Quartier tristement rendu célèbre de part son commerce du sexe, Pakadjuma à Limete est loin d’être un lieu de tout repos pour ses habitants. Maisons vétustes, manque de sanitaires, ici, tout est à (re) faire.
Quand on arrive à Pakadjuma, les herbes sauvages et autres immondices sont les premières choses que l’on remarque. A vingt mètres environs, quelques centaines de maisons se succèdent, chacunes d’elles espacées par des couloirs d'à peu près un mètre. Les tenues arborées par les femmes sont marquantes: soit un pagne dont elles recouvrent leurs poitrines ou deux écharpes, une qui couvre la hanche et les cuisses tandis que l'autre couvrira la poitrine.
Après de longues minutes de négociation, Gertrude accepte enfin de s’exprimer."Je vis ici depuis deux ans avec une amie. Toute ma famille est restée à Mbandaka(Equateur). Je me débrouille pour survivre: payer mon loyer et subvenir à mes besoins quotidiens. Il m'arrive de tomber malade, dans ce cas, je dois me battre pour me faire soigner. Je sais que ce n'est pas bien mais, je dois le faire pour vivre. La vie à Kinshasa est vraiment dure, je me bats," confie Gertrude, la vingtaine révolue.
“Les autorités doivent trouver des solutions pour nos conditions de vie”
Marie sa voisine a deux enfants dont une fille de 12 ans. "Sans nos marchés, nous ne pouvons pas vivre. Il faut faire des petites économies avec le peu d'argent que l'on gagne pour survivre. Comment je vais élever mes enfants sans argent ?" s'interroge-t-elle.
A la simple évocation d’une hypothèse de lutte contre la prostitution, une femme renvoie aux causes du phénomène. "Pour résoudre le problème du commerce du sexe ici, les autorités doivent d'abord penser à trouver des solutions sur nos conditions de vie. Les ONG qui viennent nous voir, nous font des promesses, parfois ils nous prodiguent des conseils mais que font-ils réellement pour nous ? Nos conditions de vie sont médiocres" s'indigne cette femme qui fait la lessive avec sa fille d'une année sur les genoux.
Huguette est incisive, sans sourciller, elle évoque le problème des sanitaires "Il n'y a pas de toilettes ici. Nous sommes obligés d'utiliser des petits seaux pour nous et nos enfants. Après, nous allons tout déverser là où nous jetons les immondices. Mais si un agent de police attrape l'un de nous, il lui impose de payer une amende de 50.000 francs congolais" explique Huguette.
Rédie, son amant et ses cinq enfants sont du nombre des refoulés de Brazzaville en 2016. Elle a choisi d'habiter Pakadjuma à cause du loyer qui lui revient moins cher. "Je me suis installée ici avec ma famille parce que je n'avais nulle part où aller. Nous payons le loyer à 30.000 francs. Je vis essentiellement du commerce des cacahuètes, parfois aussi de mes plantations de légumes. C’est avec ça que je nourris ma famille."
Isa est une jeune fille de treize ans. Petit sac autour de la hanche, singlet fleuri, jupe jaune mi-cuisses avec une fente à l’avant. Isa se plaint d'être parfois assimilée à celles qui font le commerce de sexe."J'ai arrêté d'aller aux cours dans une école à Kingabwa parce que maman ne pouvait plus financer mes études. Ma mère vend des chikwangues. Mon père se débrouillait dans les petites affaires avant de tomber malade. Actuellement, J'essaie un peu de me battre pour survivre mais les gens qui viennent ici nous prennent toutes pour des prostituées. Et je ne soutiens pas du tout cela" confie-t-elle. Sur son avant-bras gauche, on peut lire "MITTERRAND" et sur sa main, "APOCA" des inscriptions tatouées. Isa rêve de quitter Pakadjuma "Si aujourd'hui, j'ai la chance de retourner aux études, je vais le faire. Je souhaite que ma famille quitte cet endroit pour habiter ailleurs. Les deux tatouages sont les noms de mes frères qui sont restés au village" dit-elle hésitante.
Quelques hommes donnent leurs points de vue
" A Pakadjuma, ce sont les femmes qui gèrent le foyer avec l’argent qu’elles gagnent. Pour au moins 2.000 francs congolais, elles se font avoir très facilement. Je pense que la cause même de la prostitution, c'est la souffrance " dit Wayi, un porteur de marchandises qui habite le quartier.
" Nous sommes insultés à cause de ces femmes. C'est bien de penser à les réorienter, mais après, vont-elles continuer à vivre dans ces conditions ? Elles ne travaillent pas. Ces femmes ont fait du sexe leur première source de revenu financier" dit un autre monsieur.
Pakadjuma compte trois bars, deux églises, un dispensaire et un centre de santé couplé d'une maternité adaptés aux conditions du quartiers. Jeannette Shako est infirmière au centre médical et pharmacie Gradi. Selon les consultations, la plupart des cas sont des infections sexuellement transmissibles (IST). "Nous recevons chaque jour des femmes et leurs enfants pour des soins. Pour les enfants, nous en recevons jusqu'à dix(10) cas par jour. pour les femmes, au minimum nous pouvons atteindre vingt (20) cas par jour. Elles souffrent très souvent des (IST). Le paludisme et de la fièvre typhoïde sont pour les enfants " dit l'infirmière.
Et d'ajouter "Ici quand on fixe les soins à un prix élevé, les patients ne viennent pas. Nous avons fixé les montants des fiches de consultations et des examens à 3.000 francs et d'autres à 1000 francs congolais. Mais peu sont ceux qui viennent se faire soigner. Les femmes elles-mêmes n'accordent pas beaucoup d'importance à leur santé sexuelle. Celles qui viennent pour les consultations suivent difficilement les consignes du médecin" déplore Jeannette.
Médecins sans frontière (MSF) a également installé ses tentes dans le quartier, sur un espace d'environ dix mètres carrés. A l'intérieur, les patients du choléra suivent des soins. L'accès au site est interdit aux personnes étrangères.
Prisca Lokale