A propos de l’inconstitutionnalité alléguée au sujet de la désignation de l’informateur Bahati Lukwebo Modeste

ACTUALITE.CD

Dans sa mission pédagogique et sa participation à la construction de la démocratie, ACTUALITE.CD donne la parole aux scientifiques, acteurs de la société civile et autres experts pour commenter et surtout expliquer l’actualité. Vous êtes professeur, vous avez déjà publié un ouvrage sur votre domaine d’expertise, vous pouvez soumettre gratuitement votre tribune pour publication sur ACTUALITE.CD. Envoyez vos textes à [email protected]  

Aujourd'hui, la rédaction vous propose cette tribune de Juvénal M MWASHAL, Doctorant à la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa, Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete.

La désignation, par le Président de la République, de Monsieur Modeste Bahati Lukwebo en qualité d’informateur divise les juristes sur deux questions dont la première porte sur l’acte par lequel l’informateur doit être désigné, et la seconde, sur la régularité de la désignation de l’informateur en cours de législature pendant qu’il y a un Gouvernement en exercice.

Sans revenir sur notre réflexion antérieure relative à l’acte par lequel l’informateur doit être désigné, ce débat étant dépassé à ce jour, nous émettons, par la présente réflexion, notre avis plutôt sur la deuxième question ci-dessus visée.

Les opinions qui se sont exprimées autour de cette question allèguent, comme il en est devenu l’habitude, une violation de la Constitution que le Président de la République aurait commise, en ce qu’il ne pouvait pas, selon les défenseurs de ce point de vue, désigner un informateur en cours de législature (1) et que cet informateur ne pouvait pas être désigné pendant qu’il y a un Gouvernement (ou un Premier Ministre) en exercice (2).

Tout en respectant ces opinions que nous ne partageons cependant pas, nous y opposons un avis contraire.

1.     S’agissant de l’affirmation qui limite la désignation de l’informateur uniquement au début de la législature

Cette affirmation manque d’assise. Elle n’est portée par aucun texte légal ni, encore moins, par la Constitution.

Le deuxième alinéa de l’article 78 de la Constitution, seule disposition de la loi fondamentale consacrée à cette question, énonce que s’il n’existe pas de parti ou regroupement politique ayant la majorité, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition.

Cette disposition ne détermine pas le moment où cette mission est confiée. La seule condition qu’elle pose porte sur l’inexistence de la majorité parlementaire. Dès lors la nécessité de la désignation de l’informateur s’imposera chaque fois qu’il n’existera pas de majorité parlementaire au sein de laquelle le Premier Ministre sera désigné, peu importe que cette inexistence de la majorité soit constatée au début ou en cours de la législature.

En effet, une majorité parlementaire peut basculer en cours de législature. Cela n’est pas une invention congolaise. C’est une réalité qui s’est déjà produite et qui se produit encore dans plusieurs parlements des Etats de notre ère. S’agissant de la République Démocratique du Congo, rien n’interdit à un parti ou un regroupement politique qui a appartenu à la majorité de basculer à l’opposition et vice versa.[1] De même, dans la vie politique, Il n’est pas surprenant que des partis politiques d’une tendance X basculent à une tendance Y, entrainant parfois une bascule de la majorité au sein d’une chambre parlementaire en pleine législature.

A notre sens, c’est justement parce que le constituant avait, lui, présente à l’esprit cette réalité qu’il n’a pas voulu limiter la période au cours de laquelle l’informateur peut être désigné.

Ainsi, l’informateur peut être valablement désigné au début ou en cours de législature ; il suffit qu’il n’existe pas un parti ou un regroupement politique majoritaire. Il est donc évident que l’identification de la coalition des partis et/ou regroupements politiques devant composer la majorité ne peut être faite que par l’informateur comme l’exige l’article 78 alinéa 2 de la Constitution.

Par ailleurs, il sied de rappeler que s’agissant de l’actuelle législature, le besoin de la désignation de l’informateur a existé depuis le début car aucun parti, aucun regroupement politiques n’a obtenu la majorité au sein de l’Assemblée nationale. Cette réalité est très peu perçue, pensons-nous, à cause de ce que nous pouvons qualifier d’erreur commise lors de la mise en place de la coalition FCC-CACH qui a existé sans avoir été préalablement identifiée par un informateur.

Cette erreur laisse véhiculer à tort, dans la quasi-totalité de l’opinion que le FCC a une majorité parlementaire alors que celle-ci ne peut être détenue que par une liste d’un parti ou d’un regroupement politique déposée à la CENI lors des élections, ou en l’absence de cette liste, par une coalition des listes identifiée par un informateur.

Lorsque l’on sait d’une part que le FCC n’est ni parti ni regroupement politiques pouvant disposer d’une liste et, d’autre part, que toute coalition majoritaire ne peut exister qu’à condition d’avoir été identifiée par l’informateur, on comprend tout de suite qu’il n’existe pas de majorité FCC, faute pour les partis et regroupements politiques de cette plateforme électorale de n’avoir été identifiés comme le veut la Constitution. 

