RDC : un bureau de change a bénéficié de 4,2 millions USD du Frivao entre janvier et juin 2024, soit le double de la somme perçue à la même période par les vraies victimes de la guerre de 6 jours

Siège de FRIVAO à Kisangani
Siège de FRIVAO à Kisangani

Le Centre de recherches en Finances publiques et développement local (Crefdl) vient de rendre public un rapport sur la gestion du Frivao (Fonds spécial de Répartition et d’Indemnisation en Faveur des Victimes des Activités illicites de l'Ouganda en RDC ou de leurs ayant-droits). D’après ce rapport, des fonds destinés à l’indemnisation des victimes de la guerre de 6 jours ont été subtilisés en cascade par le ministère de la Justice, à travers des comptes bancaires flous, au bénéfice d’individus, cadres et hauts fonctionnaires, ainsi que des particuliers.

Selon le Crefdl, en date du 24 janvier 2024, un paiement d’un montant de 1 000 000 de dollars américains a été effectué en faveur de Clic Change Sarl, qui est un bureau de change reconnu par la Banque centrale du Congo (BCC), situé au numéro 46, Colonel Ebeya, commune de la Gombe. Un autre transfert de 3 200 000 de dollars américains, toujours en faveur du même bureau, a été ordonné le 6 juin 2024 par le ministre alors qu’il expédiait les affaires courantes. Cela porte à 4,2 millions de dollars américains l’ensemble des fonds perçus par ce bureau de change, « correspondant au double du montant que les victimes ont réellement reçu à ce jour ».

Et pourtant, jusqu'en octobre 2024, seulement 2 088 136 dollars américains ont été payés aux victimes, jusqu’au 8 octobre 2024, sur les 103 millions USD qui devraient être versés. Entre janvier 2022 et décembre 2024, l’Ouganda a payé à la RDC 194,9 millions USD pour indemniser les victimes de la guerre de 6 jours.

L’indemnisation des victimes connaît un retard notamment à cause de la « lenteur dans le traitement des dossiers et le faible niveau de qualification du personnel affecté à la Commission d’Identification et à celle de Certification », explique le Crefdl.

D’autres mouvements bancaires suspects

Le ministre de la Justice a, par exemple, en date du 11 août 2023, ordonné le transfert de 52 975 000 dollars américains vers le compte n°00982626001 intitulé « FRIVAO V/C USD », dédié à l’indemnisation des victimes. Un mois après, il a instruit le coordonnateur de FRIVAO de reverser 5 % de ce virement, soit 2 648 750 dollars américains, sur le compte n° 05101-04024845402-10 USD, au titre de « Fonds de gestion », « qui ne cadre ni avec le compte débité, ni avec celui crédité », renseigne le rapport.

Comme si cela ne suffisait pas, le 29 septembre 2023, s’appuyant sur ce virement irrégulier, le ministre a effectué le retrait de 1 500 000 dollars américains en espèces. Ce montant n'a pas été retracé dans la comptabilité du Code 0864.

En outre, le 15 janvier 2024, le ministère a acquis deux bus auprès de Panafrique Motors en faveur de son secrétariat général, pour un montant de 228 000,32 dollars américains. Cette dépense reste non éligible selon les clauses de l’arrêt de la Cour internationale de Justice. Il faut relever que ce marché a été effectué de gré à gré, sans disponibilité des crédits et sans respect du code des marchés publics, note le Crefdl.

L’enquête du Crefdl indique également que le 15 janvier 2024, un montant de 200 000 USD a été payé au titre d’indemnisation et d’assistance judiciaire à monsieur Baruti Lindoni Jacques, suivant le jugement RC 103973/TGI/GOMBE rendu le 24 août 2018, concernant la succession de monsieur Baruti Milengo Louis, décédé en Afrique du Sud, dont l’aéronef de marque Caravelle 9 Q-CZZ a été détruit le 14 avril 2000 alors qu’il était réquisitionné par les FARDC.

Face à ces irrégularités, le Crefdl appelle à la dissolution du Frivao et à confier la mission d'indemnisation des victimes à la Commission de Gestion des Biens Saisis et Confisqués (COGEBISCO), soit au Fonds de Lutte Contre le Crime Organisé (FOLUCCO), qui disposent déjà des lignes de crédits dans la Loi de finances de l’année.

Cette structure appelle également à l’ouverture d’une enquête contre tous les gestionnaires des comptes bancaires liés à ces fonds et de Frivao depuis le premier encaissement jusqu’à ce jour.

Bruno Nsaka