De la clôture des IXes Jeux de la Francophonie à la commémoration du génocide congolais, en passant par une nouvelle embuscade des ADF à Mambasa, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Marie-Rose Tshite passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Marie-Rose Tshite et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Marie-Rose Tshite : Je suis ancienne Programme Officer au NDI (National Democratic Institute), j'ai été Co-Fondatrice de la coalition nationale Jeunesse, Paix et Security en RDC (CJPS) en 2021. Actuellement, je suis Directrice Exécutive de Salama Women’s Institute, et Coordonnatrice nationale du STN-2250 (Secrétariat Technique National de mise en œuvre de la Résolution des Nations Unies 2250 sur la Jeunesse, la Paix et la Sécurité) en RDC.
Le programme Fulbright du Département d'Etat Américain m'a permis d'avoir mon master à l'université de Cincinnati en Ohio, j'ai enquêté sur la présence, les récits et les stratégies utilisées par les Congolaises pour accéder au processus de paix de 1998 à 2003.
Ainsi à l’occasion de la célébration du vingtième anniversaire de l’entérinement de l’Accord Global et Inclusif de Sun City (du 1 au 2 Avril 2003), j'ai organisé le lancement du fond d'archive public des femmes pionnières au processus de paix de 1998-2003 avec l'appui du ministère de la Culture, Arts et Patrimoines couplée d'une cérémonie de décoration officielle, des femmes pionnières de toutes les composantes du pays ayant participé aux différents processus de négociation de paix en République Démocratique du Congo pour marquer la reconnaissance des mérites et loyaux services rendus à la nation par leurs activisme et bravoures historiques en Afrique du Sud jusqu'à l'entérinement de l’Accord Global et Inclusif en avril 2003. Cette cérémonie s’est clôturée par l'inauguration d’une stèle logée au musée national retraçant les noms des femmes présentes durant tout ce processus de Paix.
La semaine s’achève avec la clôture des IXes jeux de la Francophonie à Kinshasa. Quel a été pour vous le moment clé de l’évènement ?
Marie-Rose Tshite : le moment clé pour moi a été le lancement officiel des jeux. Surtout, le sérieux mis pour la réalisation du spectacle inaugurale, la beauté du spectacle dans son entièreté, l’entrée des taxis jaunes des sapeurs, l'engouement du public à s'aligner pour assister au spectacle et aussi l'effort du Gouvernement à être attentif aux plaintes des athlètes burkinabais et malgaches en y apportant des solutions.
La RDC, pays organisateur de ces éditions a terminé en 7ème position du classement général avec 33 médailles dont 5 en or. Que représente cela pour vous ?
Marie-Rose Tshite : cela représente un effort louable et à encourager. Nos athlètes n'évoluent pas forcément dans les mêmes conditions que les autres venant des pays développés, ces résultats prouvent à suffisance que si plus de sérieux est mis pour les accompagner dans des disciplines autres que culturelles, nous pourrons aux prochaines éditions rafler plusieurs médailles.
Dans un autre chapitre, lors de la commémoration du génocide congolais, le Chef de l’Etat a encouragé le Parlement à initier des lois visant à écarter les auteurs des crimes des responsabilités politiques. Trouvez-vous pertinente cette proposition ?
Marie-Rose Tshite : je salue avant tout la reconnaissance officielle par le Gouvernement de cette journée du 2 août, initiée par les mouvements et acteurs citoyens il y a 10 ans. C'est un pas vers la justice et le début du processus de réparation pour des milliers de victimes surtout pour ces femmes et filles qui ont vu leurs corps être utilisés comme arme de guerre pour humilier et déstabiliser des communauté entières. Je suis contente que le génocide congolais soit enfin reconnu par son propre Gouvernement, ce qui appellera à la longue une reconnaissance et des sanctions au niveau international. Effectivement, commémorer cette journée et ne pas sanctionner les auteurs des crimes serait contradictoire. Des lois doivent suivre pour que ce processus de réparations ait un sens pour les victimes. Selon moi, la commémoration doit rester citoyenne, patriotique et non partisane.
S'agissant des élections, le candidat à la présidentielle, Matata Ponyo promet de faire passer les dépenses alloués à la défense de 6% à 15 % du budget national. Pensez-vous que cela aura un impact sur le secteur de la défense nationale ?
