, il nous a paru important de rappeler le prescrit légal en rapport à la prestation de serment des membres de la CC.

Portée de l’alinéa 1 de l’article 10 de la Loi n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle

L’alinéa 1 de l’article 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle (CC) dispose qu’

Avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau. Ils prêtent serment devant le Président de la République…Le Président de la République leur en donne acte.

 

Cette disposition bien que claire appelle un commentaire en faveur de l’opinion publique pour contribuer à réduire la portée de la manipulation politique de cette question de la prestation de serment par les juges constitutionnels. Pour mieux la comprendre, c'est-à-dire en saisir sa portée exacte, il faut répondre aux questions suivantes : qu’est-ce qui présente ces membres à la nation et qui représente la nation dont il est question lors de cette cérémonie ? Cette question ramène à celle de connaitre le rôle des institutions énumérées par le législateur, à savoir le Président de la République, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau. Il en est autant de celle qui consiste à être fixé sur le lieu où organiser cette cérémonie de prestation de serment. 

Sur la personne ou l’institution appelée à présenter les nouveaux membres de la Cour constitutionnelle à la nation, il importe de relever qu’aucune précision n’est donnée par la disposition de l’article 10 de la Loi organique sus évoquée. Devant le silence du législateur, le recours à la pratique en ce qui concerne la prestation de serment, en général, et celle de membres de la CC, en particulier, aiderait à éclairer cette disposition légale.

Toutes les cérémonies de prestation de serment par les membres de la CC sont organisées par le Protocole d’Etat attaché à la Présidence de la République. C’est le conseiller principal au Collègue des conseillers juridiques qui modère la séance. Il ne faut pas non plus oublier que la séance de la prestation de serment des membres de la CC et du Parquet général y rattaché ne se déroule pas lors d’un Congrès parlementaire, même si elle se déroule au Palais du Peuple devant les députés nationaux et les sénateurs. En tout état de cause, le serment ainsi prêté est un engagement et une obligation matérialisant la vertu des femmes et des hommes qui appliquent la règle de droit. Car, sans cette vertu de ces  professionnels du droit, la règle du droit n’est rien. Chaque individu étant le gardien de ses propres valeurs et chaque professionnel, celui des valeurs de sa profession, par le serment, il proclame solennellement son adhésion à ces valeurs et s’engage à les protéger, autant à l’égard de ses pairs que de la société tout entière. Comme pour dire qu’en prêtant serment, on adhère à un système éthique. On ne peut qu’en dire autant pour la prestation de serment faite par les membres de la CC avant leur entrée en fonction.

Palais du peuple, siège de l'Assemblée nationale
Palais du peuple, siège de l'Assemblée nationale

Si on a une idée relativement claire sur la direction de cette cérémonie et sur le format de sa tenue qui n’est pas le Congrès parlementaire, il reste à déterminer les personnes qui représentent la Nation. Pour rappel,  la disposition de l’alinéa 1 de l’article 10 de la Loi organique susmentionnée exige que  les membres de la Cour soient présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau.

Une fois de plus, le législateur organique ne précise pas avec netteté l’identité de ces  représentants de la nation. Il y a lieu, cependant, de considérer que les invités à cette cérémonie soient ceux qui représentent cette nation. Cela est plus plausible pour le Président de la République et l’Assemblée nationale. Pour le premier, le fait pour lui de représenter la Nation ne fait l’ombre d’aucun doute, car aux termes de la disposition de l’article 69 de la Constitution, le Président de la République qui est le Chef de l’Etat représente la Nation et il est le symbole de l’unité nationale. C’est ce qui en fait le garant de l’indépendance et de la souveraineté nationale.

Pour l’Assemblée nationale, il appert de noter que ce sont ses membres, députés nationaux, qui représentent la Nation. Il n’est pas le cas pour les membres du Sénat, sénateurs, qui représentent leurs provinces respectives. Cependant, étant donné que leur mandat est national, ils sont aussi considérés comme représentant cette Nation. On peut en dire autant du CSM représenté par son Bureau, car comme on le sait, cet organe est constitutionnellement établi pour gérer le pouvoir judiciaire qui a reçu la mission de rendre la justice au nom du peuple. 

En plus de ces quatre institutions nommément citées dans la disposition de cette Loi organique qui n’ont pas toutes le même rôle, il faut noter que les invités provenant des forces vives de la nation, entre les organisations de la Société civile, les spectateurs et les auditeurs qui suivent la cérémonie en direct à la télévision et à la radio font partie de cette Nation et, en sont également les représentants. 

