RDC : Différence entre les processus de Nairobi et de Luanda (Interview avec le Professeur Martin ZIAKWAU)

Paul Kagame et Félix Tshisekedi le 25 novembre 2021 à Kinshasa
Paul Kagame et Félix Tshisekedi le 25 novembre 2021 à Kinshasa

Depuis plus d’une année, la RDC est engagée dans les processus de paix de Nairobi (Kenya) et de Luanda (Angola). Le premier, mis en place dans le cadre de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) a été peu exploité jusqu’ici par la partie congolaise. On se rappelle que le président Congolais Félix Tshisekedi a, en juillet dernier, accusé son homologue kényan William Ruto, d’avoir mal géré le processus de Nairobi. Par contre, le processus de Luanda, mis en place par l’Union africaine sous la médiation du président angolais, João Lourenço a beaucoup été mis en profit avec de nombreuses réunions des délégations congolaises, rwandaises, jusqu’à l’élaboration d’un projet d’accord entre la RDC et le Rwanda, document dont la signature n’a pas eu lieu finalement le 15 décembre à Luanda. Alors, quelle différence entre les deux processus, quelle chance pour leur réussite? ACTUALITE.CD a interrogé Martin ZIAKWAU, professeur en Relations Internationales. 

ACTUALITÉ.CD : En quoi consiste le processus de Nairobi ?

Martin ZIAKWAU : Ce processus est une initiative de la Communauté d'Afrique de l'Est (East African Community/EAC). Encleché en avril 2022, il a pour ambition l'éradication des groupes armés, qu'ils soient locaux ou étrangers, opérant dans l'Est de la République démocratique du Congo.

Selon un Rapport de 2023 du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS), il y a, dans cette partie du pays, 266 groupes armés, parmi lesquels 252 sont d'origine locale tandis que 14 sont de source étrangère. Parmi ces derniers, il y a notamment les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda). 

Le processus de Nairobi se concentre principalement sur des consultations entre le gouvernement RD congolais et les groupes armés locaux, visant à encourager leur adhésion au désarmement de leurs combattants dans le cadre du PDDRCS. Cependant, ce Programme se heurte à des obstacles significatifs, notamment des problèmes de financement entravant sa mise en œuvre effective.

En revanche, les groupes armés étrangers sont appelés à se rendre volontairement pour permettre le rapatriement de leurs combattants dans leurs pays d'origine. A défaut, le recours à la force armée pourrait être envisagé à leur encontre.

Plusieurs rounds de consultations ont été organisés à Nairobi entre les autorités congolaises et les groupes armés locaux. Ces échanges devraient culminer avec la tenue d'une conférence de paix à Goma, qui, hélas, a été reportée sine die. À ce jour, il semble que ce processus soit tombé dans une léthargie préoccupante.

ACTUALITÉ.CD : Qu'en est-il du processus de Luanda ?

MZ : Suite à la poursuite de l'offensive du M23 dans le territoire de Rutshuru, exacerbée par des combats à la fin du mois d’avril 2022, ses délégués auraient été exclus de la salle de réunion où se tenaient des discussions entre les représentants du pouvoir congolais et les groupes armés locaux, en présence de partenaires internationaux. Il s'en est suivi une détérioration alarmante de la situation sécuritaire et humanitaire, accentuée par l'activisme du M23, que le gouvernement congolais considère comme un pantin aux mains du Rwanda. Une posture discursive confortée par des Rapports du Groupe d'experts des Nations unies pour la RDC. 

Dans ce contexte, sous l'égide de l'Union africaine, le Président angolais, qui préside également la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), a réuni, en juillet 2022 à Luanda, les chefs d'État congolais et rwandais. Cette rencontre visait à favoriser la normalisation des relations entre leurs deux pays, en mettant l'accent sur la résolution de la crise liée au M23, qui, de facto, ne fait plus partie intégrante du processus de Nairobi.

ACTUALITÉ.CD : ces deux processus sont-ils coordonnés ?

MZ : En novembre 2022, une réunion de coordination des processus de Nairobi et de Luanda s'est tenue dans la capitale angolaise. Cette rencontre, marquée par l'adoption d'une Feuille de route, avait conduit au déploiement de la Force régionale de l'EAC, entre les forces armées de la République démocratique du Congo (RDC) et le groupe armé M23 dans le Nord-Kivu. Suite à l'"inefficacité" de cette Force, qui n'avait pas exercé de coercition contre le M23, la RDC avait exigé son retrait à la fin 2023. 