Marie-Rose Tshite : les questions de défense et sécurité pour un pays comme la RDC avec deux décennies de guerre et une centaine de groupes armés doivent être pris en compte avec beaucoup de sérieux. Si vous regardez le budget alloué au secteur de la défense aux Etats-Unis, il est de 12%. En Afrique, l’Algérie et le Nigéria sont parmi les premiers pays qui mobilisent un pourcentage important des fonds en faveur de la défense. La RDC ne figure même pas parmi les Top 10 des pays. C’est donc une bonne proposition de pouvoir aligner assez de fonds en faveur de l’Armée pour un pays qui est en guerre depuis une vingtaine d'années. Des propositions comme celles-ci ne viendront que renforcer la demande du peuple congolais à être plus sécurisé et décourager les groupes armés actifs dans le pays.
Par ailleurs, la CENI dit avoir reçu 25 000 dossiers de candidature pour la députation nationale, soit un taux record de 50 candidatures par siège en moyenne et une première depuis 2006. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Marie-Rose Tshite : En tant que citoyens, cela devrait nous interpeller. Avec toutes ces candidatures, est-ce que c’est vraiment des Congolais qui veulent s’engager en politique pour servir ou pour mieux se servir ? Les chiffres augmentent c’est vrai mais avons-nous suffisamment de parlementaires qui servent vraiment la population ? Qui rend compte ? Qui sont sur terrain en plein congé parlementaire pour porter les préoccupations de la population ? Je pense que cela reste quand même une grande interrogation pour nous les citoyens de voir ce taux record de 50 candidatures par siège en moyenne et cela devrait pousser plus à de l’activisme citoyen pour servir le peuple autrement que d’avoir tout le monde qui veut tenter sa chance dans le parlement.
En sécurité, quatre véhicules ont été incendiés et un chauffeur blessé dans une nouvelle embuscade des ADF à Mambasa. Quelle suggestion feriez-vous pour prévenir ces embuscades récurrentes ?
Marie-Rose Tshite : cette question d’insécurité nous ramène à la question du budget. Il est vraiment important que plus de fonds soient affectés dans le secteur de la défense de nos frontières, dans la formation de nos Forces armées, parce que c’est le seul moyen efficace de combattre et éradiquer cette insécurité. Les embuscades prouvent à suffisance que les personnes qui nous attaquent sont suffisamment équipées, ils maîtrisent nos différentes positions. Je présente mes condoléances à toutes ces familles qui continuent à perdre les leurs à cause de tous ces groupes rebelles. Cela nous interpelle sur la question de la sécurité et nous demandons au gouvernement de mobiliser encore plus de fonds pour nos Forces Armées qui sont déployées sur terrain. Prévenir ces embuscades nécessite des fonds et de la formation.
Pendant ce temps, la MONUSCO souhaite contribuer à la mutualisation des efforts des troupes déployées en vue d’une résolution durable de la crise provoquée par la résurgence du M23. Soutenez-vous cette proposition ?
Marie-Rose Tshite : nous devrions soutenir toutes les propositions qui visent à renforcer notre système de défense. C’est bénéfique pour nous d’avoir des alliés qui nous aident dans la mesure du possible tout en respectant l’intégrité territoriale de la RDC, par la sécurisation de nos frontières. Cela aiderait à réduire toutes les embuscades, à donner de la force à notre Armée, à diminuer la prétention qu’ont les groupes armés.
Il est donc important d’avoir des partenaires tels que la Monusco et encore d’autres pour aider nos Forces Armées à conjuguer les efforts avec les Force de l’EAC. Toutes ces armées peuvent agir tout en respectant les accords avec la RDC et continuer à mutualiser les forces contre la résurgence du M23 mais aussi d’autres groupes armés.
Dans l’actualité au niveau continental, la Côte d'Ivoire pleure Henri Konan Bédié qui s’est éteint à l’âge de 89 ans. Que retenez-vous de cette personnalité politique ivoirienne ?
