Selon une étude de Datareportal (2023), la RDC comptait 8,3 millions d'internautes actifs en 2022, dont une large majorité d'utilisateurs jeunes et adultes. Parmi eux, 72 % des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans ont affirmé utiliser des plateformes comme Instagram et Facebook pour partager des événements personnels. Bien que les événements célébrés varient, les annonces de grossesse, y compris celles hors mariage, sont fréquemment publiées. À ce sujet, le Desk Femme d’actualité.cd a rencontré quelques Kinoises pour récolter leurs perceptions.
Pour certaines d’entre elles, ces révélations, souvent personnelles et intimes, constituent un moyen d’affirmer leur indépendance et vivre leur maternité sans honte, tandis que d'autres craignent que cette exposition n'encourage la stigmatisation.
"La publication de ces grossesses sur les réseaux sociaux représente un progrès vers l'émancipation des femmes. Aujourd'hui, nous avons le droit de vivre notre grossesse comme nous l'entendons. Pourquoi devrions-nous cacher cette belle aventure simplement parce qu'elle ne suit pas le modèle traditionnel ?", explique Nadine Mbwala, 27 ans, mère célibataire.
De son côté, Nancy Nkunda, commerçante, voit cette exposition comme un risque pour la réputation sociale. "Il est important de respecter les coutumes et de protéger la famille. Publier une grossesse hors mariage, c’est risquer de perdre son respect dans la communauté ", a-t-elle déclaré.
Pour Marie-José Iyenga, étudiante en médecine, ce phénomène révèle un affrontement entre la tradition et l’accélération des transformations sociales dans le pays.
"C’est une atteinte à la dignité et aux normes sociales. Cette tendance m’a toujours poussée à m’interroger sur l’évolution des mentalités en RDC et sur le rôle de la culture numérique dans la redéfinition des normes familiales. La RDC est en train de perdre ses valeurs, il est encore temps de nous rattraper et de faire mieux", a-t-elle souligné.
À son tour, Pierrette Kunefa, 19 ans, étudiante en droit, ne voit presque pas d’inconvénients dans cette manière de faire. "Chacun est libre de vivre sa vie comme il veut, tant que cela ne porte atteinte à autrui. Personnellement, je ne vois aucun mal à exposer sa grossesse, qu'on soit mariée ou non. On peut, par cette manière de faire, devenir un modèle et inspirer les autres", a-t-elle déclaré.
Cependant, cette quête de visibilité personnelle s’accompagne aussi de risques.
Dayana Inagosi, 24 ans, licenciée en civilisations africaines, déclare avoir été confrontée à des formes de cyberharcèlement et à des jugements sociaux négatifs suite à des publications jugées non conformes aux normes sociales.
"Je publiais tout sur les réseaux sociaux : ma grossesse, mes folies en amour, en amitié… mon quotidien. Avec le temps, je me suis rendue compte que les gens commençaient à trop me juger par rapport à mes études. Ma mère ne me parlait presque plus, pour elle, j’étais une enfant perdue. Sur le net, je recevais des commentaires de tous types. Mais j’ai compris que je m’étais trompée, et maintenant, je dois lutter pour regagner de la valeur aux yeux de la société", confie-t-elle.
Il est évident que les réseaux sociaux sont un terrain de transformation des mentalités, note de son côté Dielve Ndaya, assistante à l’Université de Kinshasa (Unikin).
"Les jeunes femmes à Kinshasa, en particulier celles qui publient des annonces de grossesse hors mariage, semblent s'engager dans un processus de redéfinition des rôles sociaux traditionnels. La grossesse, autrefois perçue exclusivement dans le cadre du mariage, devient un fait de société qui n’est plus nécessairement cantonné à une norme restrictive", s’indigne-t-elle.
"Néanmoins, cette évolution doit s’accompagner de discussions collectives sur l'impact de cette visibilité. Les femmes doivent-elles se préparer à des répercussions sociales, ou bien cette évolution conduira-t-elle à une société plus ouverte, moins centrée sur les jugements moraux ?"
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka