Siphonnage de 195 millions USD des victimes de la guerre de Kisangani : CREFDL recommande notamment l’ouverture d'une enquête judiciaire, la suspension de l'opération de paiement et la dissolution de FRIVAO

Siège de FRIVAO à Kisangani
Siège de FRIVAO à Kisangani

Les soupçons de détournement des Fonds de réparation des indemnisations des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République Démocratique du Congo (FRIVAO) ne cessent de s'accroître malgré le changement des différents comités de gestion. Le Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL Asbl) a mené une enquête sur la gestion de 194.999.940 USD encaissés de janvier 2022 à décembre 2024 sur le compte 01024845401-28 USD MIN JUSTICE V/C Frivao, ouvert à la Rawbank.

Au terme de trois mois d’analyse, de Juin à Août 2025, et d’interprétation des données, CREFDL Asbl constate que de janvier 2022 à décembre 2024, FRIVAO a reçu le virement de 194,9 millions de dollars américains venant de l’Ouganda, dont 105.135.000 dollars américains devraient financer les indemnisations des victimes de la guerre de Kisangani. Sur un total de 105.135.000 dollars américains, FRIVAO n’a versé, jusqu’au 08 octobre 2024, des indemnités aux personnes victimes qu’à hauteur de 2.088.136 dollars américains, soit 1,98%. Ce qui démontre qu’un total de 103 046 864 USD n’a pas encore été payé aux victimes.

"Aucune Loi de finances de l’année et de Reddition des comptes ne retrace l’encaissement de ce montant dans le compte de l’Etat, et FRIVAO en tant qu’organisme public n'apparaît pas dans les documents budgétaires votés par le Parlement et promulgués par le Président de la République conformément aux articles 77, 83, 86 de la loi relative aux finances publiques et 126 de la Constitution. Ce fait est une violation des articles 21-24 de la Loi n° 08/009 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales applicables aux établissements publics", lit-on dans le rapport.

Et de poursuivre :

"Ces fonds ont été mouvementés dans au moins 10 comptes bancaires ouverts à la Rawbank, dont 7 ont directement pour mandataire le Ministre de la Justice. Alors que le décret portant création de FRIVAO ne le désigne pas comme ordonnateur des dépenses ; Outre le virement des frais de fonctionnement de 822.797 dollars américains affectés à FRIVAO, des intérêts de 731 835,59 dollars américains générés par ce dépôt ont été virés au compte de fonctionnement de FRIVAO pour couvrir notamment la rémunération. En date du 04 avril 2024, un montant de 172 800 dollars américains a été payé au titre d’avance sur frais d’installation des membres du Conseil d’Administration et ceux de la Coordination sur les fonds destinés aux indemnisations"

Selon le rapport, ces fonds ont aussi servi à payer le per diem des consultants et experts, l'achat des véhicules pour le compte du secrétariat général du Ministère de la Justice. Pire encore, souligne le rapport, l’argent des victimes a même servi à financer les activités d’un bureau de change, dénommé CLIC CHANGE SARL à hauteur de 4,2 millions $ ; des retraits en cash ont été également signalés en faveur du Ministre de la Justice.

Des graves irrégularités constatées dans la gestion du FRIVAO

Au terme de son analyse approfondie, le CREFDL Asbl constate que la gestion des fonds du FRIVAO a été marquée par de graves irrégularités, notamment la très faible part d’indemnisation effectivement versée aux victimes, l’absence de traçabilité dans les documents officiels de l’État, et de multiples opérations douteuses sur les comptes bancaires affectés. La dilapidation d’une grande partie des ressources, au mépris des textes légaux et de la mission première du fonds, démontre la nécessité impérieuse d’une réforme structurelle et d’un renforcement des mécanismes de redevabilité.

Ouverture d'une enquête judiciaire, suspension de l'opération de paiement, dissolution de FRIVAO

En conséquence, le CREFDL Asbl recommande l’ouverture d’une enquête judiciaire contre tous les gestionnaires concernés, la dissolution de FRIVAO, et la réaffectation de la mission d’indemnisation à un organisme mieux encadré et transparent. La publication rapide du rapport d’audit par la Cour des Comptes s’impose pour garantir la reddition de comptes et restaurer la confiance dans la gestion des fonds destinés aux victimes.

Au Gouvernement : A la Première Ministre, CREFDL Asbl l’invite à dissoudre FRIVAO et confier la mission d'indemnisation des victimes à la Commission de Gestion des Biens Saisis et Confisqués, COGEBISCO, soit au Fonds de Lutte Contre le Crime Organisé, FOLUCCO qui disposent déjà des lignes de crédits dans la Loi de finances de l’année; Au Ministre de la Justice, la suspension de l'opération de paiement des victimes de la guerre de Kisangani et effectuer une évaluation à mi-parcours afin d'en tirer des leçons; A la Justice : D'ouvrir une enquête contre tous les gestionnaires des comptes bancaires liés à ces fonds et de FRIVAO depuis le premier encaissement jusqu’à nos jours ; D’ordonner la restitution des biens indûment acquis par les gestionnaires dudit fonds et de les vendre aux enchères; A la Cour des Comptes: De publier son rapport d’audit sur la gestion de FRIVAO afin de pousser à la redevabilité des décideurs.

Pour administrer les fonds alloués à l'indemnisation, un établissement public appelé Fonds spécial de répartition de l’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC et à leurs ayants droit, FRIVAO en sigle, a été instauré. Basé à Kisangani, chef-lieu de la province de Tshopo, ce nouvel organisme est constitué de membres nommés par ordonnance présidentielle et est chargé de différentes missions, notamment l'identification des victimes et la répartition équitable des compensations selon les catégories spécifiées par la Cour Internationale de Justice dans son arrêt.

Suite à l'arrêt de la Cour Internationale de Justice concernant l'affaire des activités armées de l’Ouganda en République Démocratique du Congo, le montant total dû à la RDC devra être versé par l’Ouganda en cinq versements annuels de 65 millions de dollars américains, le premier ayant eu lieu le 1er septembre 2022. Selon les décisions de la Cour Internationale de Justice, le montant des indemnités à régler, réparti sur cinq tranches, comprend 69,2% pour les dommages personnels, 12,3% pour les biens et 18,4% pour les ressources naturelles.

Clément MUAMBA