Chronique du Pr. Yoka: « Confessions d’un soldat-Monusco »

Une base de la MONUSCO en Ituri
Une base de la MONUSCO en Ituri

CHRONIQUE LITTERAIRE

Confidences du chauffeur du Ministre :

… Un journal abandonné sur la banquette-arrière par S.E le Ministre des Questions Statistiques et Tactiques, notre cher patron.. Il    y   est reproduit, dans ce  fameux   journal, une   sorte   de   témoignage  intime de la part d’un officier/ Monusco    ressortissant de l’Extrême-Orient. Le garde du corps du Ministre  qui  a récupéré le journal   l’a photocopié pour moi, son ami complice. Voici donc les … confidences de cet officier/ Monusco extrême-oriental :

« …UVIRA.  Lundi 25 juillet 2022.   Saison sèche, et donc ciel brumeux.  Brumeux comme le climat social, comme les échos lancinants de cette guerre pourrie d’ici à l’Est du pays. Depuis tout le week-end, des rumeurs persistantes et nauséabondes   enflamment  et   polluent les quartiers populaires. Au point que l’ordre a été donné  à tout notre   corps  militaire de la MONUSCO de se consigner à l’intérieur de la caserne. Cela n’a pas empêché quelques collègues soldats  de descendre        imprudemment  dans les bas-fonds   de la cité pour s’encanailler avec des concubines alors conquises de haute main… C’est d’ailleurs grâce à ces indisciplinés qu’ont été confirmées  les rumeurs d’émeutes contre  nos forces armées. Moi-même, parce qu’officier de garde, je n’ai pas pu honorer mes engagements de concubin ; je me suis contenté d’expédier un SMS  de consolation  et un  MPSA de  viatique  à ma Belle  au bout de la ville. Ma Belle a accusé réception   du billet  doux  et du billet vert, mais elle s’est bien gardée de me révéler quoi que ce soit de suspect.

Mardi 26 juillet. 5 heures du matin. Des cris hostiles venant du dehors,  de la rue.   Des tambourinements insistants et violents  contre  les portails de la caserne/MONUSCO. Je me renseigne auprès de notre interprète  local   sur le sens des paroles incendiaires éructées depuis la rue.  L’interprète dit que ces cris-projectiles  et hostiles   appellent les jeunes à la révolte contre   l’apathie de la MONUSCO devant les nombreux morts pour rien,  contre des forces/MONUSCO   « ponce-pilate ».  L’interprète va loin (au point de  me douter si les propos sont de lui-même         ou de la foule à nos portes) ; il continue à  traduire que les propos de la foule furieuse accusent la MONUSCO d’être une armée de jouisseurs…  Mon sang ne fait qu’un tour, je sonne l’hallali et l’état d’urgence. Les troupes de la MONUSCO se rassemblent dans la cour de la caserne, avec des boucliers, des armes chargées et du gaz lacrymogène,  pour dissuasion, et éventuellement sommations.

13 heures. Bruit tonitruant de fer brisé. C’est le portail : il est K.O, par terre. La foule révoltée a   fait irruption dans la cour de la  caserne. J’ordonne le repli stratégique et le tir du   gaz lacrymogène. Peine perdue. Pour la première fois depuis mes cinq ans de carrière d’officier, je prends peur. Une pensée pour ma concubine  locale, ici,  dans l’abîme de la ville. Une pensée pour ma fiancée, là-bas au loin, toute seule à l’extrême de  l’extrême-orient. Une pensée pour ma pauvre maman, là-bas aussi,  récemment veuve. J’essuie furtivement une larme chaude. Mais soldat de garde en mission internationale,   je me ressaisis ; et j’ordonne aux troupes de se barricader derrière la muraille blindée au fond de la cour, derrière les bâtiments administratifs. Or, de derrière la muraille, nous apercevons le déferlement incendiaire : nos bureaux administratifs saccagés, des femmes en furie qui se dénudent certainement en signe de malédiction contre nous. La situation s’empire. C’est l’assaut des  furies comme feux  de brousse.

Puis, un coup de feu. La panique semble avoir gagné les troupes, celles que la « communauté internationale »  a missionné pour la paix.  Aïe !  Un mort parmi la foule des jeunes ! Pourtant surchauffée   la foule court  vers  les blessés et le mort. Et nous oublie momentanément. Je sors mon mouchoir blanc de ma poche et le brandit en signe de paix. Je me désarme et jette  mon revolver au pied de la foule. Comme dans un film de western,  la foule me « jette » le mort. Elle m’entoure et dans une sarabande surchauffée, fait le deuil autour du mort et de moi. Elle semble se défouler à fond en me balançant des imprécations manifestement funestes.

… UVIRA. La nuit est tombée, plus sombre que jamais. Le deuil, encore le deuil… »…  Fin de l’article.

J’ai fini par photocopier la photocopie de  ce journal  insolite qui m’a été confiée par le garde du corps.  Je la  confie moi aussi aux réseaux sociaux. Pour partager le deuil, encore le deuil…

 

(YOKA  Lye)

30-06-2022