RDC : l’actualité de la semaine vue par Julienne Lusenge 

Photo/ Droits tiers
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Inondations à Kalehe, plus de 650 victimes des violences sexuelles enregistrées en seulement deux semaines près de Goma, débats autour de la proposition (dot, fiançailles, polygamie...) de Daniel Mbau, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Julienne Lusenge passe en revue chacun de ces faits.   

Bonjour Madame Julienne Lusenge et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ? 

Julienne Lusenge : Avec d’autres collègues, j’ai créé la Solidarité des femmes pour la paix et le développement intégral (SOFEPADI) qui offre des services aux femmes victimes des violences sexuelles à Bunia et Beni. Nous travaillons également pour la cohésion sociale, la bonne gouvernance et le plaidoyer. A Goma, nous recevons des Fonds humanitaires pour apporter de l’aide aux personnes déplacées et vulnérables, y compris les victimes. Nous donnons des kits dans les centres de santé à Djugu, Rutshuru, Nyiragongo pour qu’ils offrent directement des soins aux femmes. Notre organisation a 23 ans et nous avons une centaine d’agents au service de la population. Nous collaborons aussi avec les services étatiques et les partenaires. Nous leur adressons nos remerciements pour leur engagement. En 2007, nous avons créé le Fonds pour les femmes congolaises. A ce jour, nous avons subventionné au moins 587 projets dédiés aux organisations féminines qui interviennent sur plusieurs thématiques. Nous avons terminé avec succès un projet accès sur la lutte contre les violences à l’égard des filles dans 10 provinces. Nous avons réussi à mettre en place des clubs des filles au niveau des écoles pour dénoncer et lutter, mais également des clubs scolaires où des enseignants, autorités scolaires et judiciaires, les activistes se réunissent pour étudier les cas dénoncés et évaluer l’accompagnement. Depuis deux mois, nous avons lancé une nouvelle initiative avec les femmes, dénommée « Femmes, Paix et Sécurité ». Au vu des défis sécuritaires actuels, nous voulons que les femmes se mettent ensemble pour parler d’une même voix et porter leurs messages au niveau des tables des décisions.  

Les inondations ont fait plus de 400 morts à Kalehe. En 2022, Kinshasa, et cinq autres provinces avaient également connu ces drames. Quelle solution durable faut-il envisager par rapport à ces catastrophes naturelles ? 

Julienne Lusenge : je commence par présenter mes condoléances à toutes les familles affectées par ces catastrophes mais aussi attirer l’attention des autorités. Il n’est pas seulement question de visiter les victimes avec des caméras, faire des déclarations ou enterrer les morts. C’est bien plus que cela. Ces situations ne peuvent pas continuer à se produire. Il y a beaucoup d’études qui ont été faites, des recherches et des plans d’urbanisation. Il faut que le ministère de l’urbanisme puisse mettre en œuvre des solutions durables. Que les documents soient exploités à bon escient. Il faut que la population soit sensibilisée, que les services de cadastre et des affaires foncières arrêtent de fournir des documents et titres fonciers pour des terrains inhabitables. Il faut  que l’Etat congolais s’active pour les bonnes causes. A Kinshasa par exemple, la commune la plus vaste, Maluku, est presque inhabitée. L’Etat n’a pas encore urbanisé cette commune et les populations commencent  à y acheter des terrains. Va-t-on attendre que les constructions commencent pour que les services de l’Etat s’y attèlent ? Kin Bopeto ne devrait pas juste être un slogan. Il faut plus d’initiatives dans la gestion des déchets.   

Selon vous, quelle réponse humanitaire sera la plus appropriée pour les victimes de ces intempéries ? 

Julienne Lusenge : il faut anticiper les choses. Nous avons un ministère chargé des affaires humanitaires. Ce qui suppose que nous devrions avoir des fonds prévus pour ces situations, des plans élaborés pour intervenir. La réponse ne consiste pas à apporter de l’aide financière ou des vivres. La réponse serait d’identifier un endroit pour construire des maisons pour toutes les personnes affectées. Si l’Etat Congolais décide de délocaliser les familles pour leur offrir des bâches, ce qui semblera être une solution, sera détruit au premier coup de vent. A un moment, il faut que le gouvernement s’assume et ne laisse pas toute la charge aux humanitaires. Il faut anticiper les problèmes et agir correctement. 

