Du rapport d’Amnesty international sur les attaques meurtrières du M23 à Kishishe, au sommet extraordinaire des Chefs d’Etats de l’EAC sur la situation dans l’Est, en passant par les images de l’arrestation brutale d’une jeune femme à Kinkole ou les révélations de l’Inspection générale des finances, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Chantal Faida passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Chantal Faida et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Chantal Faida : Je suis activiste sociale et militante, défenseure des droits des femmes et des filles dans les questions de leadership politique, de gouvernance, également fondatrice de Uwema Asbl, spécialisée dans la promotion de l’éducation pour tous et les droits spécifiques des femmes.
Cette semaine, Amnesty international a dévoilé qu’au moins 66 femmes et filles ont été violées par les rebelles du M23 à Kishishe. Quelles sont les mesures à prendre pour protéger les femmes qui se trouvent dans les zones occupées par les mouvements rebelles ?
Chantal Faida : ce compte rendu de l’Amnesty International est venu appuyer les différents rapports de la société civile et du gouvernement congolais. Notamment, le livre blanc sur les massacres de Kishishe du 21 novembre 2022, ayant causé la mort des plusieurs compatriotes par les rebelles du M23, supplétifs de l’armée Rwandaise. Nous ne cessons de condamner cette agression manifeste et intolérable en plein XXIè siècle où tous les Etats africains ont ratifié la charte de l’Union africaine des droits de l’homme et des peuples dont les dispositions phares recommandent que les Etats membres de l’UA ne doivent pas servir de bases arrières aux mouvements terroristes, subversifs contre d’autres états. Le Rwanda devra être sanctionné au niveau de l’Union Africaine, au niveau de l’EAC et de toutes les autres organisations régionales et sous régionales pour cette agression manifeste depuis plus de deux décennies. La RDC devra sécuriser sa population, conformément à l’article 16 de notre constitution, équiper nos FARDC, valoriser les fonctions des militaires et des policiers et RDC par des salaires suffisants, renforcer le budget alloué au renseignement et traquer les officiers FARDC qui seraient de mèche avec le rebelles après les enquêtes. Nous avons une armée qui peut tenir face à toutes les autres armées de la sous-région mais, il lui faut un appui adéquat. L’unique solution de la RDC à cette crise sécuritaire est militaire.
Au nord de Goma, un engin de guerre a explosé, causant la mort d’une femme et blessé une autre. Ces cas sont régulièrement enregistrés dans cette partie du pays en proie aux conflits armés. Comment y remédier selon vous ?
Chantal Faida : ces cas sont récurrents et deviennent inquiétants. La population demande en urgence que des mesures appropriées soient prises pour déminer surtout les sites des déplacés. En même temps, il va falloir mener une enquête pour connaître les causes véritables de ces explosions, installer des services de déminage dans chaque site des déplacés et sensibiliser la population pour qu’elle puisse être vigilante, ne pas toucher aux engins suspects. Car, généralement les déplacés s’installent de manière spontanée à différents endroits sans pouvoir se rassurer de la viabilité de ces sites. Dans ce même cadre, nous déplorons le décès des quatre personnes déplacées dans le site de Bulengo Quartier Lac vert, asphyxiées par du gaz. Ce qui voudrait dire que ce site devient inapproprié pour la population en déplacement et devrait être délocalisé.
En économie, l'IGF a dévoilé un contrat minier favorisant des importants décaissements en faveur des entreprises chinoises, mais en retour, des très faibles investissements en infrastructures ont été réalisés au profit de la RDC. Ledit accord date de 2007. Que devrait faire le gouvernement congolais après ces révélations ?
Chantal Faida : je vais demander à notre gouvernement de pouvoir retracer de manière méticuleuses toutes les infrastructures liées aux contrat chinois, construites ou réhabilitées et associer la population dans l’identification de ces infrastructures (bien qu’elle n’a pas été associée lors de la signature dudit contrat). Au parlement de pouvoir tabler sur ce dossier pour que la population puisse être éclairée. Le parlement représente la population et il faudrait que tous les contrats qui engagent l’Etat congolais y soient validés. On se plaint beaucoup de la situation de pauvreté qui ne cesse de s'accroître, elle devient inquiétante alors que nous avons un potentiel immense des ressources naturelles. C’est un dossier important qui va prévenir d’autres situations identiques qui ne pourraient pas permettre à la nation de se développer et éviter la signature des contrats léonins dont la RDC n’en sera pas bénéficiaire.
En justice, il y a eu des images de la brutale arrestation d’une jeune femme nommée Tabitha Elonga à Kinshasa par des éléments de la police en tenue civile. Sur ce, le parquet général de Matete a lancé un avis de recherche contre le magistrat responsable de cette arrestation. Vos recommandations ?
Chantal Faida : l’affaire Tabitha à Kinshasa est une situation très inquiétante parce que la personne humaine est dévalorisée, désacralisée. Je dénonce et je déplore ces actes de tortures. Le plus grave, c’est de savoir qu’ils ont été orchestrés par un officier de police judiciaire, un magistrat censé connaître la loi, les dispositions en matière de respect des droits de l’Homme. Nous demandons à ce que justice soit faite et que la personne humaine soit respectée aussi bien à Kinshasa que partout en RDC. Que les agents commis à la justice soient davantage sensibilisés sur les droits humains.
Concernant les cas de tortures à Salamabila (Maniema), le ministre des droits humains est arrivé à Kindu, chef-lieu de la province. Il devra se rendre sur place pour des mesures idoines. Quelles mesures attendez-vous donc ?
Chantal Faida : sur les images, on a pu voir des jeunes filles brutalisées et agressées physiquement. Cela frôle les cas d’agression sexuelle et physique violente. Nous pensons que ces actes ont pu se produire parce qu’il y avait absence de l’autorité de l’Etat à cet endroit. Ce sont les rebelles et les milices qui ne sont pas sous le contrôle des autorités congolaises qui ont posé ces actes. Nous souhaitons que justice soit faite pour les personnes attaquées et agressées, et que l’Etat, à travers les autorités militaires et policières puissent être présent sur toute l’étendue du Maniema. Que les enquêtes soient ouvertes pour sanctionner les auteurs et prendre en charge les victimes.
Sept militaires ont été condamnés à la peine capitale pour « lâcheté devant l’ennemi ». Ils avaient semé la panique au sein des populations de Sake, les poussant à des déplacements massifs. Comment avez-vous accueilli ce verdict ?
Chantal Faida : c’est la première fois que je vois notre armée travailler avec une célérité remarquable. Cet acte encourage la population car nous avons vu beaucoup d’opérateurs de la cité de Sake perdre des biens suite à cette situation d’incertitude. Au cours de cette semaine, nous avons assisté au retour de ces populations qui sont inquiètes par la présence et l’avancée des rebelles du M23 dans le territoire de Masisi. On peut saluer les efforts de nos FARDC tendant à récupérer toutes les zones occupées. L’opération d’enrôlement a commencé le 16 février dans la troisième aire opérationnelle. On déplore cependant le fait que dans les territoires de Nyiragongo, Masisi, Rutshuru, plusieurs congolais seront privés de leurs droits d’être inscrits sur les listes des électeurs. C’est un plaidoyer que nous lançons afin que les zones occupées soient libérées et que chaque Congolais ait la possibilité d’avoir une carte d’électeur qui lui permettra de jouir de ses droits civils et politiques, choisir ses dirigeants dans un futur proche.
En sports, le gouvernement a décaissé 100.000 USD en faveur du boxeur Martin Bakole dans le cadre des préparatifs d'un combat dont les dates et l'adversaire ne sont pas encore fixés selon le sportif. Quelle lecture faites-vous de cette affaire ?
