Souvent taxées de femmes légères, faciles, “la femme de tout le monde”, les femmes comédiennes mène un combat au quotidien pour se faire accepter au sein de la société. Certaines s’imposent et font un parcours sans faute. C’est le cas de Dada Kahindo Siku qui a commencé il y a plus d’une dizaine d’années. Comédienne et opératrice culturelle invétérée, la jeune femme milite pour l’instauration de nouvelles politiques culturelles en RDC et le renforcement de capacité dans le secteur de la culture.
Bonjour Dada et merci de répondre aux questions de cet entretien. Pour ceux qui ne vous connaissent pas. Qui est Dada Kahindo ?
Dada Kahindo est une comédienne et opératrice culturelle.
Vous évoluez dans le domaine artistique en RDC depuis de nombreuses années. Parlez nous de votre parcours artistique.
Mon parcours dans le domaine artistique a commencé à l’église quand j’étais adolescente. Je ne connaissais pas encore le secteur artistique. Je ne connaissais pas encore les rouages du métier, mais j’avais déjà envie de jouer moi-même et mettre les gens sur scène et, pour la plupart, c’était des aînés et d’autres amis de ma génération à l’église. C’était la plupart du temps des pièces de théâtre à caractère évangélique. L’un des aînés parmi les acteurs à l’église m’avait proposé de faire l’Institut National des Arts (INA). A l’époque, j’avais encore 15 ans, et quelques années plus tard, mon bac en poche je suis allée m’inscrire à l’INA. Six mois après mon inscription, j’avais attiré l’attention d’un professeur de théâtre qui avait sa compagnie, le Craza, qui m’a demandé de rejoindre la troupe. J’y ai fait cinq ans, ensuite j’ai décidé de créer ma propre structure avec mes propres idées. “Enda Mbele” a été créé pour sensibiliser. J’évoluais également comme comédienne indépendante. J’ai eu à faire des rencontres qui m’ont poussé à développer ma carrière d’opératrice culturelle.
Parlez nous de votre métier de comédienne. Est-ce facile d’en vivre en RDC ? Quels sont les défis auxquels vous êtes régulièrement confronté ?
En général, déjà de part nos familles, c’est difficile qu’un parent accepte que son enfant se lance dans le domaine artistique. Automatiquement, on fait face à des réactions négatives. En tant que femme quand on se décide de se lancer c’est d’autant plus difficile parce qu’on vous juge, on vous traite de “femme exposée” qui est synonyme de “femme légère” ou encore “la femme de tout le monde”. Cela réduit les chances de fonder un foyer, de trouver un homme sérieux. Mais la société actuelle essaye de faire face à cette situation, les femmes comédiennes s’imposent. Nous sommes actuellement dans une époque où certaines femmes comédiennes font face à ces critiques mais cela ne les empêche pas de percer dans leur carrière. Aujourd’hui, nous avons pas mal de femmes comédiennes qui sont mariées, mères de famille, qui continuent leur carrière mais cela reste toujours difficile. C’est un métier qui apporte peu, on se retrouve à être artiste, parents, mais à ne pas gagner assez au niveau financier. Parfois, les partenaires de vie vous poussent à changer de métier pour la simple et bonne raison que le métier que vous exercez rapporte peu. Ceux qui restent dans ce métier sont ceux qui persévèrent et y restent par passion, par amour. Nous sommes butés à des difficultés communes au final, que l’on soit un homme ou une femme.
Vous avez lancé la plateforme d’art contemporain en RDC. Parlez nous de cette structure.
La plateforme contemporaine est l’un des principaux opérateurs de Kinshasa. L’association ne produit pas d’oeuvres artistiques mais elle soutient la création par l’aide à la production, des activités de renforcement et la diversification de la création artistique. Elle réalise aussi des projets de création et de collaboration entre artistes et organisations culturelles. Elle vient aussi en appui financier et technique aux artistes et organisations culturelles. Je suis parmi les cofondatrices de cette plateforme et actuellement directrice exécutive de cette structure.
L’art en général est perçu d’une certaine manière en RDC. Très peu y accorde vraiment une attention. Souvent on confond divertissement et art dans certains pays et la RDC n’est pas exclue. Pourquoi selon vous ?
Tout est parti de l’influence coloniale. Lorsque la religion nous a été imposée par la colonisation, au départ l’art était sacré, il n’avait pas la connotation qu’il a aujourd’hui. Avant l’arrivée des occidentaux, l’art était quelque chose de sacré, tout le monde n’y avait pas accès. C’était également pour célébrer des évènements importants dans la vie, les colons l’ont traité comme des objets voués au fétichisme, des objets à brûler, du coup nous avons été déconnecté de nos valeurs culturelles. Du coup on a embrassé la religion au détriment de l’art. Il y a également le rôle de nos politiques en matière de politique culturelle. Tout est fait pour les intérêts des individus, pour chanter les louanges d’un chef, je fais ici référence par exemple 1970. De nombreuses autorités congolaises en ont fait un objet de propagande, du coup l’art est devenu un objet pour la gloire personnelle des individus. Pour changer les choses faut redéfinir une nouvelle politique culturelle.
Si vous aviez un conseil à donner aux jeunes lectrices qui veulent se lancer dans une carrière comme la vôtre, quel serait-il ?
Je les encourage, chacun de nous à son parcours. Ce n’est pas évident, il faut faire face à la famille, aux réalités de la profession. Une personne qui me lit, je l’encourage parce qu’elle ou il connaît déjà les obstacles et saura pertinemment comment les contourner. Je lance également un appel aux opérateurs culturels, aux artistes pour savoir avec qui on peut s’associer pour débattre à propos de notre métier.
Propos recueillis par Nabintu Kudjirakwinja