Les victimes de la répression du précédent régime demandent à Tshisekedi de virer Roger Kibelisa

Photo ACTUALITE.CD

Les victimes de la répression du régime précédent, pour la plupart membres des mouvements citoyens, anciennement détenus dans les cachots l’Agence nationale de renseignements (ANR), demandent au nouveau chef de l’Etat de n’accorder aucun poste de responsabilité aux auteurs de violations graves des droits de l'homme. Dans une lettre ouverte adressée à Félix Tshisekedi et dévoilée mardi 9 avril, ces jeunes citent le cas de Roger Kibelisa, sous sanctions de l'Union européenne (UE), qui a été nommé assistant principal de François Beya Kasongo, conseiller spécial en matières de sécurité de Félix Tshisekedi.

Chef du département de la sécurité intérieure à l’ANR, Kibelisa avait été sanctionné, le 12 décembre, par l’UE, avec 6 autres membres de l'appareil sécuritaire congolais. Ils avaient été ciblés pour leur rôle dans la "chaîne de commandement des auteurs de violences" qui avaient causé la mort d'au moins 50 manifestants de l'opposition les 19 et 20 septembre 2016, à Kinshasa.

 

Kinshasa, le 09 avril 2019

Lettre publique à Monsieur Félix TSHISEKEDI,

Président de la République Démocratique du Congo

à Kinshasa/Gombe

Objet : Requête tendant à rapporter l’ordonnance présidentielle portant nomination de monsieur Roger KIBELISA en tant qu’Assistant Principal du Conseiller Spécial du Président de la République en matière de sécurité

Monsieur le Président de la République,

Nous, victimes de la répression politique qui a caractérisé les trois dernières années au pouvoir de votre prédécesseur, vous adressons cette correspondance afin de vous solliciter de rapporter l’ordonnance présidentielle nommant à la fonction d’Assistant Principal de votre Conseiller Spécial en matière de sécurité, Monsieur Roger KIBELISA, précédemment chef du département de la sécurité intérieure à l’Agence nationale de renseignements (ANR).  

En effet, notre sombre et commune référence demeure, entre autres, le fait d’avoir été détenu dans des conditions inhumaines par l’Agence Nationale de Renseignements dans le cachot appelé 3 ZOULOU (3Z) : une des zones de non-droit qui échappe ou échappait au contrôle du pouvoir judiciaire.

Monsieur le Président de la République, il nous parait pertinent de rappeler à votre bienveillante attention que sous l’ancien régime, Monsieur KIBELISA a été sur le plan intellectuel et opérationnel, la cheville ouvrière de la répression visant à faire taire toutes les voix qui s’opposaient à une prolongation de mandat du Président Joseph Kabila au-delà de la limite lui accordée par la Constitution en procédant à des arrestations arbitraires, des détentions au secret et des traitements inhumains et dégradants à l’endroit des dizaines d’activistes des droits humains, des militants des mouvements citoyens et des opposants.

Par ailleurs, nous avons également appris par voie de presse le départ de Monsieur Kalev Mutondo, Administrateur Général de l’ANR sous le régime précédent et son remplacement par son adjoint, Monsieur Inzun Kakiat. Le départ du désormais ex Administrateur Général, ayant fait de cette institution durant ces dernières années une machine de répression politique, est une excellente nouvelle. Cependant, son remplacement par un cadre qui a fait partie du noyau du système de répression, n’offre aucune garantie de changement dans ce secteur.  

Nous croyons que l’Agence nationale des renseignements dispose en son sein de plusieurs autres compétences, qui ont sacrifié leur vie pour l’intérêt de la nation et qui ne sont pas impliqués dans les violations des droits humains. Ceux-là, Monsieur le Président, peuvent rendre des loyaux service à la nation. Pour ce faire, nous vous encourageons à consulter vos services afin de découvrir des personnes dont les profils ne sont pas associés à des abus graves des droits humains.

Monsieur le Président de la République, qu’il nous soit permis de rappeler brièvement le contexte factuel de ces arrestations et ces détentions.

Arrêtés, enlevés et détenus illégalement pour la plupart d’entre nous pendant des réunions, marches ou autres manifestations pacifiques entre 2015 et 2018, nous étions privés de voir nos familles - parents, épouses, enfants, frères et sœurs - sans en connaître au départ le motif. Une fois transférés ou conduits à 3Z, la phrase qui nous était répétée à l’arrivée était : « Ici vous n’avez droit ni à un avocat ni à un membre de famille».