MSF a révélé qu’en deux semaines, 674 victimes de violences sexuelles ont été prises en charge sur six sites aux alentours de Goma (Nord-Kivu). Que doivent faire les autorités impliquées pour mettre fin à ce fléau ? 

Julienne Lusenge : on ne va jamais mettre fin aux questions des violences sexuelles tant que la justice ne fonctionne pas, tant qu’il n’y a pas de paix, tant qu’il n’y a pas une prise de conscience en faveur de la bonne gouvernance en RDC et une bonne éducation. Avec les guerres, notre société a totalement été désarticulée. Maintenant, il faut que l’on se réveille et travaille pour le changement des mentalités. Il faut que la justice sanctionne. Nous sommes souvent déçus par les magistrats qui s’interrogent sur la nécessité d’arrêter un garçon de 17 ans qui a violé une jeune fille de 16 ans qui finalement est tombée enceinte. La justice ne pourra pas avancer s’il n’y a pas de sanctions (…). Dans cette situation, il faut que la loi soit appliquée, il faut que les camps des déplacés soient sécurisés, il faut renforcer l’éducation  civique pour qu'à tous les niveaux, les acteurs de la société soient sensibilisés contre les violences sexuelles. Nous appuyons la loi portant exemption des victimes aux frais de justice et il faut aussi rapprocher la justice des justiciables. 

Le conflit interethnique Teke-Yaka est aux portes de Kinshasa.  Une quinzaine de personnes dont un militaire ont trouvé la mort au cours de deux attaques. Que faire pour empêcher son expansion ?  

Julienne Lusenge : dès son début à Kwamouth, il fallait agir efficacement pour rétablir l’autorité de l’Etat. Il faut en déterminer les causes, identifier des protagonistes, les facteurs, les influenceurs, dialoguer et, dans une certaine mesure, punir. Sinon, Kinshasa sera vraiment affectée. On parle de l’agression rwandaise à l’Est mais que fait-on pour ce conflit qui commence déjà à faire des victimes à Maluku qui se trouve à Kinshasa, centre des institutions ?  Les autorités doivent exercer la gouvernance sur ce pays. Il faut également que chaque citoyen puisse à son échelle contribuer à la paix. Il est temps que chaque congolais puisse se dire, nous devons agir pour mettre fin à la guerre. 

A Gaborone (Botswana), le Président Tshisekedi a révélé que d'ici juin si la force régionale n'arrive pas toujours à jouer son rôle tel que prévu, la RDC sera obligée d'exiger son départ. Soutenez-vous cette affirmation du Chef de l’Etat ?  

Julienne Lusenge : oui, je soutiens l’affirmation du Chef de l’Etat. A quoi bon garder la force régionale si elle est venue faire une mission d’observation, que mène déjà la Monusco ? Au moins, cette dernière essaie de combattre aux côtés des FARDC. Nous voulons qu’ils passent à l’action. Je pense aussi qu’il y a un dialogue de sourds entre les deux parties. La force dit autre chose (par rapport à sa mission, ndlr) et notre gouvernement dit également autre chose (mission offensive, par exemple). Est-ce qu’ils s’étaient bien entendus ? Il faut que l’Armée congolaise s’organise et accomplisse sa mission. Il faut reconstruire, former, équiper, nourrir  notre armée et punir tous les officiers congolais qui n’accomplissent pas leur travail. 

Le Vice-Premier Ministre de la défense nationale a rencontré des officiels en Indonésie dans le cadre d’une collaboration militaire. Une telle initiative est-elle pertinente selon vous ? 

Julienne Lusenge : En ce moment, nous avons juste besoin de la paix. Nous voulons qu’il y ait des coopérations signées dans le respect de notre pays, qui peuvent ramener la paix. Nous croyons que le ministre, qui a connaissance des contours de la guerre, sait ce qu’il faut pour la RDC. Même si on ramène les armes, tant que nous n’aurons pas une bonne armée, on ne fera rien. Il faut la restructuration de notre armée. Que tous les officiers corrompus soient mis à la retraite et que des jeunes patriotes et nationalistes qui vont combattre pour le pays soient engagés. 

