Dans un contexte difficile marqué par des conflits persistants et un environnement fragile, certaines initiatives locales émergent et proposent des solutions, visant à la fois à répondre aux besoins immédiats des populations vulnérables et à favoriser une transition vers des pratiques plus durables. Anna Rafiki Maombi, co-fondatrice de l’Association pour le Développement Durable des Personnes Handicapées et des Environnements Ruraux (ADDIPERHA), a choisi de se concentrer sur un projet de fabrication de briquets écologiques, dans le camp de déplacés de Bulengo, près de Goma, dans l’Est de la République Démocratique du Congo. À travers l’entretien accordé au DeskFemme, elle explique le processus, l'impact de son projet sur la communauté locale et les défis qu'elle rencontre au quotidien.
Pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours avant de vous lancer dans la fabrication de briquets écologiques ?
Anna Rafiki Maombi : Avant de me lancer dans la fabrication de briquets écologiques, j’ai été impliquée dans plusieurs initiatives visant à soutenir les communautés vulnérables, notamment les personnes handicapées et les populations autochtones. Actuellement, je collabore avec « Enable the Disable Action » (EDA), dans le cadre du projet Youth4Climate financé par le PNUD.
Qu’est-ce qui vous a motivée à choisir ce domaine particulier, et plus spécifiquement la fabrication de briquets écologiques ?
Anna Rafiki Maombi : Mon choix découle à la fois de mes compétences et de ma passion pour l’environnement. En observant la déforestation galopante dans la région, surtout autour des camps de déplacés, j’ai voulu proposer une alternative durable. J’ai vu l’opportunité d’aider à la fois à la protection de l’environnement et à l'autonomisation des personnes, notamment les femmes et les jeunes, en les formant à la fabrication de ces briquets à partir de déchets organiques.
Pourquoi avez-vous choisi de développer votre activité dans un camp de déplacés ?
Anna Rafiki Maombi : Le camp de déplacés de Bulengo, où nous avons lancé cette initiative, est un lieu où la population est extrêmement vulnérable à cause des conflits armés. Beaucoup de personnes y vivent sans emploi, et les ressources sont rares. L’idée était de développer une activité qui soit à la fois bénéfique pour l’environnement et une source de revenus pour les habitants du camp, tout en étant proches des communautés les plus touchées par la guerre. Cela nous permet également de leur enseigner des pratiques respectueuses de l’environnement, notamment la lutte contre la déforestation, qui est un problème majeur dans la région.
Quelle a été la réaction initiale de la communauté à votre projet ? Avez-vous rencontré des résistances ou des scepticismes ?
Anna Rafiki Maombi : Au début, la réaction de la communauté était partagée. Pour certains, c’était une innovation intéressante, mais pour d’autres, cela représentait une menace pour les pratiques habituelles, notamment la fabrication traditionnelle du charbon. Cependant, après plusieurs séances de sensibilisation et de démonstration, plus de 70 % de la communauté a adhéré au projet. Aujourd’hui, ce sont eux qui deviennent les principaux ambassadeurs de l’initiative, ce qui prouve que l’éducation et la sensibilisation ont porté leurs fruits.
Quelles améliorations avez-vous observées depuis le début de votre initiative ?
Anna Rafiki Maombi : Nous avons observé plusieurs améliorations notables. D’abord, le niveau de propreté et d’assainissement dans le camp s’est amélioré, car la collecte des déchets biodégradables contribue à réduire l’insalubrité. Ensuite, nous avons constaté une réduction de la pression sur les ressources forestières autour du parc, car les gens utilisent désormais des briquets écologiques plutôt que du charbon. Enfin, il y a un engagement plus actif des parties prenantes et une réelle prise de conscience des enjeux environnementaux.
Avez-vous mis en place des programmes de formation pour permettre à d’autres membres de la communauté de participer à la production ? Si oui, quels sont les résultats ?
Anna Rafiki Maombi : Oui, nous avons mis en place un programme de formation des formateurs. Aujourd'hui, ce sont principalement les jeunes et les femmes leaders du camp qui assurent la formation des nouveaux venus à la fabrication des briquets. Cette approche participative permet une plus grande implication de la communauté et favorise la diffusion rapide des bonnes pratiques. Les résultats sont très positifs : de plus en plus de personnes se forment et participent activement à la production, ce qui contribue à une meilleure répartition des revenus au sein de la communauté.
Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face en tant qu’entrepreneure dans un contexte de déplacement ?
Anna Rafiki Maombi : Les défis sont nombreux. L’accès aux marchés extérieurs reste un obstacle, car beaucoup d’acheteurs n’ont pas encore compris l’utilité de nos produits écologiques. De plus, le manque de ressources financières et de matériaux industriels pour augmenter notre production limite notre capacité à répondre à la demande. La logistique est aussi un défi, notamment en ce qui concerne les transports et l’approvisionnement.
Avez-vous des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou de logistique en raison de la situation locale ?
Anna Rafiki Maombi : Oui, la logistique est un défi constant. Le transport vers le camp est compliqué, et les coûts de transport sont parfois prohibitifs. De plus, certains matériaux nécessaires à la production, comme les machines industrielles, sont difficiles à trouver en raison de l’instabilité de la région.
Quelles stratégies comptez-vous adopter pour surmonter les défis à long terme et pérenniser votre entreprise ?
Anna Rafiki Maombi : Nous avons mis en place une vision claire et des objectifs réalisables à court et moyen terme. Nous apprenons aussi de nos échecs et continuons à chercher des partenaires fiables, comme EDA, qui nous soutiennent dans la gestion et la formation. La clé pour pérenniser notre entreprise est d’être adaptable, de renforcer nos capacités et de développer des partenariats solides.
Quels sont vos besoins actuels en termes de soutien pour faire grandir votre initiative et toucher un public plus large ?
Anna Rafiki Maombi : Nos besoins sont principalement financiers pour augmenter notre capacité de production et développer le marché. Nous avons aussi besoin de plus de formations pour notre équipe, d'un soutien pour le renforcement des capacités et de matériel semi-industriel pour accroître l'efficacité de la production.
Avez-vous des projets pour diversifier votre gamme de produits ou explorer d’autres solutions écologiques ?
Anna Rafiki Maombi : Oui, nous avons d’autres projets en tête. Par exemple, nous envisageons de promouvoir l’agriculture durable et urbaine dans les camps de déplacés pour lutter contre la malnutrition aiguë, particulièrement chez les femmes et les enfants. Ce projet vise à compléter notre initiative en matière de produits écologiques et à renforcer la sécurité alimentaire dans les camps.
Quelles sont vos ambitions pour l’avenir de votre entreprise ?
Anna Rafiki Maombi : Mon ambition est de produire à grande échelle pour satisfaire la demande non seulement dans le camp, mais aussi dans la ville de Goma. À long terme, je souhaite acquérir des machines industrielles pour augmenter notre capacité de production et créer une société coopérative qui regrouperait tous les producteurs de briquettes écologiques en RDC.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux autres femmes ou jeunes filles intéressées par l’entrepreneuriat, surtout dans des contextes difficiles comme celui des camps de déplacés ?
Anna Rafiki Maombi : Mon message est clair : peu importe les circonstances difficiles, chaque femme ou jeune fille peut réussir si elle met en place une vision et travaille dur pour la réaliser. L’entrepreneuriat est une voie vers l'autonomisation, même dans des contextes de vulnérabilité. N’ayez pas peur d’entreprendre, car chaque petit pas compte.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka