Dans une tribune envoyée exclusivement à ACTUALITE.CD, l’eurodéputée Cécile Kyenge analyse le jeu politique congolais après la signature de l’Accord du 31 décembre. De l’arrangement particulier aux manœuvres des uns et des autres pour retarder la mise en œuvre de ce compromis politique, Cécile Kyenge n’a pas mâché ses mots.
<strong><em>Tribune.</em></strong>
Depuis les accords de la Saint Sylvestre, salués par tous, la RDC est rentrée des plus belles dans la rhétorique intellectualiste, purement abstraite et peu concluante. On assiste désormais à un combat discursif qui, moyennant des concepts creux, autorise les uns et les autres à élaborer des interprétations les plus surprenantes des textes de l’accord qui paraissaient pourtant si clairement énoncés.
Face à des dignitaires du régime en place, venus à Bruxelles pour des raisons certainement valables, nous avons à peine retenu nos émotions, tellement elles étaient sollicitées. L’argumentaire gouvernemental confectionné pour essayer de justifier le renvoi <strong><em>sine die</em></strong> de l’application des accords du 31 décembre frisant en effet, de temps en temps, un mélange du grotesque et du ridicule.
Selon les propos du fondé du pouvoir de l’instance faîtière de l’Assemblée nationale, par ailleurs dirigeant de premier ordre de la majorité présidentielle, le principal point d’achoppement qui fait trébucher les accords, c’est le « nom » du titulaire de la Primature. Que l’accord ait stipulé que le Premier Ministre serait indiqué par le camp adverse, notamment par le Rassemblement, l’exposant gouvernemental ne le dément pas. Mais <em>« nous avons demandé que le rassemblement présente 10 noms afin que nous puissions choisir un nom parmi les 10 »</em>, dira-t-il sans hésitations. Le choix du premier Ministre semblait donc devoir s’opérer à travers une espèce de tirage au sort présidentiel. Puisque le Rassemblement s’entête à ne présenter qu’un seul nom, <em>« nous leur avons demandé d’en présenter trois. Nous en sommes à ce point, depuis 3 mois »</em>. Félicitation !
Entre nous députés européens, nous-nous attendions que la rencontre du dignitaire congolais fût caractérisée par une présentation de haute facture sur leur habilité à résoudre la crise qu’elles ont contribué à faire naître. Nous avons par contre été projetés, pieds et poings liés, dans la pitoyable représentation d’une espèce de querelle entre adolescents récalcitrants, rivalisant d’entêtement. Un jeu d’autant plus inconscient qu’il met en danger l’avenir d’un pays de plus de 80 millions d’habitants, aujourd’hui livrés à l’insécurité.
Dix noms, ou seulement trois noms, ou finalement un seul nom pour la primature, ça peut être un jeu intéressant, mais on devrait se douter du fait qu’une telle discussion compromet irrémédiablement la dignité des interlocuteurs, qui paraissent engagés dans un jeu de dupes.
Dans les rues de Kinshasa, les populations savent si bien qualifier ces actes lorsqu’elles disent : <em>« on veut rouler tout le monde dans la poussière »</em> ! C’est bien ça la sensation que certaines explications provoquent. Tenez : l’accord de la Saint Sylvestre que les politiciens congolais ont signé devant les évêques n’était qu’un « accord cadre », qui aurait nécessité des arrangements particuliers pour sa mise en œuvre. Bien sûr, les arrangements particuliers, ce sont de nouveaux accords, à définir sur les accords précédents, pour lesquels les politiciens congolais ne sont plus totalement d’accord. Le pays se trouve ainsi obligé à assister à un exercice sémantique acrobatique, qui n’est pas sans rappeler les interminables disputes sophistes d’antan, débouchant sur des apories. Mêmes les plus intelligents en sortent paralysés, incapables d’y comprendre quoi que ce soit.
En ce début d’année, moment où dans tous les pays démocratiques, les gouvernants sont aux prises avec la définition des modalités d’exécution des budgets annuels, pour le développement et le bien-être de leurs citoyens, les autorités congolaises se passionnent de la scolastique constitutionnaliste dont le caractère autoréférentiel la rend imperméable aux vrais besoins des citoyens.
Les accords de la Saint Sylvestre, avons-nous appris, étaient basés sur un principe : <em>« on devait les appliquer tout en respectant scrupuleusement la Constitution congolaise ».</em> Telle est la position singulière des dirigeants de la RDC face aux députés européens. Que les accords soient intervenus parce que la Constitution n’avait pas été respectée, notamment sur le terme des mandats, nous étions les seuls à le soutenir.
Pour les autorités en place, la constitution congolaise a établi le fait que si à la fin des mandats, les mêmes autorités n’avaient pas organisé les élections, elles pouvaient légitimement rester au pouvoir, jusqu’à l’organisation de nouvelles élections. Ce n’est donc pas un régime spécial, celui qui court actuellement à Kinshasa. C’est plutôt, nous a-t-on indiqué, une continuité normale du pouvoir, en tout accord avec la constitution.
D’ailleurs, il n’y a pas que le mandat présidentiel qui a dépassé son terme au Congo, les élus locaux, régionaux et nationaux de la RDC continuent à ce jour à exercer leur fonction, se prévalant d’une légitimité largement périmée. Le dépassement des délais parait dès lors comme un <strong><em>modus operandi</em></strong> consolidé, donc la première maxime consiste à abuser de tout mandat reçu, le prolongeant jusqu’à la lie.
Une telle interprétation des textes constitutionnels constitue une grande première dans les conceptions de la démocratie en dessous de l’équateur. Une fois mandaté au pouvoir, il suffit que l’on évoque toute sorte de raison pour ne pas organiser de nouvelles élections à échéance car la légitimité conférée aux dernières élections jouissait d’un titre intrinsèquement <strong><em>ad aeternam</em></strong>. En 2011, en élisant Kabila à la présidence de la république, les citoyens congolais auraient en fait réalisé contre soi-même, le fameux « coup-ko » dont on parle en Afrique de l’Ouest. Qu’il est astucieux celui qui croit pouvoir nous convaincre d’une si évidente étrangeté politique.