Jean-Jacques Lumumba, économiste et activiste luttant pour la bonne gouvernance, revient sur la crise économique que traverse la République démocratique du Congo. Dans une interview accordée ce mercredi 19 juillet 2017 à ACTUALITE.CD, ce banquier congolais évoluant en Europe explique les différents facteurs qui, de son point de vue, contribuent notamment à la dépréciation de la monnaie locale. Ceci étant source de la flambée de prix des produits actuellement dans les marchés congolais.
<b>En tant que banquier et économiste, comment expliquez-vous la détérioration de la situation économique que connaît actuellement la RDC ?</b>
La détérioration de la situation actuelle est décryptée théoriquement par trois différentes causes. Il y a la récession économique, le déficit commercial ou le problème économique en termes d’importation et le recours à la planche à billets. Ce sont là les trois causes majeures qui créent les problèmes d’inflation économique mais aussi la situation politique instable que vit actuellement le Congo. Ceci aussi est une cause majeure de la crise monétaire en République démocratique du Congo.
<b>Qu’est-ce qui pourrait être épinglé comme facteur majeur de l’inflation du taux de change, par exemple ?</b>
L’inflation du taux de change est expliquée de façon très claire par l’instabilité de la situation politique actuelle. Parce qu’aucun investisseur en ce moment ne peut accepter de venir mettre son argent au Congo, ramener ses devises au Congo pour pouvoir exploiter ou développer ses affaires au Congo. C’est la raison pour laquelle il y a la rareté des devises sur le marché congolais et c’est ce qui explique cette inflation monétaire. Parce que le marché monétaire, étant un marché économique, ça fonctionne sur la loi de l’offre et de la demande. Donc ça veut dire qu’il y a très peu de devises sur le marché pour beaucoup de Franc congolais. Donc plus la crise politique persistera, de moins en moins les investisseurs détenteurs des capitaux et des devises voudront investir dans le pays. Ce qui fera que la situation évolue de mal en pis, comme cela a été le cas dans les années 90, 97 sous le règne du Maréchal Mobutu.
<b>Le gouverneur de la Banque Centrale explique cela plutôt par la chute du cours des matières premières, qu’en pensez-vous ?</b>
Je pense que ce que le gouverneur de la Banque Centrale a dit n’est pas totalement faux. C’est une partie de vérité. Mais je pense qu’il a oublié que le Congo vit avec les investisseurs d’autres pays que je peux citer, qui sont des Libanais. Ce sont des grands détenteurs des devises sur le marché congolais. Et ce sont les grands commerçants qui tiennent en réalité la grande partie de l’économie congolaise, hormis le secteur minier. Donc le fait que ces commerçants qui sont détenteurs des grands capitaux ne vont pas prendre le risque avec leur argent, ce qui est normal pour tout investisseur détenteur des devises, cela est aussi une raison qui fait en sorte que l’inflation monétaire continue. Nous reviendrons toujours à la vraie raison que je viens de dire : la situation politique actuelle. Ça aussi ne permet pas aux investisseurs de pouvoir recourir à l’investissement de leurs capitaux sur le marché congolais d’autant plus qu’ils ne se sentent pas rassurés par rapport à la situation politique qui n’augure pas quelque chose de bon dans les mois qui arrivent.
<b>Du point de vue économique, les dernières déclarations du Premier ministre, ayant promis de stabiliser le taux de change, sont-elles réalistes ?</b>
Je pense que le Premier ministre a usé d’un discours politique au lieu d’user d’un discours purement financier et économique. La situation et le paramètre économiques, quand on analyse et tous les indicateurs économiques des Institutions qui notent l’économie congolais, je vais vous dire la vérité que l’économie congolaise est très mal notée. Parce que toutes les instances qui peuvent nous apporter leur aide disent en tout état de cause et en ayant raison que nous sommes en risque très élevé de cessation de paiement. Donc ce qui veut dire que l’économie est récessionniste. Alors que quand l’économie est récessionniste, cela impacte sur l’inflation monétaire, ça impacte sur la dévaluation de la monnaie locale. Bien évidemment nous ne produisons pas, nous importons tout. Ce qui crée un déficit commercial énorme. Ça crée aussi un déséquilibre dans la balance de paiement. En tout état de cause, je dirai que le discours du Premier ministre est un discours purement politique et non un discours réaliste. Nous avons besoin en ce moment des discours réalistes. Pour dire la vérité à ce peuple que la situation politique actuelle telle qu’elle se présente ne permettra que le taux se réduise et que nous arrivions à 1000 FC comme j’ai entendu dire le Premier ministre. Donc c’est des discours purement politiques, ça ne reflète pas la réalité économique que nous vivons au Congo et que nous allons vivre dans les jours à venir.
<b>Qu'est-ce qu'il faut faire pour arrêter cette hémorragie économique, d'après vous?</b>
Je pense que cette descente aux enfers de l’économie s’explique par des raisons purement politiques. Nous avons face à nous un président de la République qui ne veut pas lâcher le pouvoir, qui ne veut pas partir. Et il ne rassure pas les partenaires tant locaux que ceux de l’extérieur. Les vrais partenaires locaux que nous pouvons directement avoir au Congo ce sont des commerçants, ce sont des PME, ce sont des investisseurs locaux qui travaillent avec nous qui sont venus d’autres pays. C’est ceux qui peuvent directement faire confiance en notre économie et investir leurs capitaux directement. Vous comprendrez, rien qu’en faisant mon analyse économique, tous ces investisseurs-là délocalisent leur argent et le mettent ailleurs qu’au Congo. Ça veut dire que ceux qui travaillent directement avec nous, ne nous font pas confiance parce que la situation politique est chaotique. Tant que cette crise ne sera pas résolue, tant que le gouvernement en place, ceux qui sont au pouvoir ne donneront pas de vrais signes ou des vrais messages, nous allons vivre cette situation et le Congo est en train de vivre l’une des crises les plus dangereuses qui peuvent conduire à des situations que nous ne pouvons pas dire ici et que nous n’espérons pas parce que ça n’augure pas quelque chose de très bien pour l’avenir de notre pays.
<strong>Interview réalisée par</strong> <strong>Will Cleas Nlemvo</strong>
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