Accusé de complicité de crimes contre l’humanité, notamment de meurtres, d’actes de torture et de viols commis entre 2002 et 2003 en Ituri et au Nord-Kivu, Roger Lumbala Tshitenga, ancien chef d’un groupe armé congolais, comparaît depuis ce mercredi 12 novembre 2025 devant la Cour d’assises de Paris. Mais dès l’ouverture du procès, l’accusé a surpris la Cour en récusant ses avocats, alors même que la défense, qui conteste la compétence de la justice française, n’avait pas encore obtenu de décision sur ce point.
Pour Me Philippe Zeller, l’un des avocats français récusés, cette décision a provoqué un sentiment de profonde frustration. Selon lui, l’équipe de défense ignorait totalement la volonté de Roger Lumbala de se séparer d’eux, alors qu’elle préparait une stratégie solide pour contribuer à la manifestation de la vérité.
"Nous n’étions pas informés de la position de M. Roger Lumbala. Il a récusé l’ensemble de ses avocats. C’est un sentiment extrêmement désagréable, extrêmement frustrant pour nous, en tant qu’avocats de la défense et auxiliaires de justice. Nous aurions souhaité contribuer à la manifestation de la vérité et défendre notre client, car nous disposions d’éléments de fond qui nous auraient permis d’apporter une contribution extrêmement solide, voire décisive, dans ce dossier", a déclaré Me Philippe Zeller devant la presse à l’issue de la première audience.
Interrogé sur une possible incompréhension du système judiciaire français par leur client, Me Zeller a écarté cette hypothèse, rappelant le parcours politique de Roger Lumbala.
"Roger Lumbala a été ministre, député et sénateur. Il comprend parfaitement les enjeux et le cadre légal dans lequel cette Cour se constitue. Il estime cependant que la Cour n’est pas compétente ni légitime, que l’instruction n’a pas été menée comme il se doit, et que les conditions d’un procès équitable, fondé sur l’égalité des armes, ne sont pas réunies. Dans ces conditions, il dit ne pas pouvoir reconnaître la compétence de cette juridiction", a expliqué l’avocat français.
Maître Zeller a précisé que Roger Lumbala ne fait plus partie de ses clients après sa décision de récuser l’ensemble de ses avocats.
"Je ne peux pas m’octroyer moi-même mes clients. Parfois, les avocats aimeraient le faire, mais M. Lumbala nous a tous récusés. À partir de ce moment, il n’est plus mon client", a-t-il affirmé.
Répondant à une question d’ACTUALITE.CD sur une possible intégration de Tshibangu Kalala dans l’équipe de défense de Roger Lumbala, Me Zeller a reconnu que l’accusé souhaitait la présence d’un avocat congolais dans sa défense.
"C’est un point extrêmement intéressant que M. Lumbala a soulevé. Il a rappelé que tous les intervenants dans cette procédure sont français, alors que les faits reprochés, les victimes et les accusés sont congolais. Il souhaite donc qu’un avocat congolais puisse l’assister ou le représenter. Compte tenu du contexte, cela ne semble pas inutile. Malheureusement, la Cour a refusé cette demande, pour des raisons qui ont été expliquées", a-t-il ajouté.
Ancien chef du Rassemblement congolais pour la démocratie National (RCD-N), groupe armé actif dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) pendant la Deuxième guerre du Congo (1998-2003), Roger Lumbala a également été ministre du Commerce (2003-2005) et candidat à la présidence en 2006.
Il est accusé de complicité de crimes contre l’humanité, incluant des meurtres, tortures, viols, réductions en esclavage et pillage, commis dans le cadre de l’opération « Effacer le tableau », menée en Ituri et au Nord-Kivu entre 2002 et 2003. Cette opération est tristement célèbre pour les crimes de masse commis contre les populations civiles, notamment les communautés Mbuti et Nande, avec des actes de violences sexuelles, de torture, d’homicides et même de cannibalisme forcé.
Ces faits sont prévus et réprimés par les articles 212-1, 213-1, 213-2, 121-6 et 121-7 du Code pénal français, ainsi que par les articles 689 à 689-11 du Code de procédure pénale. Selon le dossier de presse consulté par ACTUALITE.CD, « pour ces faits, l’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité ».
Ce procès est le premier à appliquer le principe de compétence universelle pour des crimes de droit international commis en RDC par un ressortissant congolais pendant la Deuxième guerre du Congo. Il constitue ainsi un précédent historique, impliquant pour la première fois un ancien ministre congolais devant la justice française.
Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, saluent un procès historique et y voient une étape cruciale vers la fin de l’impunité pour les crimes graves commis en RDC.
Clément MUAMBA