Certains observateurs estiment que l’accompagnement d’une mère est indispensable pour les jeunes filles qui commencent à avoir leurs menstrues. A Kinshasa, il est plutôt rare de rencontrer une mère qui parle clairement des règles avec sa fille. Certaines d’entre elles se sont confiées à la rédaction femme d’Actualité.cd
Rien qu’à l’évocation du sujet, Rose Mputu ne cache pas sa gêne. Elle a deux filles et elle envisage aborder le sujet avec son aînée quand elle aura ses premières menstrues. “ J’ai deux filles à la maison, la première a 10 ans. Je ne lui parle pas des règles en termes clairs. Parfois, je lui dis juste d’éviter de sauter à tout moment. Le moment venu, peut être que j’aborderais le sujet avec elle,” explique Rose.
Si Rose considère que c’est une honte, Chantal Mboyo, couturière, estime que les règles font parties des sujets tabous. Difficile pour une mère qui n’a pas fait d’études d’en parler à ses filles. “Pendant notre jeunesse, nos mères n’abordaient jamais ces sujets avec nous. La plupart d’entre elles n’avaient pas étudié. En plus, le respect de la notion du tabou existait dans les familles. C’est normal que cela devienne difficile pour certaines femmes de parler des règles à leurs filles.” Néanmoins, ajoute-t-elle, “j’ai fait l’effort d’en parler à mes filles. Aujourd’hui, elles sont fières de dire à leurs époux que je leur ai tout appris.”
Pour d’autres femmes, parler des règles rime avec risque de grossesse précoce. C’est le cas de Louise Bomboka mère de six filles et cinq garçons, qui privilégie plutôt le calcul du cycle menstruel. “ C’est important de parler des règles à sa fille. Elle doit déjà savoir calculer son cycle pour ne pas tomber enceinte. Personnellement, je ne parle pas assez des règles à mes filles. Cependant, je n'hésite pas à leur dire de se préserver si les périodes ne sont pas bien calculées. Elles ne doivent pas compromettre leur avenir,” explique Mme Bomboka.
Mère protectrice, mère ouverte ou mère gênée ?
Marie Kiangebeni vend des sacs au marché central de Kinshasa (Zando). Sa mère lui avait défendu d'être en contact avec les garçons. “J’avais 13 ans lorsque j’ai eu mes premières règles. C’était à l’école. Dès mon retour à la maison, j’ai annoncé à ma mère que je me suis blessée. Elle m’a averti de ne plus m’approcher des garçons. Selon elle, il suffisait de frôler un garçon pour tomber enceinte," explique Marie en poursuivant "parfois, c’est elle qui m’annonçait à quelle date je devais voir mes prochaines règles.”
La mère de Merveille Bonzeke est très ouverte. “Ma mère a trois filles et je suis la deuxième. Elle nous parlait des règles avant même de les avoir. Le jour où j’ai eu mes règles pour la première fois, je lui en ai parlé sans hésiter. Elle m’a montré comment je devais porter des serviettes hygiéniques. Ma mère ne se gêne pas. On aborde tous les sujets avec elle. ”
Ruth Mukanga quant à elle explique que c’est surtout à cause de ses règles douloureuses que sa mère a abordé le sujet.“Vu que j’ai souvent des règles douloureuses, ma mère se sent obligée de m’assister. Elle me donne des médicaments pour calmer les douleurs. Sans cela, je ne crois pas qu’elle aurait abordé ce sujet avec moi. Ma mère est gênée lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets tabous bien qu’elle ait cinq filles à la maison. Notre cadette a 16 ans. C’est nous qui essayons de l’encadrer,” confie cette étudiante sage femme de l’institut des Sciences et Techniques médicales (ISTM). Elle promet par ailleurs d'être très ouverte lorsqu’elle sera mère “je suis membre du corps médical. Si un jour j’ai des filles, je ferais l’effort d'être leur meilleure amie. Elles doivent bénéficier de ma connaissance, même si je n’ai pas eu cette chance auprès de ma mère”.
Face à une mère gênée, Grace Mbuyi, étudiante en droit de l’Université Protestante au Congo, invite les filles à faire le premier pas pour inciter leurs mères à être ouvertes. “Si certaines mères ne se sentent pas en mesure d’aborder le sujet des règles avec leurs filles, c’est parce que les temps ont changé. Les filles découvrent presque tout à l’école, dans la rue et à la télé. Elles préfèrent en parler à leurs amies plutôt que de se confier à leurs mères,” déplore Grâce.
Ces diferents avis reflètent la réalité autour du tabou et de la honte qui persiste dans les discussions entre mère et fille.
Prisca Lokale