Tous les ans, le 3 mai, le monde des médias célèbre la liberté de la presse. En République Démocratique du Congo, le thème choisi cette année fait référence à la crise sécuritaire et à la nouvelle loi mise en place. Le Desk Femme d'Actualité.cd s’est entretenu avec Flore Kayala Mukala, qui dresse le bilan du secteur médiatique congolais.
Bonjour Madame Flore Kayala et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours et du poste que vous occupez actuellement au sein de votre média ?
Flore Kayala :Je suis journaliste de formation et de carrière depuis 15 ans. Après mes études en communication à l'université catholique du Congo (autrefois Faculté catholique de Kinshasa), j’ai été formée en montage et prise de vue à l’ICA (Institut Congolais de l’Audiovisuel). J’ai travaillé à Congo Web, Télé 7, en tant qu’animatrice d’une émission éducative axée sur les contes africains pour Belgo Congolais (une école basée à Kinshasa, ndlr). J’ai travaillé en tant que responsable de la Radio au sein d'Africa Télévision. Plus tard, j’ai postulé et intégré l’administration privée dans le secteur du pétrole. J’y ai occupé des postes de direction. Au bout de cinq ans, j’ai renoué avec les médias à travers l’Union Congolaise des femmes des médias (UCOFEM), en tant que membre et consultante administrative. J’ai été cheffe du desk genre à Election.net. Après des formations en ressources naturelles et mon expérience dans le monde du pétrole, j’ai travaillé à l’ITIE (Initiative pour transparence des industries extractives). Avec des collègues, nous avons mis en place l’Asbl Oisillons qui a également donné lieu au média en ligne axé sur l’environnement et les ressources naturelles, genre et société, droits humains et entrepreneuriat. Je suis éditrice de ce média.
Le monde célèbre ce 03 mai, la liberté de la Presse. Quelle définition accordez-vous à ces termes ?
Flore Kayala : la liberté de la presse est une condition nécessaire à la démocratie. Celle-ci a toujours été obtenue après de longues luttes. En RDC, la loi N*96/002 du 22 Juin 1996 fixe les contours de cette liberté.
Au cours des dix dernières années, quel bilan dressez-vous de cette liberté en RDC ?
Flore Kayala : je crois qu’en dépit des réformes faites entre 2019 et 2023, pour se référer aux États généraux, les atteintes à cette liberté continuent à être constatées. Il y a des faits positifs tels que la réduction des cas d’atteintes à cette liberté mais le fait qu’ils continuent à être enregistrés est préoccupant. Et la responsabilité est partagée. D’une part, l’Etat congolais qui exerce la censure sur la presse. De l’autre, des dérapages qui s’observent dans les médias à travers notamment la multiplication des maisons de presse et tous les « intrus » qui intègrent la profession.
Le 03 mai est célébré cette année avec la nouvelle loi sur la presse en RDC. Quels changements pourront être enregistrés à travers cette nouveauté selon vous ?
Flore Kayala : cette loi sera d’un grand avantage parce qu’elle prévoit notamment le droit de réponse pour la personne qui se sent lésée par le travail des journalistes. Je crois aussi que la nouvelle loi va filtrer l’accès à cette noble profession .
Pour cette année électorale et la crise sécuritaire dans l'est du pays, quelles recommandations feriez-vous aux médias concernant leurs contenus ?
Flore Kayala : d’être le plus impartial possible, d’être professionnel dans le traitement de l’information et surtout d’être patriote. J’ai constaté que certains médias ont tendance à accentuer et relayer très souvent les informations des camps adverses à la RDC. Ce sont des informations qui démoralisent la population. La presse, c’est le quatrième pouvoir, elle bénéficie de la crédibilité que lui donne la population. Il est vrai que les médias ne devraient pas avoir de coloration politique mais parler en bien des camps adverses dans cette période n’encouragent pas les efforts locaux.
Quels sont selon vous les critères qui définissent un bon journaliste?
Flore Kayala : un bon journaliste est celle/celui qui n’appartient à aucun parti politique (ses points de vue ne seront pas truqués), un bon journaliste est également celle/celui qui sait vérifier l’information (il ne suffit pas d’avoir des sources crédibles. Encore faut-il traiter, vérifier l’information avant toute diffusion), un bon journaliste travaille en toute impartialité et pas uniquement pour des gains financiers (coupages et autres), un journaliste travaille par passion.
Avec l'avènement et la démocratisation de l'internet, nombreuses sont les personnes qui se disent journalistes. Quel regard posez-vous aujourd'hui sur cette "diversification" de la profession ?
Flore Kayala : il faut une bonne régulation de la profession. Si la loi peut créer et imposer la différence entre un animateur et un journaliste, cela va réduire les dérapages. C’est assez désolant de passer des années à l’université pour se former à ce métier, de suivre des formations post universitaires, de remporter des prix et exceller, ensuite rencontrer des personnes qui n’ont pas fait ce parcours mais qui se disent journalistes.
Un dernier mot ?
Flore Kayala : je demande aux professionnels des médias de ne pas sombrer dans le libertinage. Les NTIC, les nouveaux médias sont arrivés, mais n’en profitons pas pour transformer nos plateaux, nos studios, en ring où les insultes et les coups sont permis. Nous espérons que la nouvelle loi sera d’application mais la meilleure régulation est celle qui sera faite par nous-mêmes. Interrogeons l’éthique et la déontologie, sachons donner une image positive du pays. Aux régulateurs, trouvez des mesures qui soient objectives et équilibrées. Que ce ne soit pas des mesures taillées sur mesure. Les conditions d’octroi de la carte de presse par exemple devraient être égales pour tous.
Propos recueillis par Prisca Lokale