RDC : une campagne encore marquée par la mobilisation des moyens et cadres de l’État, selon la société civile

Une affiche de Félix Tshisekedi devant le gouvernorat de Lualaba
Une affiche de Félix Tshisekedi devant le gouvernorat de Lualaba

L’appel avait suscité bien des commentaires sur les réseaux sociaux. Vendredi, le ministre de la fonction publique de la province du Kwango a demandé aux chefs religieux de la ville de Kenge d’organiser le culte du dimanche… le samedi. Le tout pour permettre l’accueil du président Félix Tshisekedi, candidat à sa réélection, qui venait battre campagne.

Au cours des trente derniers jours, ces messages de chefs d’institution, de gouverneurs, maires et mandataires publiques prenant fait et cause pour le chef de l’Etat ont rythmé le quotidien des Congolais dans les provinces du pays. Le 18 décembre à minuit, la campagne est censée se terminer et toutes les affiches de campagne doivent être retirées selon la loi électorale. Partout, c’est le visage de Félix Tshisekedi que l’on retrouve sur les panneaux publicitaires. 

Au sein de la société civile, experts et observateurs se sont inquiétés de la mobilisation des moyens et cadres de l’Etat en faveur de la coalition au pouvoir. C’est le constat amer que fait notamment Jimmy Kande, l’un des porte-paroles de la plateforme anti-corruption Le Congo n’est pas à vendre. 

« Des fonctionnaires, des ministres en fonction et des mandataires publics se sont montrés redevables plutôt au chef de l’État sortant et candidat n°20  qu’à la nation. Ils se permettaient même d’arrêter le travail pour aller assister à des meetings. Ils affichaient des photos sur les bâtiments publics, partageant des vidéos. Il y a même de hauts fonctionnaires de l’État qui ont mis des bâtons dans les roues de certains candidats de l’opposition. C’est triste », a déclaré Jimmy Kandé à ACTUALITE.CD.

« Que ça serve de leçon aux autres »

Ce soutien à de hautes personnalités en campagne est-il toujours volontaire? Un cas a agité la toile : celui de Basile Mutayongwa, chef de l’avenue de la Paix à Goma. La lettre de son chef, le chef du quartier Himbi a été largement partagée sur X. Il a été suspendu pour avoir refusé de mobiliser pour l’accueil du candidat Tshisekedi et n’avoir pas été lui-même à l’aéroport pour l’accueillir. « Que ça serve d’une leçon aux autres », a-t-il même écrit.

Pourtant depuis 2011, dans son article 36 qui n’a jamais été modifié, la loi électorale stipule : “Est interdite, l’utilisation à des fins de propagande électorale des biens, des finances et du personnel de l’Etat, des établissements et organismes publics et des sociétés d’économie mixte. Les sanctions prévues sont la radiation de la candidature ou l’annulation de la liste du parti politique, ou du regroupement politique incriminé. “Toute autorité politico-administrative, tout parti politique, tout candidat ou toute personne peut saisir la Commission électorale nationale indépendante ou l’Officier du ministère public aux fins d’obtenir l’application des dispositions de l’alinéa ci-dessus”, précise encore la loi.

« Nous avions appelé le gouvernement, à travers le Premier ministre, et les institutions de contrôle tels que la Cour des comptes, le Parlement, l’Inspection générale des Finances, à prendre des mesures nécessaires pour garantir le respect de l'obligation de neutralité des mandataires publics actifs et des membres du gouvernement et la démission des ceux qui sont candidats aux prochaines élections », a encore expliqué Jimmy Kande. 

Pour la plateforme anti-corruption, seule la démission pure et simple de certaines catégories de personnel politique pourrait permettre d’enrayer ce phénomène. 

