9 novembre 1990: naufrage tragique du bateau Sakaroni de l'Onatra

17h. Le crépuscule sur Kinshasa. Au port Ngobila, fourmillement habituel, mais plus encore ce jour -là parce qu'on attend la dernière  navette Brazza- Kinshasa de la journée. Il y a là, au débarcadère de Kinshasa, la foule habituelle des trafiquants à la sauvette, des vrais- faux handicapés familiers de micmacs en tous genres ; des brigades de contrôleurs nonchalants et complices. Mais il y a là également des négociants professionnels; ou simplement la famille venue accueillir un parent oiseau voyageur ayant choisi l,escale de Brazza avant le terminus de Kinshasa. Mais il y a là au débarcadère mon  collègue haut- fonctionnaire au Ministère du Tourisme. Lui a dû traverser tôt le matin, depuis Kinshasa pour un simple aller-retour en catastrophe, le temps juste d'un coup de téléphone d' urgence à Paris (à l'époque il n'existait pas de téléphone mobile à réseau international, même pas à la Poste...).

Cette dernière vedette de la journée, c'est SAKARONI. Ce sera la dernière navette pour toujours.

Arrivé en effet de Brazzaville apparemment sans problème, voilà que juste au débarcadère, alors que l'équipe d’accueil s'affaire pour les amarres, alors que les négociants professionnels et les informels se bousculent, alors parents et amis s'approchent impatients d'embrasser les arrivants, le bateau devient soudain ivre et se met à tanguer dangereusement au creux vraisemblablement d'un tourbillon. C'est le naufrage en direct, sous les yeux médusés des accueillants, et devant des techniciens de l'ONATRA absolument impuissants, tétanisés.  Deux ou trois passagers parviennent à sauter du bateau et à nager désespérément vers le rivage. Ils sont sauvés de justesse par des piroguiers pêcheurs. J’apprendrai plus tard que mon collègue du ministère du Tourisme est resté coincé dans sa cabine jusqu'à la mort sous eaux.

La tragédie de SAKARONI nous interpelle tous, parce nous tous des amnésiques impénitents ; parce que nous, techniciens de l'Onatra incompétents et démunis de tout équipement de secours et de sauvetage; parce que nous, responsables de l'Onatra et du ministère des Transports, coupables de non-assistance à personne en danger.

Depuis lors, malgré les requêtes et les supplications des proches et des parents des victimes: rien, silence désinvolte...Depuis lors, le débarcadère est resté le même, avec sous ses eaux assassines un bateau soi-disant de luxe, englouti à jamais, sans laisser de testament; un débarcadère grouillant d' insouciance. Mais cimetière oublié, négligé. Nos morts sont morts deux fois, piétinés par une Histoire ingrate...

 

YOKA Lye