Le lac Mai-Ndombe, véritable artère de transport pour la ville d’Inongo et les villages environnants, est aussi une source constante de danger pour ses usagers. Dans cette province enclavée de la RDC, la navigation est un pari quotidien, où la survie côtoie le péril, faute de mesures de sécurité adaptées.
Surcharge et navigation nocturne sont régulièrement pointées du doigt comme causes principales des naufrages à répétition. Une version contestée par les armateurs, qui dénoncent plutôt les intempéries imprévisibles, les conditions météorologiques hostiles du lac et le manque des gilets de sauvetage ainsi que les embarcations modernes.
"Le vent ne fait pas de distinction"
Lundi au port d’Inongo, Patrick Isesi, jeune armateur avec cinq années d’expérience sur le tronçon Inongo-Kinshasa, s'est confié à actualité.cd. Il a décrit un quotidien marqué par des risques constants. Locataire d’une baleinière de 30 mètres de long et 3 mètres de large pour 150 000 francs congolais (FC) par jour, il transporte jusqu’à 150 passagers et 40 tonnes de marchandises diverses à chaque voyage, un périple qui dure en moyenne une semaine.
"La surcharge n’est pas le problème principal", avance-t-il. "Le vent, accompagné de vagues puissantes, est le vrai danger. Ces vagues brisent les embarcations, qu’elles soient surchargées ou non, provoquent des infiltrations d’eau, desserrent les clous et, parfois, cassent carrément les structures en bois. Face à ces éléments, nous sommes impuissants. Dès que le temps change, il faut prier pour quitter le lac au plus vite" a-t-il expliqué.
Construites à partir de bois, de tôles, de goudron et de clous, les baleinières sont manifestement peu adaptées aux colères du lac Maï Ndombe. Pourtant, elles restent le principal moyen de transport pour cette région.
La question cruciale des gilets de sauvetage
À bord de ces embarcations de fortune, les gilets de sauvetage pourraient faire la différence. Mais à 70 000 FC ( environ 25 USD) l’unité, ils restent inaccessibles pour la plupart des armateurs et leurs passagers.
"Je n’ai pas les moyens d’acheter des gilets pour moi et mes 150 passagers, avec le coût de location de l’embarcation, ce n’est pas rentable. Si le gouvernement intervient pour nous fournir ces équipements essentiels, cela sauverait des vies" a déclaré Patrick Isesi.
Dans ces conditions, les passagers s’en remettent à des alternatives moins sécurisantes : des bidons, des morceaux de bois flottants, ou font simplement confiance à leur instinct de survie. Cependant, face aux vagues déchaînées, ces solutions ne sont que dérisoires.
Le lac : une voie de survie pour une province enclavée
Dans une région où les routes sont quasi inexistantes, le lac Maï Ndombe est une voie incontournable pour rejoindre Kinshasa ou ravitailler les villages environnants en produits manufacturés et agricoles. Pourtant, cette dépendance au transport lacustre expose quotidiennement des milliers de personnes à des risques élevés.
La durabilité des embarcations dépend largement du type de bois utilisé. Les plus solides tiennent jusqu’à cinq ans, tandis que les autres ne résistent guère plus de deux ans.
2024 : une année marquée par des naufrages tragiques
L’année 2024 a été particulièrement meurtrière sur les eaux de la province de Maï Ndombe.
Le 10 juin, une collision entre deux embarcations de la société Sainteté sur la rivière Kwa a fait 86 disparus parmi les 272 personnes à bord. En août, une baleinière, HB Jésus-Christ, a chaviré après avoir heurté des troncs d’arbres, causant au moins 29 morts et des dizaines de disparus.
Plus récemment, en décembre, une embarcation transportant 280 personnes a chaviré près du village Isongo, à 65 kilomètres d’Inongo. Le bilan fait état de 22 morts, de nombreux blessés et des disparus.
Face à ces drames à répétition, les armateurs et passagers appellent à une intervention urgente des autorités. La fourniture de gilets de sauvetage, la réglementation stricte des conditions de navigation et la sensibilisation aux dangers du lac sont autant de pistes pour réduire ces pertes humaines.
En attendant, chaque voyage sur le lac Maï Ndombe reste un pari contre la mort.
Jonathan Mesa