RDC : l’Actualité de la semaine vue par Annie Pengele

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Mme Annie Pengele, point focal du Fonds pour les femmes congolaises (FFC) au Nord Kivu.

Des contestations autour de la nomination de Tommy Tambwe à la tête du Programme DDRCS, au lancement de la semaine mondiale de l’allaitement maternel, en passant par le débat sur la réduction des prix des billets des vols domestiques ainsi que des produits surgelés, l’actualité de la semaine qui s'achève a été dense. Pour analyser chacun de ces faits marquants, Annie Pengele, point focal du Fonds pour les femmes congolaises (FFC) au Nord Kivu, présidente vice-présidente de la Société civile de Goma a répondu aux questions du Desk Femme. 

Bonjour Madame Annie Pengele et merci de nous accorder de votre temps. La semaine qui s’achève a été riche en évènements. En sécurité par exemple, des voix se sont levées contre la nomination de Tommy Tambwe en tant que coordonnateur du programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation (P-DDRCS). Il y a notamment la réaction du Docteur Denis Mukwege et celle de l’organisation internationale des droits de l’homme Human Rights Watch (HWR). Que devrait faire le Chef de l’Etat face à ces contestations ?  

Annie Pengele : Je pense que le Chef de l’Etat devrait tenir compte de la réaction de la population. En sachant que le M23 a causé de nombreux dégâts dans les provinces du Nord et Sud Kivu, les populations de ces entités ne peuvent pas tolérer le fait que des hommes impliqués dans ces mouvements de rébellion soient désignés pour occuper un poste si important et jouer un rôle majeur dans le rétablissement de la paix dans leurs provinces. Je demanderais au Chef de l’Etat de suivre la voix du peuple et les organisations des droits de l’Homme, de pouvoir recadrer les choses et nommer un animateur qui ne va pas susciter des contestations.  

  En justice, la Cour militaire du Nord-Kivu a confirmé le réquisitoire du ministère public condamnant à perpétuité deux officiers des FARDC qui se sont bagarrés la semaine dernière à l’aéroport de Goma. Comment analysez-vous cette décision de justice ? 

Annie Pengele : je trouve que la justice congolaise a été très dure à l’égard de ces officiers. Il y a bien des militaires plus gradés que ceux-là et qui se sont illustrés dans des bavures. Ils n'ont  pas été soumis à une telle condamnation. Je pense qu’ils peuvent être sanctionnés d’une certaine façon sans les contraindre à la servitude pénale à perpétuité. 

Le tribunal militaire de garnison de Kinshasa /Ngaliema a également condamné le 09 aout l'officier de police Kalenda Ntumba à la peine de mort pour le meurtre du Sous-commissaire Kayala, infraction commise dans le cadre de l'interpellation d'un citoyen pour défaut de port du masque. Que pensez-vous de ces dérives au sein des services de l’ordre ? 

Annie Pengele : il y a eu mort d’homme. Dans ce cas par contre, j’estime que cette peine est valable. La justice a rendu son verdict. 

La question de la désignation des animateurs de la CENI pose encore problème. En dehors des confessions religieuses, les composantes politiques recommandent notamment l’amendement de la nouvelle loi promulguée par le Chef de l’Etat. Le FCC, Ensemble pour la République ont notamment fait savoir qu’ils ne proposeront aucun nom. Que pensez-vous de leur position ? 

Annie Pengele : le Front Commun pour le Congo est libre de ne pas vouloir proposer un nom. Il a été au pouvoir, il sait comment les institutions sont gérées. Tout comme Ensemble pour la République, ils savent exactement ce qu’ils poursuivent et c’est leur droit de soumettre ou non, le nom d’un candidat. 

Que faudrait-il faire pour avoir des élections libres, crédibles et transparentes en 2023 selon vous ?  

Annie Pengele : pour avoir des élections, telles que nous les voulons, libres, crédibles et transparentes, il faudra que la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) soit réellement indépendante. Que le pouvoir en place ne puisse nullement s’ingérer dans l’organisation de cette institution importante pour la RDC ainsi que dans la désignation de ses animateurs.  

Au cours de la semaine, le gouvernement congolais a signé un arrêté fixant les nouveaux prix des billets pour les vols domestiques à moins de 40% des prix habituels. Cette décision a rencontré le mécontentement des certains opérateurs aériens et donné lieu à de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Que pensez-vous de cette décision du gouvernement ? Pensez-vous qu'elle  soit bénéfique pour la population ? 