Nous étions détenus dans des cellules sombres où les rayons de lumière ne pouvaient passer que soit par une petite fenêtre située à côté de la porte métallique, soit sur la partie supérieure semi-ouverte de la porte ou définitivement sans aucune possibilité de lumière pour l’une des 6 cellules que regorgent le fameux cachot de 3Z. Nous dormions à même le sol parmi des punaises et des cafards, ou sur des morceaux des cartons des chinchards que les gardiens nous jetaient dans les cellules après leur usage à la cuisine et qui nous servaient de matelas.  

Certaines cellules peintes en rouge du plafond jusqu’au mur, mesurant à peu près entre 3 sur 5 mètres de longueur abritaient parfois jusqu’à 25 détenus, pour 5 mètres carrés, 32 détenus. Nous étions sous-nourris et sans moindre prise en charge médicale adéquate.

L’épisode à 3Z se clôturait généralement par un transfert soit au quartier général de l’Agence nationale des renseignements où certains d’entre nous ont été torturés, y compris avec des matraques électriques, des passages à tabac, suivi de simulation de noyades et bains glacés. Soit, nous étions transférés au Parquet Général de la République, à la prison centrale de Kinshasa ou à la prison militaire de Ndolo où les motifs de notre arrestation arbitraire nous étaient communiqués à travers des procès consacrant un déni de justice. Un des nôtres a rendu l’âme à cause des longues maladies dont il a souffert de suite de mauvaises conditions de détention au sein de l’ANR depuis son arrestation. Nos pensées vont ici à notre frère, Jean-Louis Ernest KYAVIRO, ancien président fédéral du parti politique de l’opposition RCD/KML et ancien député national.

Voilà les œuvres dont Monsieur Roger KIBELISA, votre proche collaborateur en matière de sécurité, a été l’un des auteurs intellectuels. 

Monsieur le Président de la République, lors de votre séjour aux Etats-Unis, vous avez promis sans détours de déboulonner le système dictatorial de Kabila.

Il s’agit là d’une forte promesse que nous apprécions à sa juste valeur.

Seulement, quelques éléments questionnent notre conscience citoyenne en ce qui concerne votre réelle volonté de rupture d’avec le système et les pratiques du précédent régime.

Comment associer à votre nouvelle administration des personnes sur qui pèsent clairement des allégations et sanctions internationales pour violations graves des droits humains ?

En ce sens, nous nous permettons de rappeler à votre Autorité que Monsieur KIBELISA a été sanctionné le 12 décembre 2016 par l’Union Européenne, l’une des partenaires de la République Démocratique du Congo, pour avoir « fait obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d'élections en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d'incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l'état de droit ».

Comment établir un Etat de droit et déboulonner un système avec, comme proches collaborateurs, les intelligences et les géniteurs de ce même système oppresseur et prédateur des droits et libertés fondamentaux ?

Dans un tel contexte, pourrions-nous espérer à une rupture qui nous mènera véritablement vers un Etat respectueux des valeurs démocratiques ?

Monsieur le Président de la République, nous nous rappelons que lors de différentes marches pacifiques et autres manifestations durant ces dernières années, vous étiez aux cotés du peuple pour réclamer l’alternance pacifique au sommet de l’Etat. Vous étiez vous-même victime de la répression barbare des forces de sécurité lors de dernières marches pacifiques organisées par le comité laïc de coordination où des dizaines de congolais ont perdu leur vie. A ce jour, primer ceux qui ont ordonné ou participé à une telle répression, revient à souiller la mémoire de nos compatriotes.

Monsieur le Président de la République, le slogan lié à votre mandat c’est « le peuple d’abord », ce qui implique que toute décision que vous prenez en tant que garant de la nation, devrait aller dans le sens de faire de l’intérêt de la population congolaise, votre priorité.

Ainsi, relever Monsieur KIBELISA de ses nouvelles fonctions au niveau de votre cabinet, et s’assurer de ne pas affecter d’autres violateurs des droits de l’homme à des postes de responsabilité, serait tant soit peu nous faire justice. Passer outre cette demande, nous renverrait au fait que nous ne pouvons espérer durant votre mandat à une juste rupture avec l’ancien système qui a opprimé le peuple.

La justice est un processus long et laborieux. Nous vous invitons instamment à faire le premier pas dans ce processus. De ce fait, vous enverrez un signal fort au peuple congolais ! 

Sur ce, en tant que victimes, nous nous réservons le droit de saisir les instances judiciaires compétentes et d’user de toutes les voies constitutionnelles, conventionnelles et légales afin de faire entendre notre cause.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre parfaite considération.