2.     S’agissant de l’affirmation qui soutient que l’informateur ne peut pas être désigné pendant qu’il y a un Gouvernement en fonctions

Cette affirmation ne tient pas debout. Elle est exactement le contraire de la réalité et s’analyse, en tant que telle, comme une contrevérité.

L’article 78 de la Constitution s’applique, en principe, non pas dans un contexte d’absence de Gouvernement mais plutôt dans la situation d’un Gouvernement en fonctions mais qui est soit démissionnaire, soit réputé tel, mais un Gouvernement quand même.

La seule possibilité d’applicabilité de l’article 78 alinéa 2 en l’absence du Gouvernement ne peut exister que dans l’hypothèse rarissime où les fonctions des membres du Gouvernement seraient, pour des raisons exceptionnelles, exercées par des administratifs, notamment les Secrétaires Généraux. Dans ce cas le retour à la situation normale du Gouvernement peut justifier l’application de l’article 78 en l’absence du Gouvernement. C’est un cas exceptionnel et très rare. 

De ce qui précède, il ressort que les tenants de cette affirmation devraient se rendre à l’évidence que toutes les fois que l’article 78 de la Constitution s’est appliqué en République Démocratique du Congo, il a toujours existé un Gouvernement en fonction qui a été soit démissionnaire, soit réputé tel.

Il en est le cas pour les trois informateurs connus à ce jour : feus Antoine GIZENGA FUNJI et MWANDO SIMBA, tous deux d’heureuse mémoire ainsi que Monsieur BAHATI LUKWEBO dont la désignation suscite les querelles qui nous préoccupent.

Lors de la désignation du premier informateur ci-dessus cité, le Gouvernement issu de la période dite de 1+4 était en place quoique démissionnaire. De même, à la désignation du deuxième informateur, le Gouvernement MUZITO, bien que démissionnaire et dont l’intérim du Premier Ministre était exercé par feu KOYAGIALO, était en fonctions.

Dans le cas sous étude, la situation est identique. La désignation de Monsieur BAHATI LUKWEBO en qualité d’informateur est intervenue dans les mêmes conditions que supra, car le Gouvernement ILUNGA ILUNKAMBA est, en ce moment précis, réputé démissionnaire.

En effet, le Premier Ministre ILUNGA ILUNKAMBA et son Gouvernement sont issus de la coalition FCC-CACH que nous avons déjà invoquée ci-dessus. Etant donné que dans le système congolais le Gouvernement émane du Parlement (articles 78 et 146 de la Constitution), la dissolution de la coalition FCC-CACH entraine pour conséquence juridique que le Premier Ministre et son Gouvernement qui en sont l’émanation, sont réputés démissionnaires car la coalition dont ils résultent n’existe plus. La disparition de celle-ci emporte avec elle le Gouvernement qui en résulte.

Nier cette évidence reviendrait à admettre, à tort, que la dissolution d’une coalition qui constitue la majorité parlementaire dont est issu un gouvernement, puisse prendre fin sans entrainer avec elle le Gouvernement qui en est l’émanation.

C’est donc de manière régulière et constitutionnelle que Son Excellence Monsieur le Président de la République a fait procéder à l’identification de la nouvelle majorité au sein de laquelle le Premier Ministre devra être nommé. Il ne l’aurait pas fait, il manquerait au devoir constitutionnel que lui assigne l’alinéa 2 de l’article 78 précité.   

Le bon sens devra donc retenir que procédant à la désignation de Monsieur Modeste BAHATI LUKWEBO en qualité d’informateur, le Chef de l’Etat a agi à bon droit et même à très bon droit qui a guidé, en temps utile, une haute et intelligente politique.

Juvénal M MWASHAL

Doctorant à la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa

Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete.

 


[1] La seule exigence posée aux partis et regroupements politiques, par l’alinéa 3 de l’article 26 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale, qui du reste est impossible d’application, consiste à déposer au Bureau provisoire de l’Assemblée nationale une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition. Cette exigence est impossible à accomplir non seulement parce :qu’elle ne rentre pas dans les missions du Bureau provisoire telles qu’énumérées à l’article 12 du Règlement Intérieur mais aussi et surtout parce que pendant l’existence du Bureau provisoire auquel il faut faire ce dépôt, la majorité ou l’opposition à laquelle les partis et les regroupements politiques sont appelés d’appartenir ne sont pas encore connues, faute de n’avoir été identifiées. La majorité et l’opposition ne seront connues qu’après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle et l’identification de la majorité par l’informateur. Il est donc prématuré d’imaginer l’appartenance à la majorité ou à l’opposition avant les résultats définitifs qui peuvent changer la configuration de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, même s’il était possible de connaître la majorité et l’opposition pendant l’existence du Bureau provisoire – quod non in specie – l’obligation faite aux partis et regroupement politique d’appartenir à l’opposition ou à la majorité n’emporterait pas interdiction de s’en retirer.