La République Démocratique du Congo traverse depuis des décennies une période de conflits armés, d’instabilité politique et de déplacements massifs de populations. Ce qui a un impact dramatique sur les enfants, notamment ceux qui perdent leurs parents dans ces conflits. Ces orphelins, souvent déplacés dans des camps ou des zones de refuge, font face à de multiples obstacles pour accéder à une éducation de qualité. Dans ce contexte difficile, comment les éducateurs abordent-ils l'accompagnement de ces enfants afin de leur offrir un avenir, malgré le traumatisme et les conditions de vie précaires ?
À ce sujet, le DeskFemme a rencontré ce mardi 14 janvier Israël Lumbuedio, éducateur et directeur du centre d’accueil Maison d’avenir à Kinshasa. Il revient sur les défis et solutions pour une meilleure éducation des orphelins déplacés en RDC
Pouvez-vous nous parler de votre travail avec les orphelins déplacés et des principaux défis auxquels vous êtes confronté ?
Israël Lumbuedio : Travailler avec des orphelins déplacés en RDC, est extrêmement complexe. Ces jeunes arrivent souvent dans nos centres après avoir vécu des traumatismes graves : perte de leurs parents, violences directes, déplacements forcés et conditions de vie très précaires. Le plus grand défi réside dans le fait qu’ils sont non seulement privés d'un environnement familial stable, mais aussi souvent privés de tout accès à l’éducation formelle depuis plusieurs années. Souvent dans les zones d’où ils viennent, les écoles sont insuffisantes et parfois inexistantes, et les enseignants manquent de formation pour gérer les traumatismes des enfants déplacés. Cela nécessite une approche globale, combinant soutien émotionnel et psychologique avec une éducation adaptée à leurs besoins spécifiques.
Comment abordez-vous l'aspect émotionnel et psychologique de ces enfants, tout en leur offrant une éducation ?
Israël Lumbuedio : L’aspect émotionnel est absolument central. L'éducation ne peut se faire efficacement que si l’enfant se sent en sécurité et soutenu sur le plan psychologique. Pour cela, nous avons mis en place un suivi psychosocial régulier. Nous travaillons en collaboration avec des psychologues qui proposent des séances de soutien individuel et collectif. Nous utilisons également des activités comme l'art-thérapie, le théâtre ou des jeux éducatifs, qui permettent aux enfants de s’exprimer et de surmonter leurs traumatismes. Une fois que l’enfant commence à retrouver un certain équilibre émotionnel, nous pouvons envisager l'éducation scolaire. Mais il est essentiel de comprendre que, dans ce contexte, l’apprentissage n'est pas simplement une question de connaissances scolaires, mais aussi de résilience et de reconstruction personnelle.
Les enfants déplacés en RDC arrivent souvent avec des parcours scolaires irréguliers. Comment gérez-vous ces écarts de niveau ?
Israël Lumbuedio : Chaque enfant a un parcours unique, et c’est ce qui rend notre approche pédagogique flexible. Nous n’appliquons pas une méthode unique à tous les enfants, mais adaptons nos enseignements en fonction de leurs niveaux. Nous privilégions des classes de taille réduite afin de mieux répondre aux besoins individuels. De plus, nous utilisons une pédagogie active, qui se concentre sur l’apprentissage par l’expérience, les projets et la collaboration, plutôt que sur des cours magistraux traditionnels. L'idée est d’aider les enfants à progresser à leur propre rythme, tout en leur offrant un environnement stimulant et enrichissant. Nous intégrons également des activités extrascolaires, comme des ateliers de jardinage, d’art ou de musique, pour développer des compétences pratiques et renforcer leur confiance en eux.
Quel rôle jouent les communautés locales dans l'éducation de ces orphelins déplacés ?
Israël Lumbuedio : Les communautés locales jouent un rôle crucial dans l'intégration des enfants déplacés. Ils ne doivent pas être perçus comme des « étrangers » ou des « victimes », mais comme des membres à part entière de la société. Nous impliquons les familles d’accueil, les leaders communautaires et les enseignants locaux dans le processus éducatif, en les formant à la gestion des traumatismes et aux spécificités de ces enfants. De plus, des bénévoles locaux participent aux activités, ce qui renforce le lien entre les enfants et la communauté. Cela crée un environnement plus inclusif et leur permet de mieux se réintégrer. L’implication de la communauté locale est donc un facteur essentiel pour offrir un cadre éducatif stable et durable.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l'éducation des orphelins déplacés en RDC, et quelles solutions pourraient être envisagées ?
Israël Lumbuedio : Le premier obstacle reste l’insuffisance des ressources. Beaucoup d’écoles dans les zones de conflit sont sous-équipées, les enseignants manquent de formation et les infrastructures sont dégradées. De plus, l’insécurité persistante dans certaines régions empêche même l’accès aux établissements scolaires. Pour surmonter ces obstacles, il est crucial que les organisations humanitaires, les gouvernements et les acteurs internationaux redoublent d’efforts pour investir dans l’éducation, même dans des zones de crise. Il est aussi essentiel de former les enseignants locaux pour qu'ils soient mieux préparés à accompagner des enfants ayant vécu des traumatismes. Enfin, les solutions doivent être pérennes : offrir une éducation de qualité, c'est aussi mettre en place des infrastructures durables et des ressources continues.
Que diriez-vous à ceux qui souhaitent s'engager pour l'éducation des orphelins déplacés en RDC ?
Israël Lumbuedio : L’engagement pour l’éducation des orphelins déplacés en RDC est essentiel, mais il nécessite de la persévérance et une approche adaptée aux réalités du terrain. Ceux qui souhaitent s’impliquer doivent être prêts à comprendre la complexité des situations des enfants déplacés, à soutenir leur bien-être émotionnel et à investir dans une éducation qui les prépare non seulement à des carrières professionnelles, mais aussi à se reconstruire comme individus. Chaque geste compte, qu’il soit à travers des dons, du bénévolat ou en sensibilisant d’autres personnes à cette cause. Ensemble, nous pouvons offrir à ces enfants une chance de surmonter leur passé et de construire un avenir meilleur. L'éducation des orphelins déplacés en RDC demeure un enjeu crucial dans un contexte de crise humanitaire prolongée. Les efforts des éducateurs, soutenus par la solidarité internationale et l’engagement local, sont essentiels pour offrir à ces enfants un environnement d’apprentissage stable, qui les aide à surmonter leurs traumatismes et à se préparer à un avenir plus serein.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka