RDC : « je n’ai jamais vu une femme ou fille de la rue porter plainte pour viol », confie un OPJ en service depuis 20 ans

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Éléments de la Police Nationale Congolaise (PNC). Ph. Actualite.cd

A deux jours de la clôture de la campagne des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, le Desk Femme s’est entretenu avec des services de sécurité environnant les milieux des jeunes filles de la rue. Ont-elles déjà porté plainte ? Quel en était le sujet ? Quel service leur a été proposé ? Reportage.

« En tout cas, je n’ai jamais vu une femme ou jeune fille shégué se pointer ici et porter plainte pour viol. Jamais ! », s’exclame Mbadu*, Officier de police judiciaire (OPJ), au poste installé à 5 mètres de la place Magasin (Commune de Kintambo).

Il est très vite complété par le capitaine. « Je suis agent de police depuis 1991. Je travaille en ce lieu depuis une dizaine d’années et je peux vous assurer qu’en aucun jour, je n’ai vu une jeune fille de la rue venir se plaindre de violences sexuelles. Je pense qu’elles en sont aussi victimes, parce qu’elles passent pratiquement leurs nuits sans aucun secours. Mais je ne les ai jamais vues ici ».

Le rond-point Kintambo-Magasin est l’un des carrefours kinois qui accueillent des dizaines d’enfants de la rue. Ils viennent des communes telles que Mont-Ngafula, Ngaliema, Gombe et des camps militaires et policier (Kokolo et Lufungula), renseignent les agents. Au rond-point Victoire, la plupart d’entre eux viennent des communes voisines (Makala, Kalamu, Kasavubu ou Limete). Les shégués qui vivent à Gombe viennent notamment de Barumbu, Kinshasa, Lingwala et Limete (Kingabwa ou Mombele).

Aux environs de la Caisse générale d’épargne du Congo (CADECO) à Gombe, aucun poste de police n’a été installé. Lorsque ces jeunes filles « se sentent en danger, sont menacées de mort ou de viol, soit elles utilisent le moyen de la force ou c’est auprès des agents de la garde républicaine dépêchés aux alentours du fleuve Congo qu’elles se réfugient », avait confié Jolie Umba, 16 ans, (l’une des jeunes filles shégués interrogées par le Desk Femme à cet endroit).

« Nous leur permettons de s’asseoir ici jusqu’à ce qu’elles décident de partir en sécurité », a confié Ngoyi*, agent de la garde républicaine.  

Au Palais de Justice installé également à Gombe, les agents de sécurité affectés à l’entrée du bâtiment soulignent « pour avoir accès à l’enceinte du parquet, il faut quand-même s’habiller décemment. Comment vont-elles y accéder avec leurs tenues ? ». Un OPJ a aussi fait savoir que « depuis qu’il est en service, près de 17 années maintenant, il n’a jamais vu un dossier pour viol dont les victimes sont les jeunes filles ou femmes shégués au parquet général de Kinshasa-Gombe ».
 
A victoire, certaines jeunes filles se confient auprès des agents du poste de police situé à l’entrée de l’avenue Ikelemba. 

« Elles viennent ici lorsqu’elles sont nouvelles sur la place des artistes. Il m’est arrivé de négocier avec la salle de fête située en face pour les héberger pour une ou deux nuits. Après des jours, elles ne reviennent plus », a dit Panzu, un agent de police. 
   
Des plaintes pour violences physiques

Pour les rares fois où les jeunes filles se rendent auprès des services de sécurité, les causes concernent les violences physiques. « Lorsqu’après une bagarre, une s'en sort avec une blessure ou un gonflement profond. C’est alors que vous les verrez ici. Parce qu’elles veulent obtenir réparations. Ce n'est pas leur culture de se plaindre. », a dit le Capitaine de Kintambo.  
 
Au Commissaire de police rencontré à la maison communale de Gombe, à plus de 200 mètres de CADECO de renchérir, « En cas de flagrance ou alerte des passants, nous intervenons. Quand l'un d'eux est arrêté pour des faits des coups et blessures, après 48 heures, nous les relâchons. Pour des faits graves (touchant l’intégrité physique ou menaces avec armes blanches) ils sont directement déférés au parquet de la Gombe ». 
 
Procédure qui peut être appliquée en cas de plainte pour viol
 
« Si elle vient porter plainte en bon citoyen vraiment, pour viol, l'OPJ va enregistrer le cas, avant de le transférer au parquet secondaire de Ngaliema. Le parquet va décider de la suite du dossier. Cette catégorie de personnes est classée parmi les démunis. Tous les frais d’enregistrement et de transfert de dossier seront pris en charge par la police », dit le Capitaine.
 
Le commissaire, à Gombe a évoqué le recours aux arrangements à l’amiable ou au moyen de la force, « Les shégués ont toujours un Chef de Gang. Il dicte la loi. Si, par exemple, il propose de résoudre à l’amiable les faits de viol, les filles devront se soumettre. Si cela ne passe pas, ils useront des moyens de la force pour obtenir justice », a-t-il dit.
 
Par ailleurs, certains agents interrogés par le Desk Femme se sont montrés méfiants à l’idée de recevoir une plainte pour viol de la part des jeunes filles shégués. 

« Une jeune fille qui a quitté le toit parental pour vivre dans la rue n’est plus un enfant ou une citoyenne normale ! », avait réagi un officier. 

Un autre a affirmé, « Elles s’habillent très mal, sont parfois elles-mêmes la cause du viol ». Un troisième a dit « même si elles portaient plainte pour viol, dans quelle mesure pourra-t-on retrouver l’auteur du viol ? Qui ira le faire ? Et même si on le retrouvait, la jeune fille ne sera pas en sécurité lorsqu’elle va retourner dans cette jungle, celui qui exerce le viol est le plus fort ».
   
Le Code pénal Congolais réserve une peine « de servitude pénale de cinq à vingt ans et une amende ne pouvant « être inférieure à cent mille francs congolais constants à quiconque sera reconnu coupable de viol ».

Prisca Lokale