Marie-Rose Tshite : La Côte d'Ivoire est un pays que j’affectionne énormément. J’ai développé des liens d'amitié dans ce pays. Henri Konan Bédié était un homme d’Etat authentique. "Sphinx", c'est comme ça qu'on le désigne en Côte d’ivoire. C'est justement par rapport à la durée et la constance de son combat politique. Il est arrivé au pouvoir de façon constitutionnelle, à la mort du premier président, Félix Houphouët-Boigny. La Constitution disait que c'était le président de l'Assemblée nationale qui deviendrait président. Il est l'un des trois tenants de la politique en Côte d'Ivoire, avec Laurent Gbagbo et Alassan Ouattara.
En 2010, quand il se retrouve au coude à coude avec ADO (Alassan Ouattara), en tant que partisan de la non-violence, il va privilégier le dialogue. Il était un maillon fort et important qui allait peser dans la question de la réconciliation nationale en Côte d’ivoire. En résumé, il était président de l'Assemblée nationale, puis président de la Côte d'Ivoire. C'est quelqu'un qui ne dirigeait pas forcément de main de maître, mais qui avait un vrai contrôle sur son parti, qui est l'un des plus gros partis politiques en Côte d'Ivoire. Ce qui fascine aussi, ce sont ces 66 ans de mariage avec sa femme et sa longévité au PDCI.
Au Sénégal, l’opposant Ousmane Sonko, a été arrêté et accusé notamment d'appel à l’insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complot contre l'autorité de l'État. Quel est votre avis sur ces accusations ?
Marie-Rose Tshite : les tumultes au Sénégal dérangent, parce que c’est un pays qui a été modèle en termes de pacification et de calme pendant très longtemps. Il n' y a pas que le cas de Ousmane Sonko. Tout ce qui se passe dans la scène politique sénégalaise dérange la notoriété des pays pacificateurs. Ils ont une justice comme tous les autres pays qui ont sûrement des raisons évidentes de vouloir l'inculpé mais il saura se défendre, nous avons vu différentes manifestations organisées récemment. Il aura suffisamment l’appui de la population et de ses avocats pour se défendre. Nous observons de près pour voir comment cela va se régler et comment le Sénégal va rester modèle .
Il ne faudrait pas oublier aussi que c’est un candidat à la présidentielle. Cela peut ressembler à de l’acharnement politique mais j’estime comme je l’ai dit. Le Sénégal est un pays avec une jeunesse en grand nombre, très croissante, une jeunesse civique, patriotique, très impliquée pour les questions politiques dans son pays et qui va faire en sorte que les résultats de cette accusation ou inculpation puissent être vraiment ceux que le peuple veut. S’il est inculpé, je crois que la justice de son pays aura dit le droit.
En Russie, le principal opposant Alexeï Navalny, déjà en prison depuis 2021, a été condamné à 19 ans de prison supplémentaires pour extrémisme. Que pensez-vous de cette décision de justice ?
Marie-Rose Tshite : la Russie est un pays qui a des difficultés à laisser éclore les activistes des droits de l’Homme ou anti -corruption ou encore ceux qui critiquent ouvertement le régime en place. Cependant, c'est une décision de justice qui peut toujours changer. La politique est une dynamique au niveau international et voyons de très près ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. C’est une décision de justice assez dure pour quelqu’un qui a passé suffisamment de temps en prison. Mais la dynamique politique actuelle qui se passe en Russie me laisse croire que des rebondissements peuvent avoir lieu tant que cette guerre entre la Russie et l'Ukraine continue.
Un dernier mot ?
Marie-Rose Tshite : nous avons célébré la journée internationale de la femme africaine le 31 juillet, au vu du Genecost 2898, et aussi l’année électorale et comment les candidats qui ont déposés leurs listes n’ont pas vraiment tenu compte de mettre 50% de femmes sur les listes, il est important pour les acteurs politiques et même le gouvernement de reconsidérer la promotion de la participation des femmes sur les questions électorales mais aussi pour les négociations de paix qui se passent à Luanda et en Nairobi où les jeunes et femmes sont sous représentés. Il est crucial que les acteurs qui sont majoritaires démographiquement et qui contribuent activement aux initiatives de paix et même dans la vie quotidienne dans l' économie soient prises en compte.
Propos recueillis par Prisca Lokale