Il y a eu également cette semaine, le débat autour de la proposition de loi du député Mbau Sukisa sur la dot, les fiançailles, la polygamie. Quel est votre avis sur les amendements proposés ? 

Julienne Lusenge : je pense que le député n’avait pas à fixer le prix de la dot. Quelle tribu utilise les dollars ? Il faudrait plutôt revaloriser les symboles autrefois demandés dans chaque tribu. Il faut que les jeunes, filles et garçons se lèvent pour bannir ces mauvaises pratiques au niveau des communautés qui consistent à fixer des montants élevés pour la dot. Pour ce qui est de la proposition sur la polygamie, je suis désolée de constater qu’en ce moment où nous avons des problèmes de sécurité pour nos populations, pour mettre fin à la guerre, les députés se mettent à débattre autour de la polygamie. Ils sont prêts à vilipender leurs collègues par rapport à leurs vies privées. Quel est le rôle de l’Assemblée Nationale ? Je crois que la population congolaise suit ces débats et je souhaite que les congolais puissent tirer des leçons de ce parlement (Sénat et Assemblée Nationale). Que l’on puisse élire des personnes capables de travailler pour la population.  

Au niveau continental, après l’EAC, la SADC promet de déployer des troupes dans l'Est du pays. Quels sont les préalables à tenir avant leur arrivée ? 

Julienne Lusenge : la SADC peut se déployer. Que les accords soient clairs et publiés dans une langue que nous comprenons tous. Pour que la communauté de la SADC et la RDC, puissions comprendre quels sont les mots et les actions sur lesquels nous nous sommes convenus. De cette façon, ils ne pourront pas arriver en RDC pour une mission d’observation. Que vient faire la SADC ? Quelle sera la mission des FARDC ? 

L'opposant sénégalais Ousmane Sonko a été condamné à 6 mois de prison avec sursis lors d'un procès en appel pour diffamation. Ceci menace son éligibilité à la présidentielle de 2024. Que pensez-vous de cette décision de la justice sénégalaise ? 

Julienne Lusenge : l’Afrique doit prendre conscience. Nous avons des lois, les constitutions  et d’autres textes qui garantissent les droits humains. Pourquoi cet opposant doit se voir condamné pour réduire ses chances de participer en tant que candidat aux élections ? Peut-être même, qu’il n’allait pas gagner les élections. Il est temps que les dirigeants africains puissent respecter les textes légaux pour avoir une Afrique que nous aimons pour le peuple et construire un continent qui respecte les valeurs.  

En Turquie, les élections présidentielle et législatives ont lieu ce dimanche. Pour la première fois depuis 20 ans, Erdogan se retrouve face à Kilicdaroglu, figure d'une opposition unie. Quel possible résultat attendez-vous ? 

Julienne Lusenge : je crois que les turcs savent mieux ce qu’il faut pour eux. 

Un dernier mot ?  

Julienne Lusenge : je voudrais encourager notre armée, encourager nos autorités, encourager tous les congolais à se lever et agir pour la sécurité du pays. Nous devons nous mêmes être des agents de sécurité, veiller sur notre entourage, nos villages, nos provinces pour notre sécurité nationale. Informer les services compétents quand il le faut. Après 60 ans d’indépendance, nous devons relever les fronts, récupérer notre dignité par des actions concrètes, en combattant la corruption, en mettant en place une bonne gouvernance pour que chaque congolais puisse bénéficier des ressources que le bon Dieu a mis en RDC. Travaillons pour la paix pour que toutes ces populations qui se trouvent dans la détresse totale puissent retrouver leur dignité. C’est inacceptable de dire qu’il n’y a pas d’argent lorsqu’il s’agit d’investir là où il faut. Nous devons faire des efforts pour accompagner le Chef de l’Etat mais aussi aider ceux qui sont dans le besoin, travailler pour la protection de la nature, combattre les déchets qui polluent la ville de Kinshasa.

Propos recueillis par Prisca Lokale