Un cadre légal mal défini

En campagne au petit marché devant l'aéroport de Bangboka, à 17 km du centre-ville de Kisangani, la gouverneure de la Tshopo, Madeleine Nikomba a elle aussi publiquement son soutien au candidat Tshisekedi : « Nous allons le pousser à aller de l’avant, qu’il achève ce qu’il a commencé. Le premier numéro pour lequel voter, c’est celui du chef de l’Etat, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. C’est le n° 20. Le 20 décembre, vous allez voter n°20. Est-ce que vous aimez le deuxième mandat de Fatshi Béton ? », disait-elle pour haranguer la foule. 

Madeleine Nikomba est candidate à la députation nationale pour le compte de sa coalition, l’Union sacrée. La gouverneure en fonction se met-elle dans l’illégalité en battant campagne ? Pas du tout. La loi électorale n’oblige pas les ministres et le gouverneurs à démissionner. Il est simplement demandé dans son article 10 à ce que les fonctionnaires, agents et mandataires publics demandent leur mise en disponibilité sous peine d’être déclarés inéligibles. Le personnel politique n’est lui obligé à rien.

Pour la Synergie des missions d’observations électorales en RDC (Symocel), le mal vient donc aussi de l’absence d’un cadre légal approprié.

« Dans un contexte où il n’y a pas de mesures d’encadrement pour les dignitaires en fonction, il est inévitable qu’ils utilisent les moyens de l’Etat pour la campagne électorale. C’est manifestement un problème de notre cadre légal. On ne peut pas empêcher un gouverneur d’avoir une obédience politique. Mais en même temps, il parle au nom de l’Etat, parce qu’il est la voix officielle. C’est le candidat Félix Tshisekedi qui a plus ou moins bénéficié de l’appui de tous les gouverneurs et des mandataires en fonction », a déploré Luc Lutala, coordinateur de la Symocel.

Les cadeaux aux électeurs

Mais la gouverneure de la Tshopo est allée plus loin, elle a promis en cette veille d’élections de prendre en charge les soins de santé de ses électeurs. « Désormais, si quelqu’un d’entre vous, ou un membre de votre famille tombe malade, venez vers moi, les  soins de santé sont gratuits », a déclaré Madeleine Nikomba, gouverneure de la Tshopo, sans expliquer comment elle allait les financer.

Pour l’ONG de défense des droits de l’homme du Sud-Kivu, Héritiers de la Justice, les candidats en fonction « rivalisent dans des actions de charme vis-à-vis des électeurs qu’ils ont appauvris par le niveau élevé de chômage, des salaires de misère irrégulièrement payés, des impôts et autres taxes sans quasiment contrepartie ». Dans son communiqué daté du 13 décembre 2023 et intitulé « le Peuple mérite mieux que ça », elle parle de « saupoudrage aux yeux des électeurs » et de « travaux faits à la va-vite » à la veille des élections. 

« Au cours des quatre premières années de leurs mandats électifs, les autorités publiques oublient ou accordent une attention marginale au secteur des infrastructures pourtant clé de voûte de tout progrès socio-économique aux niveaux national, provincial et local. D’aucuns se demandent d’où proviennent alors subitement ces sommes importantes d’argent que les candidats, mandataires publics ou non, distribuent aux gens lors de la campagne électorale ou qu’ils investissent dans des actions de réfection des infrastructures dont, du reste, la qualité et la durabilité ne sont pas garantie », écrit Héritiers de la Justice

Inégalités de traitement dans la campagne électorale

Pour la société civile, comme pour l’opposition, il n’y a pas que les cadeaux et la construction d'infrastructures dans leurs fiefs électoraux qui créent un déséquilibre dans la compétition électorale. Il y a aussi les entraves administratives.

« Les candidats Denis Mukwege, Martin Fayulu et Constant Mutamba se plaignent du manque de disponibilité des moyens de transport et principalement des avions pour effectuer leurs déplacements à l’intérieur du pays. Si ce ne sont les avions qui ont du mal à obtenir les autorisations nécessaires de survol, c’est l’indisponibilité du carburant pour les aéronefs qui est dénoncée par les candidats. Que fait le gouvernement pour se rassurer que des entraves administratives ne les pénalisent pas ? », s’interrogeait Danny Singoma du réseau PRODDES-forum dans un communiqué le 14 décembre dernier.