Chantal Faida : le dossier du champion de boxe congolais qui a décroché une belle somme d’argent de la part du gouvernement après avoir lancé un cri d’alarme est quand même très sensible car on a vu la diligence avec laquelle notre gouvernement a réagi pour une question tout aussi légitime. Cependant, nous avons plus de 200.000 personnes qui passent la nuit à la belle étoile, sans eau, sans latrines, et sans accès à l’éducation pour les enfants, sans l’accès aux soins de santé. Tout cela depuis le déclenchement des hostilités contre le M23 dans la partie Est. Il y a également d’autres situations humanitaires très urgentes qui n’ont pas encore bénéficié d’une réaction proportionnelle de notre gouvernement. Donc, nous notons que notre gouvernement a des ressources. Malheureusement, la priorisation des actions du gouvernement pose problème. Soutenir un athlète, un sportif congolais rentre dans l’ordre des dépenses du gouvernement. Mais nous demandons au gouvernement de rétablir l’ordre des priorités.
Pendant ce temps, les Léopards basketball seniors messieurs doivent participer à la 5ème et dernière fenêtre des éliminatoires de la Coupe du Monde 2023, prévue en Egypte du 24 au 26 février prochain. Ils sont bloqués à Kinshasa faute de moyen. Que devrait faire le ministère des sports dans ce cadre ?
Chantal Faida : nous lançons un appel au gouvernement congolais pour soutenir l’équipe nationale de basketball. Il y a plusieurs disciplines sportives et les léopards séniors devraient prendre part à cette rencontre en Egypte. Aucune raison ne va justifier leur blocage. C’est le drapeau de la RDC qui sera porté au panthéon international, qui fera la fierté au niveau de l’Afrique. Que la logistique et le budget soient rapidement débloqués pour cette cause.
Au niveau continental, un sommet spécial de la communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) s'est ouvert vendredi au siège de l'Union Africaine. Quelles sont vos attentes de cette rencontre sachant que la Force régionale peine à engager des actions offensives telles qu'attendues du côté congolais ?
Chantal Faida : mes attentes sont, une condamnation claire et des sanctions contre le Rwanda qui continue à agresser la RDC, mais aussi un retrait immédiat des forces de la communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) car dans le communiqué sanctionnant ce sommet, on rend hommage aux pays qui ont contribué à envoyer des troupes en RDC, et pourtant depuis leur arrivée, aucun combat n’a été engagé contre le M23 si ce n’est des multiples pourparlers pour tenter de faire changer l’avis des rebelles qui ont manifestement montré qu’ils ne sont pas pour la paix. La troisième chose sera de demander aux communautés régionales et à l’Union Africaine d’appuyer le programme de démobilisation et désarmement qui a déjà une stratégie en RDC mais qui attend l’appui des partenaires, y compris du gouvernement congolais. Cela va permettre d’éviter notamment aux jeunes de rejoindre les groupes armés et adhérer aux groupes armés étrangers comme le M23.
Au Sénégal, Ousmane Sonko, chef de l’opposition politique a été arrêté avec violence par les forces de l’ordre sénégalaises alors qu'il revenait d'un procès qui devait déterminer son éligibilité aux prochaines élections présidentielles. Comment avez-vous jugé les images de cette arrestation ?
Chantal Faida : c’est un signe inquiétant pour la démocratie sénégalaise car on sait que ce pays prône les valeurs démocratiques et l’alternance. Un chef politique a été arrêté plus d’une fois pour des faits dont la justice n’a pas encore établi la culpabilité. Nous souhaitons que la justice soit indépendante dans ce pays, que le droit soit dit. Nous encourageons le Sénégal à observer les valeurs démocratiques car c’est un pays imité par les autres Etats africains.
Un dernier mot ?
Chantal Faida : je salue la tenue à Kinshasa, du 16 au 17 février 2023, d’un forum national sur le leadership politique de la femme en prévision des échéances électorales prochaines. Organisée par le Forum des femmes citoyennes et engagées pour la gouvernance, la démocratie et le développement (FOFECEGDD), cette rencontre a réuni 50 femmes de plusieurs provinces. Nous avons été édifiées sur les questions de processus électoral, loi électorale, mais aussi la participation politique des femmes, opportunités et défis. Une feuille de route a été produite pour permettre aux femmes congolaises de pouvoir accroître leur nombre dans l’espace public politique en RDC. La RDC doit en être fière et la population est prête à soutenir les femmes.
Propos recueillis par Prisca Lokale