Armée de patience, pétrie de talent et d’ambition, la jeune femme originaire de Goma a remporté la troisième édition du prix Dior de la photographie grâce à à “Double Identité”, une série photographique qui remet en cause la perception de la femme du Kivu par les médias internationaux. Artiste visuel confirmée, elle s’est livrée sans fard au desk femme de Actualité.cd. Entretien
Pamela Tulizo bonjour et merci de répondre de nous accorder de votre temps. Vous êtes la première congolaise à avoir remporté le prix Dior de la photographie. Qu’est ce que cela représente pour vous ?
Pamela Tulizo : c’est en meme temps une grande joie et un honneur de pouvoir représenter l’Afrique en général et le Congo en particulier, mais aussi Goma qui est la ville d’où l’histoire a été créée. J’ai postulé en tant que jeune talent. Au début, je ne visais pas le prix, je savais que la compétition allait être très serrée parce qu’elle est internationale. Quand j’ai été nominée parmi les dix photographes et que j’étais la seule africaine, je me suis dit que c’était déjà une victoire. L’objectif de ma participation était aussi de faire connaître cette série sur la scène internationale, notamment à travers la presse, à toutes ces personnes qui ne sont pas uniquement à Goma ou au Congo. J’utilise cette victoire comme un porte voix pour faire entendre mon opinion.
Avez-vous rencontré des difficultés au cours de cette compétition ? Si oui, lesquelles ?
Pamela Tulizo : bien Sûr! Le fait d'être une femme photographe, d'être de Goma au Nord-Kivu, c’est un challenge, un défis à relever au quotidien. Je n’ai pas uniquement rencontré des difficultés dans la compétition mais aussi dans ma carrière. Il était question d’aller au delà de la photographie, puiser dans l’histoire, dans la documentation. J’avais déjà un thème (Face To Face) qui collait à ma série mais, il fallait convaincre le jury. Associer ces photos à la conception, la technique, la démarche. Ce n’était pas facile du fait qu’il y avait beaucoup de concurrents.
La “Double identité” de la femme africaine, telle est l’œuvre présentée à cet évènement. Quel message faites-vous passer à travers cette représentation ?
Pamela Tulizo : je voulais montrer la double vie parallèle de la femme au Kivu. Je suis une femme du Kivu, j’ai grandi à Goma. Je suis née en 1994, c’était un moment où régnait l’instabilité politique ; le génocide au Rwanda qui a précipité des réfugiés dans cette partie du pays, la guerre, le volcan, les M23, les femmes violées… Mais à côté de tout cela, je sais qu’il y a la vie. Il y a des femmes qui ont des rêves, des femmes battantes, celles qui ont des histoires à raconter et qui sont pourtant ignorées par la presse, ignorées par le monde extérieur parce que l’image de la femme du Congo, l’image de Goma est déjà caricaturée par la presse internationale. Souvent, la femme vulnérable, la femme violée ou réfugiée est celle qui attire l’attention de la presse internationale plutôt que celle qui a de l’espoir, des rêves. C’est une image négative que les médias ont mis en valeur. Si j’ai choisi la femme, c’est aussi parce que le viol est l’une des armes de guerres utilisée au Kivu. La femme aimerait être présentée d’une manière positive. Je représente cette double vie pour dire qu’il ne faut pas ignorer une catégorie des femmes et en représenter une autre. Je voulais dénoncer ces faits et interpeller tout le monde, les ONGs, les médias, les journalistes, les amener à voir au-delà de la misère, de la pauvreté, des violences, au-delà de tous les malheurs”
Quelle image avez-vous de la femme congolaise en particulier ?
Pamela Tulizo : pour moi, la femme congolaise est une femme très forte, c’est une femme battante, une femme modèle pour la jeune fille. Je tire mon inspiration toujours de la femme à Goma, surtout à travers ma mère. C’est une femme qui travaille beaucoup, qui donne beaucoup. Elles n’ont pas une situation nécessairement favorable à leur égard mais qui ne lâchent pas, qui se battent jour et nuit pour leurs droits. Je suis consciente qu’il y a encore du chemin à faire mais en général pour moi, la femme africaine est la plus belle, elle est parmi mes idoles, mes modèles de femmes.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant qu’artiste visuelle ?