Rôle des parties prenantes à la cérémonie de prestation de serment des membres de la CC

Le premier rôle pour les quatre institutions, est celui d’être devant et sur la scène sur laquelle ces membres de la Cour sont présentés à la nation. Ce premier rôle passif leur est commun.  Le deuxième rôle qui est exclusivement dévolu au Président de la République est celui de la réception dudit serment. Et, ce rôle  se veut actif dans la mesure où à la fin de cette prestation du serment qui est une profession de foi des valeurs qu’ils sont appelés à user  et à défendre tout au long de l’exercice de leur fonction des membres de la CC, le Président de la République « leur en donne acte ». On comprend dès lors que s’il n’en donne pas acte, les membres de la Cour ne pourront entrer en fonction et exercer en cette qualité. Mais aussi, il faut le souligner, le Président de la République a l’obligation légale d’en donner acte.

Ainsi, au regard de la pratique précédemment évoquée en ce qui concerne la prestation de serment des membres de la CC et ceux du Parquet général près cette juridiction qui a  lieu au Palais du Peuple et organisée par le protocole d’Etat dépendant de la Présidence de la République, l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont de rôle actif que de disposer du lieu pour la cérémonie. Cependant, la fixation du lieu de la prestation ne relevant pas d’une obligation légale, ce rôle actif est marginal. Il s’en suit que le lieu de cette prestation de serment peut être délocalisé sans enfreindre une quelconque disposition légale et sans donner lieu à une quelconque « guerre des Palais », en l’occurrence le Palais du peuple contre le Palais de la Nation.

Ambigüité de la position d’une frange des parlementaires  

Cela étant, si pour le Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) d’où émane les deux nouveaux juges (dont une femme) et du Président de la République qui en a désigné un troisième, en plus de tous les nommer, il ne subsiste aucun obstacle pour la prestation de serment, ce n’est pas le cas pour l’Assemblée nationale et le Sénat où certaines forces politiques de la majorité parlementaire ont exprimé des inquiétudes à la suite de ces nominations à la CC. Certaines d’entre elles sont même allées plus loin jusqu’à vouloir enclencher une procédure de prise à partie de cinq juges constitutionnels, une procédure qui ne leur est pas, par ailleurs, applicable. C’est dans cette optique que se situe l’« attachement à la légalité » évoqué par les Présidents des chambres parlementaires.

Devant toutes ces velléités qui ont retardé la prestation de serment de ces juges et partant, le blocage du fonctionnement de la CC, le rappel de ces différents rôles des parties prenantes, notamment le rôle passif réservé à l’Assemblée nationale et au Sénat qui est, du reste, équivalant à celui du Bureau du CSM permet de répondre à la question cruciale de savoir si l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent refuser de participer à la prestation de serment de membres de la CC.  Pour y répondre, il convient de relever que la Loi organique sur la CC ne donne aucune possibilité à l’Assemblée nationale et au Sénat de refuser de participer à une telle cérémonie. Si un tel refus était envisageable, une telle décision devait émaner de la plénière et non des Présidents de ces deux chambres parlementaires. Encore que ce refus serait une violation de l’article 10 de la LOCC par le législateur lui-même. 

Mais, si certains parlementaires estiment que les ordonnances présidentielles incriminées sont inconstitutionnelles, il ne leur appartient pas d’en apprécier la conformité à la Constitution. Car, cette compétence constitutionnelle est exclusivement réservée à la CC, qui ne peut actuellement siéger en raison de l’infériorité du quorum minimum requis, soit sept de ses membres en fonction. Elle ne peut, dans ces conditions, valablement  siéger pour statuer sur la conformité à la Constitution des ordonnances présidentielles ainsi contestées. Une autre possibilité qui s’offre aux parlementaires est de saisir le Conseil d’Etat (CE) pour lui demander de statuer sur la légalité de la prestation de serment par les trois nouveaux juges constitutionnels. 

Conclusion

La prestation de serment par les nouveaux juges constitutionnels paraît, pour ce faire, nécessaire et urgente pour permettre à la CC de fonctionner normalement afin de garantir l’Etat de droit. Il est important que les animateurs des institutions publiques puissent privilégier la paix et la cohésion nationales en évitant des confrontations inutiles qui font perdre à l’Etat du temps et des énergies nécessaires pour son développement économique et social, plus particulièrement en ce temps difficile de la pandémie à Covid-19.

Dans l’intérêt de la consolidation de l’Etat de droit, tous ceux qui estiment que les ordonnances du Président de la République nommant les membres de la CC sont irrégulières doivent saisir le juge compétent en la matière. Saisir la Cour constitutionnelle ou le cas échéant, le Conseil d’Etat pour l’interprétation de l’article 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Quant au Président de la République, il doit, toujours veiller « au respect de la Constitution » et au « fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat » conformément à l’article 69 de cette Constitution