RDC : Semlex et la saga du Passeportgate

Passeport congolais en vigueur/Ph ACTUALITE.CD

Tribune.

La République Démocratique du Congo a récemment annoncé la finalisation d’un nouveau contrat à la suite de l’indignation populaire suscitée par la gestion du passeport biométrique. Au niveau des organisations qui dénoncent les conditions dans lequel le marché a été attribué, l’euphorie n’a toutefois été que de courte durée. Après la suspension du contrat précédent, le nouveau marché de gré à gré suscite encore plus de craintes et interrogations au regard des acteurs impliqués .

En 2015, les autorités Congolaises avaient attribué le contrat de fourniture de systèmes d’identification et de documents d’identité à une société du nom de Semlex. Quelques années plus tard, l'agence de presse Reuters mettait à nu, un montage financier grâce auquel une partie des recettes générée par le passeport était transférée vers une entreprise à l’étranger.  Cette agence de presse révélait également que le gouvernement congolais ne percevait que 35 pour cent  des recettes liées à la délivrance du  passeport. A travers une enquête détaillée, Reuters précisait par ailleurs que l'essentiel des 185 dollars payés par le requérant du passeport allait en direction de deux sociétés. On retrouve d’une part la firme Semlex et d’autre part, la société LRPS .  Bien qu’elle soit domiciliée aux Emirats arabes unis, les congolais apprenaient que la société LRPS est détenue par Makie Makolo Wangoi, une proche de l’ex-président Joseph Kabila. De plus, certaines sources révèlent que depuis l’entrée en vigueur du contrat avec Semlex, cette société écran aurait déjà encaissé plus de 36 millions de dollars.

 Face aux accusations qui pèse sur son prédécesseur, Félix Tshisekedi annonça que le contrat qui lie l’Etat Congolais à la firme Semlex n’allait pas être renouvelé. Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’exécutif Congolais s’est certes empressé d’annoncer son intention de lutter contre les pratiques de détournement de deniers publics.  En RDC, nombreux sont ceux qui doutent cependant des intentions réelles du chef de l’Etat. En effet, même si ce dernier annonce vouloir créer une juridiction spécialisée dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux ainsi que le détournement des deniers publics, c’est à travers un arrangement que le contrat de délivrance des passeports a été attribué à Locosem . Cette societé   n’est cependant pas si nouvelle que cela puisqu’il s’agit d’une filiale de Semlex.  Aujourd’hui, Semlex qui opère dans près de 14 pays Africains est sous le feu des critiques pour ses pratiques corruptives. Pour l’ONG Public Eye, Semlex et son partenaire Gunvor sont parvenus à fructifier leurs affaires dans une opacité totale. Un des rapports de cette organisation sur les activités de Gunvor s’intitule par exemple : Gunvor au Congo. Pétrole, cash et détournements : les aventures d’un négociant Suisse à Brazzaville.

Copropriété du milliardaire suédois Torbjörn Törnqvist et d’un oligarque russe lié au Kremlin en la personne de Gennady  Timchenko, cette société a arrosé de nombreux chefs d’État africains avec de l’argent frais. C’est grâce à de telles pratiques que Semlex et son partenaire Gunvor  parviennent à décrocher  des contrats dans les secteurs tels que le pétrole ou  les équipements militaires. En 2010 par exemple, plus de 20 % des bénéfices de Gunvor provenaient de son activité au Congo- Brazzaville. Dans le cadre de ces activités ,le magazine Médor  affirme cependant  que d’importants fonds obscurs ont été rabattu vers le president Denis Sassou-Nguesso en 2010.

Lors de la crise post-électorale ivoirienne de 2010, Semlex  et Gunvor auraient également  essayé de fournir des armes aux autorités ivoiriennes de l’époque.  Le magazine Jeune Afrique qui a pris part à une enquête coordonnée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) déclare que Gunvor fut l’un des principaux soutiens financiers de Laurent Gbagbo.   Par la suite, Semlex  est aussi parvenu à tirer son épingle du jeu en décrochant  contrat sur une période de 12 ans. Ce contrat octroyé par les autorités ivoiriennes encadre la délivrance des cartes nationales d’identité ivoiriennes. Ces dernières années, qu’il s’agisse de la reconnaissance faciale ou digitale, les techniques fondées sur la biométrie bénéficient d’un engouement général en Afrique comme en témoigne les activités de Semlex en Cote -d’ivoire .

En dehors des Etats qui ont recourt à la biométrie, Air France envisagent de lancer un projet d’embarquement biométrique qui utilisera la biométrie afin d’améliorer le traitement des embarquements et des dépôts de bagages de ces voyageurs. Il convient toutefois de souligner le fait qu’à travers la biométrie, il est aujourd’hui possible d’inférer une vingtaine de conditions médicales. Dans un tel contexte, certains acteurs sont prêts à en découdre au regard des retombées économiques qu’une telle activité pourrait leur procurer.   Certaines multinationales, notamment pétrolières, se battent également dans l’ombre afin d’investir dans la construction d’hôpitaux au nom du concept de la responsabilité sociale. Dans le même temps, les populations congolaises qui donnent leurs empreintes biométriques depuis l’entrée en vigueur du contrat avec Semlex assiste de façon impuissante à de nombreux crimes économiques. A cause de telles pratiques , la RDC continuerait de perdre au moins 15 milliards de dollars chaque année.

Par Dr Qemal Affagnon*

 *Dr Qemal Affagnon, est le responsable Afrique de  l’Ouest  de l’ONG de défense des droits numériques, Internet Sans Frontières. Dans le cadre de ses travaux de recherche, il a publié plusieurs articles académiques sur la multifonctionnalité de l’Internet et des réseaux sociaux dans la pratique de la religion.  Il est également spécialiste en stratégie de lutte contre les coupures internet, la cybercriminalité et l’éducation aux médias  sociaux. En sa  qualité d’expert électoral, il a observé des scrutins électoraux en RDC, en Afrique du Sud et au  Mozambique.