 

Copie pour information à :

  • Monsieur Vital KAMERHE, Directeur de Cabinet du Président de la République ;
  • Monsieur François BEYA, Conseiller Spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter :

  1. Chris SHEMATSI

Mouvement citoyen Compte à Rebours

Téléphone : +243824579404

Email : [email protected]

 

  1. Carbone BENI

Mouvement citoyen FILIMBI

Téléphone : +243840701135

Email : [email protected]

  1. Bienvenu MATUMO

Mouvement citoyen Lucha

Téléphone : +33 75 30 11 768

Email : [email protected]

 

Liste des signataires tous détenus au cachot 3Z en marge de la répression politique entre 2015 et 2018 :

  1. Bienvenu Matumo, activiste du mouvement citoyen Lucha, 4 jours (8 – 12 août 2015)
  2. Marc Héritier Kapitene, activiste de la Lucha, 3 jours (16-19 février 2016)
  3. Yves Makwambala, webmaster et activiste du mouvement citoyen Lucha, 40 jours (15 mars- 24 avril 2015)
  4. Patrick Musasa, activiste du mouvement citoyen Lucha, 44 jours (26 décembre 2016 - 8 février 2017)
  5. Carbone Beni, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 15 jours (27 décembre 2016 - 11 janvier 2017) ; 5 mois et 1 semaine (30 décembre 2017 – 7 juin 2018)
  6. Grâce Tshunza, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 5 mois et 1 semaine (30 décembre 2017 – 7 juin 2018)
  7. Cédric Kalonji, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 5 mois et 1 semaine (30 décembre 2017 – 7 juin 2018)
  8. Mino Bompomi, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 5 mois et 1 semaine (30 décembre 2017 – 7 juin 2018)
  9. Jean de Dieu Kilima, Étudiant, membre de la coordination du Front Citoyen 2016 et activiste de Filimbi, 6 jours (12 -18 juillet 2016)
  10. Chris Shematsi, activiste du mouvement citoyen Compte à Rebours, 44 jours (26 décembre 2016 -8 février 2017)
  11. John Ngandu, activiste du mouvement citoyen Compte à Rebours, 44 jours (26 décembre 2016 -8 février 2017)
  12. Samuel Bosasele, activiste du mouvement citoyen de Compte à Rebours, 44 jours (26 décembre 2016 -8 février 2017)
  13. Robert Syla, ancien président des étudiants de l’Institut supérieur des techniques appliquées (ISTA), 44 jours (26 décembre 2016 -8 février 2017)
  14. José Mbala, membre de l’organisation des anciens étudiants de l’Université pédagogique nationale (UPN), 44 jours (26 décembre 2016 -8 février 2017)
  15. Gloria Sengha, activiste du mouvement citoyen Vigilance citoyenne (VICI), 1 jour (26 décembre2016 - 27 décembre 2016)
  16. Arsène Katolo, activiste du mouvement citoyen Le Congolais Débout (LCD), 86 jours (12 septembre-07 décembre 2018)
  17. Miko Gboto, activiste du mouvement citoyen Le Congolais Débout (LCD), 86 jours (12 septembre-07 décembre 2018)
  18. Oto Shaminga, activiste du mouvement citoyen Le Congolais Débout (LCD), 86 jours (12 septembre-07 décembre 2018)
  19. Alain Muwaka, activiste du mouvement citoyen Le Congolais Débout (LCD), 86 jours (12 septembre-07 décembre 2018)
  20. Veuve Aline Engbe Kyaviro pour le compte de son défunt époux, Jean-Louis Ernest Kyaviro, dirigeant d’un parti politique de l’opposition, 86 jours (23 janvier - 16 avril 2015) ; décédé le 18 janvier 2019
  21. Gires Bangomisa, étudiant, plus de 9 mois (28 mars - 7 décembre 2015)
  22. Joel Bukuru, étudiant, plus de 9 mois (28 mars - 7 décembre 2015)

 

Liste des signataires tous détenus au quartier Général de l’ANR en marge de la répression politique entre 2015 et 2018 :

  1. Carbone Beni, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 1 jour (26 décembre 2016)
  2. Bienvenu Matumo, activiste du mouvement citoyen Lucha, 3 jours (16-19 février 2016)
  3. Fred Bauma, activiste de la Lucha, 50 jours (15 mars- 4 mai 2015)
  4. Palmer Kabeya, activiste du mouvement citoyen Filimbi, 43 Jours (03 avril- 06 juin 2018)
  5. Patrick Amani Mundeke, Auditeur comptable et vice-Président national de la ligue des jeunes du parti politique Mouvement Social pour le Renouveau (MSR) à Goma, 98 jours (23 janvier-30 avril 2015)
  6. Paulin Lody, membre du parti politique d’opposition FONUS, 1 mois (4 novembre - 3 décembre 2015)
  7. Remy Manguamba, vice-président de UJCC, 32 jours (15 septembre - 17 octobre 2016)
  8. Totoro Mukenge, président de la plateforme de réflexion Union des Jeunes Congolais pour le Changement (UJCC), 77 jours (15 septembre - 1er décembre 2016)