Corruption des députés provinciaux : la « guerre » des juristes

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Le 15 mars 2019, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) rend publics les résultats des élections sénatoriales. Au finish : le bilan est catastrophique pour l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) – le parti du chef de l’Etat, Félix Antoine Tshisekedi. Aucun sénateur élu à Kinshasa où le parti compte pourtant douze députés provinciaux et un seul sur l’ensemble du territoire national. Comment comprendre sur le plan juridique les faits (allégations de corruption) imputés aux députés provinciaux et aux candidats sénateurs, mais aussi les mesures prises à l’issue de la réunion interinstitutionnelle ? Réactions de quelques juristes.

Très mécontents des résultats obtenus par leur parti, les combattants de l’UDPS vont descendre dans la rue à Kinshasa, mais surtout à Mbuji-Mayi, chef-lieu de la province du Kasaï Oriental. Des maisons des députés provinciaux incendiées et un mort, tel est le bilan de ces incidents dans la ville de Mbuji-Mayi.

C’est dans cette ambiance troublée que Jean-Marc Kabund, président ad interim, et Me Peter Kazadi, cadres de l’UDPS, accuseront leurs députés provinciaux d’avoir été corrompus par certains candidats sénateurs. Le parti a même porté plainte contre ses propres élus. Parties de l’UDPS, les rumeurs sur la corruption des députés provinciaux par des candidats sénateurs, se sont répandues dans presque tous les camps politiques.

La réaction du chef de l’Etat

Vue l’ampleur de la situation, vécue sur terrain, le chef de l’Etat congolais, Félix Antoine Tshisekedi, avait appelé les combattants de son parti au calme. Dans la foulée, il annonçait la convocation d’une réunion interinstitutionnelle à l’issue de laquelle allait prendre de « grandes décisions». 

Comme annoncé, trois grandes décisions avaient été prises à l’issue de la réunion interinstitutionnelle tenue le 18 mars 2019 à la Cité de l’Union Africaine. Primo : la suspension de l’installation du Sénat. Secundo : report de l’élection des gouverneurs de province/ Tertio : ouvrir des enquêtes par le Procureur Général de la République sur les allégations sur la corruption.

Circonscrire les allégations sur la corruption

Comment comprendre sur le plan juridique les faits (allégations de corruption) imputés aux députés provinciaux et aux candidats sénateurs, mais aussi les mesures prises à l’issue de la réunion interinstitutionnelle ?

Professeur de Droit à l’Université de Kinshasa (Unikin) et cadre de la plate-forme Ensemble pour le changement, Sam Bokolombe a donné son point de vue dans une réflexion publiée sur sa page Facebook. Pour lui, « l’Etat de droit que chacun appelle de ses vœux ne s’accommode pas avecf les états d’âme et ne doit pas être partisan et clientéliste ». «Ses règles, s’imposent envers et contre tous, gouvernants comme gouvernés, poursuit-il. Prendre des libertés quant à ce risque d’aggraver la tension ambiante que les élections présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018 dernier n’ont pas fini de provoquer sur fond de la vérité des urnes ».

« Si hier, l’on a à maintes fois reproché à la kabilie de violer intentionnellement la Constitution, ce n’est pas aujourd’hui que l’on s’y inclinerait. L’on ne peut, sauf cas de force majeure, état de guerre ou de siège, suspendre le processus électoral et différer la mise en place des institutions et ce, sur décision d’une structure de fait et incompétente qu’est la réunion interinstitutionnelle. C’est d’une énorme et flagrante inconstitutionnalité », fait remarquer Sam Bokolombe.

Quid des enquêtes sur la corruption ?

Quant aux enquêtes sur les allégations de corruption, Sam Bokolombe avait souligné formellement que celles-ci étaient opportunes et légitimes dans le souci de moraliser la vie publique. Pour lui, elles auraient pu également être diligentées à l’occasion des présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018.

Considérant l’ampleur de la corruption en République Démocratique du Congo, Sam Bokolombe reconnait que ce fléau social est devenu un véritable phénomène endémique dans l’environnement politique congolais. Néanmoins, il fait remarquer que « prendre aujourd’hui la corruption supposée des sénatoriales comme prétexte d’énerver le processus électoral et la mise en place des institutions semble grotesque et donne l’impression de vouloir prolonger l’inertie actuelle ».

Cependant, Sam Bokolombe est convaincu que ça ne coûte rien de faire proprement les choses conformément à la Constitution en respectant, bon gré mal gré, les attributions de chaque institution. Notamment, à la CENI, la poursuite du processus électoral et aux Cours et Tribunaux, les enquêtes et éventuelles poursuites judiciaires des suspects pour corruption. «Sinon, l’on s’engage sur une pente glissante, celle de haute trahison pour tentative de coup d’Etat. Il est temps de se ressaisir. Gérer la République ne doit pas ressembler à une scène de vaudeville ou d’opérette. Il sied de mesurer la gravité de ses responsabilités et d’en être conséquents», conclut Sam Bokolombe.

Pour sa part, Néhémie Mwilanya, avocat de son état et Coordonnateur du Font Commun pour le Congo (FCC), a rappelé que « la Constitution confère à la seule Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) la compétence d’organiser les élections».  «C’est donc exclusivement à cette structure indépendante que revient la charge de fixer le calendrier électoral et, le cas échéant, de le modifier », a-t-il expliqué.      

                       RKM