Pamela Tulizo : j’ai fait mes débuts en journalisme. Après mes études secondaires, j’ai fait une formation avec la RFI sur le journalisme international et expression radiophonique. J’ai combiné mes études universitaires avec mon travail dans une chaîne de télévision à Goma. Après deux ans, je voulais être libre et autonome en termes de contenus, d’histoires que je voulais raconter. J’ai commencé la photographie avec quelques photographes de Goma. Martin Lukongo, l’un d’eux a accepté de me donner quelques notions basiques. J’ai ensuite fait quelques formations à Goma, à Lubumbashi, au Sénégal puis j’ai reçu une bourse pour étudier la photographie en Afrique du Sud à Johannesburg (Documentary and Photojournalism), j’ai reçu mon diplôme et je suis retournée à Goma. Ma démarche artistique, je l’ai orientée vers l’identité de la femme.
Quelles sont vos sources d’inspirations, vos modèles dans ce domaine ?
Pamela Tulizo : au début, j’étais attirée par Martin Lukongo qui accomplit un travail excellent à Goma. J’admire aussi le travail de Zanele Muholi, une photographe Sud-Africaine. C’est vrai qu’en terme de techniques ou en terme d'appréciations, il y a plusieurs photographes que j’aime. Mais en fait, l'identité de la femme, c’est vraiment ça mon inspiration.
Quelle est votre opinion sur le secteur de l’art en RDC ?
Pamela Tulizo : il y a beaucoup de potentiels, beaucoup de talents à Kinshasa, à Goma et même dans d’autres provinces du pays. Mais il n’y a pas d’industrie, il n’y a pas de structures, pas de galeries, pas d’opportunités et de fonds qui permettent aux artistes d’avoir un espace de discussions ou de reconnaissance en terme de leur travail. Et aussi, il y a plusieurs défis qui ne favorisent pas l’éclosion du monde artistique. C’est notamment, l’instabilité politique et économique. Je pense qu’il serait temps de créer ces espaces et que l’Etat congolais commence à penser comment intégrer le monde artistique, culturel dans le budget national en vue de permettre aux artistes d’avoir la liberté d'expression, leurs plateformes ainsi que de pouvoir vivre de leur travail”
Quels sont vos projets d’avenir ?
Pamela Tulizo : pour le moment, je suis bloquée en Belgique mais je compte retourner à Goma où je vais poursuivre la série “Enfer paradisiaque.” Je projette également de travailler sur l’éducation artistique de la jeune fille à Goma et inviter des artistes de différents horizons.
Votre devise ?
Pamela Tulizo : mon travail n’a pas de sexe! “ Pour dire que le travail de la photographie n’est pas qu’une affaire d’hommes, c’est aussi le cas pour les autres disciplines. Les compétences n’ont pas de sexe non plus. Lorsqu’on doit présenter une femme dans son domaine, on ne devrait pas dire femme photographe, femme journaliste, présenter chaque individu selon son travail ; Photographe, Journaliste.
Un message pour la jeune femme congolaise ?
Pamela Tulizo : à la jeune femme, peu importe votre statut, le plus important, c’est de découvrir qui vous êtes vraiment. Ne pas copier l’image de l’autre, fouiller au fond de vous pour découvrir votre identité, soyez fière de vous, battez-vous pour vos rêves, vos objectifs.
Le jury de cet évènement a été présidé par la photographe Viviane Sassen et composé de l’artiste américaine Rachel Rose, de la présidente et fondatrice du centre culturel Luma Arles Maja Hoffmann, de la Directrice du Palais de Tokyo Emma Lavigne, du supertop Helena Christensen, du directeur de la Maison Européenne de la Photographie Simon Baker, et du Directeur de la Communication Internationale Christian Dior Parfums Jérôme Pulis.
Propos recueillis par Prisca Lokale