Kasaï Central : mise en gage des cartes de crédit pour nouer les deux bouts du mois, une pratique ancrée dans les habitudes des fonctionnaires de l'Etat

Bâtiment de la Fonction Publique. PH. Fonseca Mansianga/ACTUALITE.CD

"Banque Lambert",  "Mukosa", les termes ne manquent pas au Kasaï Central pour désigner la mise en gage des cartes de crédit par les fonctionnaires de l'Etat afin d'emprunter de l'argent auprès des tiers et nouer les deux bouts du mois. Au fil des années, cette pratique semble s'être ancrée dans les habitudes des fonctionnaires de l'Etat à telle enseigne que leurs comptes bancaires sont gérés par le prêteur de l'argent. En français, cette pratique s'appelle « usure ». Elle consiste à emprunter de l'argent auprès d'un tiers contre un taux d'intérêt excessif. A Kananga, le taux d'intérêt équivaut à la moitié de la somme empruntée.

Ce dimanche 24 juillet 2022, plusieurs fonctionnaires se sont retrouvés dans un débit de boissons dans la commune de la Ndesha autour d'un homme qui a sous ses aisselles une farde en plastique contenant une pile de papiers. Les personnes autour de la table, une vingtaine, passent chacun devant l'homme à la farde, signent sur un papier et reçoivent une somme d'argent. Ensuite, ces personnes qui reçoivent de l'argent laissent un pourboire à celle qui le leur donne.

Loin de nous, un homme en veste perçoit cet argent avec beaucoup de regrets. Son attitude nous interpelle et nous nous approchons de lui. A la question de savoir ce qui était en train d'être fait, notre interlocuteur  raconte :

« Tous ceux que vous voyez autour de la table sont les agents et fonctionnaires de l'Etat. L'homme auprès de qui nous recevons de l'argent n'est pas fonctionnaire de l'État mais vu la modicité de nos salaires et le coup de la vie, nous avons l'habitude d'aller emprunter de l'argent chez lui pour nouer les deux bouts du mois. Nous laissons en gage nos cartes Safir avec lesquelles nous retirons de l'argent à la banque à chaque paie », explique notre interlocuteur avec un regard pensif.

Et de poursuivre :

« A chaque paie, c'est cet homme qui passe à la banque, il retire nos salaires, retient ce que nous avions emprunté assorti des taux d'intérêt et nous remet les miettes qui restent. C'est ainsi que vous nous avez vu signer sur le papier qui contient le règlement intérieur de l'emprunt ».

Quant au regret qu'il exprime, ce fonctionnaire de l'État prénommé Gaston explique : « Je regrette que je commence à retirer mon salaire auprès d'un individu tout simplement parce que j'ai emprunté son argent. Je me vois diminué mais je n'ai pas le choix le coup de la vie étant ce qu'il est ».

De son côté, Clarisse, fonctionnaire, elle aussi, à peine âgée de vingt-sept ans exprime sa déception : « Avec ça, je mourrais pauvre et locataire. Je ne fais que travailler pour cet homme depuis trois ans. Chaque mois, il retient l'essentiel de mon salaire et je suis toujours obligée d'emprunter pour vivre. Avec la rentrée scolaire qui s'annonce, je vais être obligée d'emprunter pour trois mois. Je n'en peux rien. C'est ça la vie d'un fonctionnaire congolais ».

Un expert en sciences commerciales approché pour essayer de nous expliquer ce phénomène pense, lui, que l'État ferait mieux d'accorder des crédits aux fonctionnaires pour leur sortir de cet esclavage.

Sur le plan de droit, Me Aboubacar Tshiaba, avocat au barreau du Kasaï Central révèle que cette pratique est une infraction punie par les lois congolaises : « c'est une pratique illégale qui facilite l'enrichissement illicite des prêteurs. Malheureusement, ces prêteurs empruntent de l'argent aux Opj voire à certains magistrats. Ces prêteurs empruntent de l'argent aux Opj voire à certains magistrats. En conséquence personne ne peut les poursuivre en justice contre cette pratique illégale », regrette cet avocat

Sosthène Kambidi, à Kananga