Mais c’est surtout le déséquilibre dans l’accès aux ressources financières pour faire campagne qui pénalise les candidats de la société civile et de l’opposition. Du coup, les candidats de l’Union sacrée sont plus visibles que les autres dans la plupart des villes. Ils se déplacent ou s’affichent plus facilement.

« Tous les panneaux sont pris par des candidats de la majorité, même à Kinshasa. On a eu quelques panneaux mais pas dans des coins de bonne visibilité », avait expliqué Delly Sesanga, député national et ancien candidat à la présidentielle à ACTUALITE.CD avant son ralliement à Moise Katumbi. « Pour faire une bonne campagne, il faut deux ou trois avions. Moi je suis passé par un opérateur local. Ça ne couvre pas les besoins, tous les aéroports ne sont pas couverts de la même manière », se plaignait-il encore.

Pour la Symocel, les ressources de la majorité proviennent bien de l’Etat lui-même. « Les moyens de l’Etat, c’est plus que l’argent. Cela implique également  l’usage abusif du personnel de l’Etat, notamment de la police pour la protection des candidats, des véhicules et du carburant de l’Etat pour leur mobilité », explique son coordinateur Luc Lutala. 

L’un des cas les plus graves qu’il relève s’est passé dans la province du Kwilu. Le maire de Kikwit a établi en novembre un ordre de mission pour ses agents leur demandant de percevoir « des fonds auprès d’institutions paraétatiques, étatiques et privées pour préparer l’arrivée du chef de l’Etat ».

Du coup, ceux qui se retrouvent pénalisés, toujours selon la Symocel, ce sont les nouveaux candidats qui arrivent en politique, mais aussi les femmes qui peinent à accéder aux financements. Il existe depuis 2008 une loi portant financement public des partis. Les objectifs étaient clairement fixés :  « garantir l'égalité des chances entre tous les partis politiques représentés aux assemblées délibérantes » ou encore  « contribuer à la moralisation de l'activité politique ».

Temps de paroles sur les médias publics

L’Agence congolaise de presse (ACP) et la Radio télé nationale congolaise (RTNC) sont envahies par les messages de campagne de Félix Tshisekedi et de ses partisans, même si les médias publics font aujourd’hui beaucoup plus état des meetings des rivaux du président.

La loi électorale est pourtant claire là aussi. Dans son préambule, dès 2006, elle stipule que « tous les candidats bénéficient d’un traitement égal de la part de l’Etat, notamment dans l’utilisation des médias ».

« Le candidat n°20 a eu droit à plus de temps de parole que les autres. La répartition n’était pas équitable  », s’est indigné Jimmy Kande du Congo n’est pas à vendre. 

Dans un communiqué de presse déjà évoqué, Danny Singoma du réseau PRODDES rappelait au Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) le contenu même de sa mission : « le CSAC se rappelle-t-il que les articles 8 et 16 de la loi organique n°11/001 du 10 janvier 2011 portant composition, attribution et fonctionnement du CSAC consacre le principe de l’égalité des candidats qui consiste en l’égalité d’accès d’un chacun au service public et l’égalité de tous devant son fonctionnement ? ». 

Même constat pour Luc Lutala, de la Symocel : « Comme tout citoyen, quand on regarde dans les médias officiels dont la RTNC, il y a une véritable inégalité d’accès entre les candidats dans les médias. On a vraiment l’impression que ce n’est pas un média d’Etat, c’est un média de campagne », a-t-il déploré avant d’ajouter : « Là, on constate que le Csac qui devrait régler l’accès aux médias d’Etat n’a pas véritablement réussi à s’afficher comme une institution capable de faire respecter les règles du jeu de façon suffisamment équitable et juste ».