Le procès de Roger Lumbala, ancien chef de guerre congolais, s’est ouvert mercredi 12 novembre 2025 devant la Cour d’assises de Paris (France). Il est poursuivi pour complicité présumée de crimes contre l’humanité, commis entre juillet 2002 et décembre 2003 dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais dès l’entame du procès, le prévenu a contesté la légitimité de la justice française à le juger, récusant également les avocats français commis à sa défense pour des faits survenus loin du territoire français.
Interrogé sur cette position, Me Tshibangu Kalala, l’un des avocats du prévenu dont la Cour d’assises n’a pas encore validé la participation officielle à la défense a expliqué qu’il s’agit d’un choix stratégique mûrement réfléchi. Selon lui, les circonstances de cette affaire ne relèvent pas de la compétence du système judiciaire français.
"Ça fait partie de la stratégie judiciaire, dans notre stratégie nous avons commencé par insister sur le fait que la France n'est pas légitime pour juger Monsieur Roger Lumbala peut-être que dans le droit français c'est prévu la compétence universelle mais ça c'est le droit français. Sur le plan de la réalité et des circonstances de cette affaire, nous considérons que la France n'est pas légitime. Bien-sûr, ça fait partie de la stratégie judiciaire pour mieux défendre notre client. On ne vient pas faire de l'improvisation devant une Cour d'appel, c'est un dossier bien préparé, on avait déjà prévu que dès la première audience, il faut contester la légitimité de la France de juger un congolais qui est notre client, on prétend qu'il a commis des infractions, un crime international très grave qu'il a commis au Congo et dont les victimes sont congolaises, il s'est retrouvé ici par hasard et on l'a arrêté", a déclaré Me Tshibangu Kalala devant la presse à l'issue de l'audience du jour.
Pour cet avocat, Roger Lumbala doit être jugé par les juridictions congolaises. Il estime que la justice française ne peut intervenir qu’en cas d’inaction des juridictions nationales.
"Nous estimons qu'il faut donner la priorité aux juridictions pénales congolaises pour pouvoir juger Monsieur Roger Lumbala d'autant plus que la compétence des juridictions françaises notamment de la Cour d'assises c'est une compétence subsidiaire, ça signifie que la justice française ne peut agir que si des juridictions principales congolaises n'arrivent pas à agir suivant l'application du principe en droit international pénal bien connu. Nous avons demandé à la justice française d'extrader Monsieur Roger Lumbala pour être juger au Congo", a ajouté Tshibangu Kalala
À la question de savoir si son client n’a pas adopté une attitude trop radicale en récusant ses avocats français, maître Tshibangu Kalala a défendu la décision de Roger Lumbala.
"Un prévenu a le droit au silence, il peut ne pas parler, c'est son droit le plus légitime. Donc la Cour d'assises va tirer les conséquences. Il a récusé ses avocats, c'est son droit le plus légitime. Quelqu'un peut récuser les avocats pour dire que moi je peux me défendre tout seul, je n'ai pas besoin d'avocats et on ne peut pas lui refuser, c'est ce qu'il a dit et bien la Justice française, la Cour d'assises en a tiré les conséquences, a désigné un avocat d'office", a fait savoir Me Tshibangu Kalala.
Interrogé sur le moment choisi pour soulever ces exceptions, l’avocat congolais estime que la défense devait poser le débat dès la première audience.
"Il faut soulever certaines exceptions, prendre certaines positions avant, dès la première audience. Il fallait vider tout son sac des points de droit qu'il entend soulever devant les juges. D'ailleurs, vous avez compris que le président lui-même a révélé ce que sera leur décision: il dit déjà demain on va voir si on va désigner un autre avocat, si demain l' huissier va venir vous extraire, etc pour prendre une autre date. Je crois que le président a anticipé, il a révélé ce que sera leur décision, c'est-à-dire que la Cour d'assises est compétente, il l'a dit et nous avons tous compris et il ne fallait pas attendre cela pour commencer à soulever d'autres moyens. Il a fait la récusation de ses avocats et c'est tout à fait légitime, la justice française va poursuivre son cours normal ou va arrêter, ça ce n'est pas notre préoccupation".
Ancien chef du Rassemblement congolais pour la démocratie National (RCD-N), groupe armé actif dans l’Est de la RDC pendant la Deuxième guerre du Congo (1998-2003), Roger Lumbala a également été ministre du Commerce (2003-2005) et candidat à la présidentielle en 2006.
Il est poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité : meurtres, tortures, viols, réductions en esclavage et pillages, commis lors de l’opération « Effacer le tableau » dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri entre 2002 et 2003. Cette opération est tristement célèbre pour les crimes de masse commis contre les populations civiles, notamment Mbuti et Nande, incluant des violences sexuelles, des tortures, des homicides et même des actes de cannibalisme forcé.
Ces crimes sont prévus et réprimés par les articles 212-1, 213-1, 213-2, 121-6 et 121-7 du Code pénal français, ainsi que par les articles 689 à 689-11 du Code de procédure pénale. Selon le dossier de presse consulté par ACTUALITE.CD, « pour ces faits, l’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité ».
Ce procès constitue le premier cas d’application du principe de compétence universelle pour des crimes de droit international commis en RDC par un ressortissant congolais. Il marque ainsi une étape inédite dans la lutte contre l’impunité, d’autant qu’il implique un ancien ministre.
Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, qualifient ce procès d’historique, estimant qu’il s’agit d’une étape cruciale vers la fin de l’impunité pour les crimes graves commis sur le territoire congolais.
Clément MUAMBA