Annie Pengele : c’est une petite partie de la population qui peut être intéressée par la réduction des prix des billets d’avions. Il s’agit d’une bonne décision. Cependant, le social est beaucoup plus important que les déplacements à bord d’un avion. Nous sommes dans une période de crise économique et la population a besoin de survivre. En quoi est-ce que la réduction des billets d’avion peut être utile pour une famille qui n’a pas de quoi se nourrir pour une seule journée ? C’est cela la vraie question.  

Le ministre Christian Mwando a annoncé mardi à l’issue de la réunion du comité de conjoncture, que le Premier ministre va proposer à la prochaine réunion du conseil des ministres la réduction du train de vie des institutions. Comment accueillez-vous cette nouvelle ? 

Annie Pengele : nous nous demandons si une fois de plus cette annonce n’est pas populiste. Le peuple attend l’amélioration de ses conditions de vie et nous avons plutôt l’impression que les politiciens voient en premier leurs intérêts, c'est déplorable. 

Sachant qu’une proposition allant dans le même sens à l’Assemblée Nationale n’a jamais abouti, faudrait-il croire à l’effectivité de celle-ci ? 

Annie Pengele : nous sommes dans la même logique des choses. Les acteurs politiques de la RDC ne place souvent pas dans leurs priorités, l’intérêt public. Cette proposition pourrait aboutir si ces derniers sont prêts à travailler pour une cause communautaire. Alors que, jusqu’à ce jour, les intérêts des particuliers priment sur le bien-être de la population.  

Toujours en économie, les discussions entre le gouvernement et les importateurs des produits surgelés au sujet de la baisse effective des prix ont été bouclées. C'est ce qu'ont annoncé les parties le 12 août. Le juste prix sera fixé par le gouvernement dans un arrêté en attente. Quelles sont vos attentes à ce sujet ?

Annie Pengele : je pense que la politique économique du pays n’est pas toujours stable parce que chaque opérateur fixe les prix à son gré et n’est en aucun moment interpellé par les autorités. Il n’y a souvent pas un contrôle qui s’effectue dans ce sens. En ce qui concerne les produits surgelés, si l’Etat congolais ne résout pas ce problème, nous reviendrons à la case départ avec des promesses non tenues du gouvernement. 

En santé, une amélioration globale de la situation sur le front de l'épidémie de Covid-19, a été notée à Kinshasa notamment, mais pas à Lubumbashi où le non port du masque est passible depuis lundi de sept jours de prison. S'agissant de l'amande, elle sera de 15.000 Francs congolais. Que devraient faire les autorités lushoises pour éviter les dérives observées autour des gestes barrières ? 

Annie Pengele : je pense plutôt que les autorités de la ville de Lubumbashi devraient investir dans la sensibilisation à travers le respect strict des mesures barrières. Cela ne sert à rien d’emprisonner ceux qui ne se soumettent pas. Ce serait d’ailleurs une occasion de favoriser la propagation de la maladie car les conditions de détention ne seront pas bonnes. Il est utile, pour toutes les autorités des villes congolaises, de faire comprendre à la population qu’il vaut mieux prévenir que guérir la Covid-19.

    La semaine mondiale de l’allaitement maternel a été lancée le 10 août dernier. En cette période de Covid-19, quels sont les défis à relever pour poursuivre un allaitement optimal ?  

  Annie Pengele : l’un des défis majeurs pour les femmes congolaises en cette période est l’accès à l’eau potable. C’est un problème très complexe dans nos villes. Les femmes qui vont au marché, parcourent des longues distances, se battent pour nourrir leurs familles doivent en même temps respecter les mesures barrières, notamment le lavage régulier des mains lorsqu’il s’agit d’allaiter leurs bébés. Il faut éviter une contamination, mais comment parviendront-elles à le faire si l’eau n’est pas accessible ?  

  Un dernier mot ? 

Annie Pengele : que chaque congolais accomplisse avec amour et passion son devoir, selon les limites de ses droits. Que chaque congolais respecte les gestes barrières à la Covid-19. Que les textes de lois congolaises soient respectés et qu’il n’y ait pas une différence dans l’accès à la justice.

Propos recueillis par Prisca Lokale