Dans l'intervalle, elle a bénéficié d'un regain de mobilisation de la part des groupes armés locaux, engagés à conbattre le M23, qui est soutenu et dirigé par l'armée rwandaise. Il sied de souligner que, selon l'esprit du processus de Nairobi, ces combattants locaux étaient censés être désarmés et démobilisés. Il est évident que les dynamiques sécuritaires sur le terrain ont remis en question la validité dudit processus.

ACTUALITÉ.CD : Entre-temps, le processus de Luanda est resté opérationnel ...

MZ: En mars 2024, l'Angola a ravivé ce processus avec le soutien notamment du Président français, qui a proposé d'en élargir l'objet pour y inclure la problématique des FDLR, relevant initialement du processus de Nairobi. Cette démarche exige que Kinshasa et Kigali affrontent simultanément cette dernière question ainsi que le problème du M23. Cela a donné lieu à une série de réunions entre experts, suivies de rencontres entre les ministres des Affaires étrangères de la RDC et du Rwanda, devant déboucher sur un tête-à-tête tant attendu entre les présidents Tshisekedi et Kagame, en vue de la signature d'un accord de paix entre leurs deux Etats.

ACTUALITÉ.CD  : après le report du sommet du 15 décembre entre les Présidents Lourenço, Tshisekedi et Kagame, y a-t-il à espérer la résolution du dossier du M23 dans le cadre du processus de Nairobi ou de Luanda ?

MZ : Il conviendrait tout d'abord de constater la revitalisation du processus de Nairobi, afin d'explorer les possibilités d'intégration du M23 dans ce cadre d'échanges. 

Par ailleurs, il est essentiel de noter que les consultations dans ce processus ne se déroulent qu'entre le gouvernement congolais et les groupes armés locaux. On pourrait en déduire que le gouvernement congolais aurait implicitement révisé son discours, considérant désormais le M23 comme "un groupe armé congolais" quoique qualifié de terroriste. 

Je ne saurais affirmer avec certitude si telle est réellement l'option qui aurait été levée. Cependant, je me permets de faire cette remarque en tenant compte de l'esprit même de ce processus.

Dans la Feuille de route adoptée en novembre 2022, il est stipulé que les combattants étrangers, intégrés au sein du M23, doivent être rapatriés dans leurs pays d'origine. Quant aux Congolais actifs dans ce mouvement, ils devraient être cantonnés dans la localité de Sabinyo, à la lisière de la République démocratique du Congo, du Rwanda et de l'Ouganda en vue de leur désarmement. Les dynamiques en cours soulèvent des interrogations quant à l'identité et au statut de ce groupe dans un contexte régional assez instable.

Quant au processus de Luanda, il se trouve confronté à une impasse dont l'évolution dépendra de multiples facteurs. Parmi ceux-ci figurent la réalité des combats sur le terrain, les dynamiques régionales et internationales, ainsi qu'une mobilisation accrue ou affaiblie des populations congolaises contre la présence militaire rwandaise sur le sol congolais. 

ACTUALITÉ.CD : en quoi les processus de Nairobi et de Luanda diffèrent-ils de l'Accord-cadre d'Addis-Abeba?

MZ : Ces deux processus s'inscrivent dans un cadre conjoncturel. En revanche, l' "Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région" se positionne dans une dynamique structurelle, visant à établir les fondations nécessaires à l'éradication de la récurrence des conflits armés dans l'Est du pays. Pour atteindre cet objectif, des réformes significatives doivent être entreprises par la RDC en vue de remodeler l'Etat et, partant, d'accroître sa puissance à divers égards. 

Simultanément, les autres Etats de la Région doivent s'acquitter de leurs obligations, en respectant la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RDC, tout en veillant à ne pas entraver les efforts congolais destinés à renforcer l'autorité de l'État surtout dans la partie orientale du territoire. 

L'Accord-cadre d'Addis-Abeba souffre d'une appropriation insuffisante de la part des parties signataires ; ce qui compromet son efficacité et son impact. Toutefois, une initiative pour le revitaliser est en cours.

La réussite de ce processus dépendra en grande partie d'une convergence des perceptions concernant les problèmes fondamentaux à résoudre ou de l'action garante d'une puissance mondiale. Cependant, cette harmonie des visions semble, à ce stade, peu évidente, et reste un défi majeur à surmonter.

En somme, la problématique sécuritaire dans l'Est de la RDC exige une approche systémique, une dimension qui demeure encore insuffisamment abordée.