RDC : des jeunes retournés de Shasha dans le Masisi initiés à la poésie, la danse et la musique pour guérir les blessures de la guerre

Foto
Restitution des activités culturelles et sportives avec les retournés à Masisi

Une vingtaine de jeunes de la localité de Shasha, située dans le territoire de Masisi au Nord Kivu, ont récemment été initiés à la danse, à la musique et à la poésie dans le cadre de la phase 1 d'un projet visant à les détraumatiser suite aux épreuves vécues pendant la guerre. Ces activités artistiques et sportives ont été conçues pour encourager la coopération, renforcer les liens communautaires et améliorer l'intégration sociale des jeunes retournés.

L’ASBL Jua, organisatrice du projet intitulé "Youth raise through arts" (Kijana Ana Simama Kwa Sanaa - Kasiks), a pour objectif global d'améliorer la résilience et le bien-être de 130 jeunes affectés par les conflits de guerre entre la rébellion de l'AFC/M23 et les FARDC ainsi que leurs alliés, en utilisant l'art et le sport comme outils de soutien et d'intégration. 

Ce projet offre aux jeunes un espace où la poésie, la musique et la danse deviennent des moyens d’expression et de reconstruction personnelle. À travers des sessions d’écriture thérapeutique et des déclamations de poèmes, les jeunes retournés de Shasha pourront exprimer ouvertement leurs espoirs et émotions sur papier afin de guérir de leur passé traumatisant. L’objectif principal est de panser les plaies invisibles laissées par la guerre, renforcer la coopération communautaire et redonner confiance à ceux qui avaient tout perdu. 

Après plusieurs jours d’ateliers, une séance de restitution a eu lieu le vendredi 6 juin, où l'ambiance était festive par des danses traditionnelles, des séances de fitness, de la musique, de la poésie et du slam, devant un public enthousiaste. 

Byenda Bihango Claude, un ancien enfant soldat ayant fui la guerre en mai 2024, témoigne de son expérience il indique avoir tout perdu lors de cette guerre, surtout sa maison d’habillement. Grâce à l’ASBL Jua, il a retrouvé le sourire, après  avoir appris la danse, qui était sa passion avant.

"Ici à Shasha, pour le moment, je n’ai pas de travail. Depuis que nous sommes retournés après avoir fui la guerre, on avait volé tout mon business. J'avais une maison d'habillement. Lorsque nous avions fui la guerre, c'était difficile pour moi de savoir qui avait volé mes biens. Depuis que nous sommes retournés, je n’ai plus rien. Cette organisation est venue, nous disant que, dans le cadre de notre détraumatisation, ils allaient nous former par plusieurs séances. Moi, on m’a formé dans la danse. J’ai aimé faire la formation de danse, car je faisais ça avant d’abandonner", a-t-il témoigné.

Nsimire Bauma Ornella, une jeune fille de Shasha qui a également fui son village pour Goma, exprime sa gratitude, elle fait savoir que grâce aux séances thérapeutiques qu'elle a suivies, elle espère toujours transmettre un message de paix à travers ses propres textes de poésie dans sa communauté.

"Je me rappelle encore, c'était dans la soirée, vers 19h. Nous avons quitté notre maison avec ma famille, suite aux coups de balles qu’on avait entendus autour de Shasha. Nous avions fui à Goma. Là, nous avions été bien accueillis dans le camp de déplacés de Mugunga. Nous sommes retournés au mois de mars, après la chute de Goma. Nous étions très contents de retourner chez nous, bien que l'insécurité persiste toujours. J'ai reçu une formation en poésie, et aujourd'hui, je crois qu'à travers mes poèmes, je veux maintenant porter un message de paix à ma communauté, car ces séances m'ont permis de m'exprimer, de guérir et de croire en un avenir meilleur", a-t-elle fait savoir.

Charmant Mwepa, l’un des formateurs, souligne l'importance de la transmission des connaissances , il souhaite que les apprenants aillent partager ce qu’ils ont appris avec d’autres personnes dans leur communauté car selon lui sans cela, ils ne pourront pas développer leurs compétences.

Pour lui au-delà des mots, le corps aussi est un terrain de réappropriation. Les activités sportives, les séances de fitness et la danse ont joué un rôle fondamental dans cette séance thérapeutique.

"J'ai formé des jeunes ici à Shasha pour lutter contre la détraumatisation après la guerre, après tout ce qui se passe dans la province du Nord-Kivu. Maintenant, on a réfléchi : pourquoi ne pas partager avec eux, pour enlever ces idées-là, pour réfléchir sur le futur et abroger le système du malheur. En réalité, moi, j’ai été surpris de tout ce qui s’est passé ici, car vraiment je ne m’y attendais pas. On a vu que tout le monde a participé, et on croit qu’ils vont exercer ce métier et pratiquer les exercices qu’on leur a donnés chaque jour, pour qu’ils puissent rester en bonne santé. Nous attendons de ces apprenants qu’eux aussi puissent apprendre aux autres ce que nous leur avons appris. On a su faire comprendre à ces apprenants l’importance de l’impact du leadership dans la société, et on croit en eux : sans nous, ils vont continuer et développer ce que nous leur avions appris", a-t-il indiqué.

Akonkwa Bujiriri, alias Osée Elektra, artiste slameur et coordinateur du projet, celui-ci ajoute que l'initiative vise à renforcer la résilience des jeunes retournés de guerre, en particulier ceux vivant dans des villages aux alentours de Goma et ayant été précédemment en situation de déplacement. Il affirme que le projet utilise l'art et le sport communautaire comme des outils essentiels pour mener ces jeunes vers le chemin de guérison, en les aidant à surmonter les traumatismes vécus durant cette période difficile.

"Ces activités étaient respectivement d'art-thérapie, mais aussi de sport communautaire. Avec ces activités, nous avions réuni plusieurs jeunes du village de Shasha, avec lesquels nous avons passé des moments d'enrichissement collectif et personnel autour de thématiques de guérison émotionnelle, et surtout de résilience communautaire. Le projet Youth Raise Through Arts vise à renforcer la résilience des jeunes retournés, c’est-à-dire des jeunes vivant aux alentours de Goma, qui étaient surtout dans le camp des déplacés, mais qui sont revenus. On est parti vers eux pour utiliser l’art et le sport communautaire, afin de les amener vers le chemin de la guérison surtout la guérison des traumatismes dont ils ont été victimes durant cette période de guerre", a-t-il déclaré.

Ce projet représente ainsi une lueur d'espoir pour ces jeunes, en leur offrant un moyen de se reconstruire et de se réintégrer dans leur communauté. Au-delà de l'art, les exercices physiques et les activités sportives jouent un rôle important dans la guérison mentale et physique. En se réappropriant leur corps à travers le mouvement et la danse, les jeunes retrouvent confiance en eux et apprennent à tisser à nouveau des liens sociaux solides.

Depuis le 2 février 2024, la cité de Shasha, située à une quinzaine de kilomètres de Sake, est sous le contrôle des rebelles de l’AFC-M23. Malgré cette situation et les profondes cicatrices laissées par les combats, la population tente tant bien que mal de reprendre le cours normal de la vie. Entre espoir de paix durable et incertitudes  sur l’avenir, les habitants de Shasha continuent à faire face au quotidien, portés par la résilience qui caractérise tant de communautés touchées par le conflit dans le territoire de Masisi.

Josué Mutanava, à Goma