Les chercheurs congolais se réunissent autour de l’Institut Congolais d’Études Avancées (ICEA): « Nous devons préparer nos jeunes docteurs, professeurs et chercheurs à comprendre les dynamiques de l'Est du Congo » (Pr. Isidore Ndaywel)

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Depuis des décennies, l’Est de la République Démocratique du Congo est le théâtre de conflits armés, d’instabilité chronique et de violences extrêmes, en grande partie alimentés par la lutte pour le contrôle des ressources naturelles et des terres. Pour apporter des réponses durables à ces crises récurrentes, l’Institut Congolais d’Études Avancées (ICEA) a été créé avec pour mission d’approfondir la réflexion autour des enjeux sociaux et politiques majeurs du pays. À l’occasion de son tout premier séminaire à Kinshasa, du 17 au 19 octobre 2024, l’ICEA a réuni chercheurs et spécialistes autour du thème : "Conflits armés, pillage des ressources naturelles et violences extrêmes dans l’Est de la RDC".

Dans cet entretien, Isidore Ndaywel è Nziem, historien renommé et directeur général de l’ICEA, revient sur les objectifs de l’institut, les causes profondes des conflits à l’Est et les pistes de réflexion pour la paix.

ACTUALITE.CD : Qu'est-ce que l'ICEA et quel est son rôle ?

Isidore Ndaywel è Nziem : L'ICEA signifie Institut Congolais d'Études Avancées. C'est une initiative récente que nous avons prise en constatant que, malgré nos différents établissements et centres de recherche, ainsi que nos diverses disciplines universitaires, il manquait une structure de réflexion interdisciplinaire. L'idée est d'aller au-delà de la quête des diplômes pour se concentrer sur les grandes questions qui touchent notre société. Sur le plan international, on appelle cela des études avancées, car elles se situent au-delà du niveau doctoral.

ACTUALITE.CD : Pour votre premier séminaire, vous avez choisi comme thème les conflits armés à l'Est de la RDC. Que proposez-vous de nouveau dans ce débat ?

Isidore Ndaywel è Nziem : Ce que nous apportons de neuf, c'est d'abord une approche historique. Comme l'a souligné le Professeur Gilbert Kabanda, le ministre de la Recherche scientifique, lorsqu'on fait face à une maladie, il faut d'abord comprendre son histoire. C'est la même chose pour les conflits : il faut analyser leurs causes profondes. L'une des principales causes, que nous avons identifiée, est la question de la terre et de la surpopulation. Nous avons une démographie galopante dans des régions où les terres sont insuffisantes. Cela crée des tensions entre les communautés, et sans solution durable, ces tensions risquent de perdurer.

Un autre élément essentiel est le cadre légal. Nous vivons dans un monde avec des frontières établies, négociées notamment avec l'Allemagne, l'ancienne puissance coloniale de la région Rwanda-Burundi. Ces frontières doivent être respectées, mais malheureusement, cela ne se fait pas toujours.

ACTUALITE.CD : Les armes n'ont pas réussi à mettre fin à la guerre. Quelles sont les propositions de l'ICEA pour y parvenir ?

Isidore Ndaywel è Nziem : Nous en sommes au début d'une réflexion collective. Toutefois, nous avons identifié trois grandes questions. La première, comme je l'ai déjà mentionné, est la relation entre la population et la terre. La deuxième question, tout aussi importante, concerne les ressources naturelles. Nous vivons une situation comparable à celle de la fin du 19e siècle, lorsque la RDC fournissait au monde du caoutchouc pour la fabrication des pneus. Aujourd'hui, nous sommes les principaux fournisseurs de matières premières critiques pour l'économie mondiale, comme le coltan. Cela alimente les conflits.

J'ai d'ailleurs écrit un article intitulé "Du caoutchouc rouge au coltan rouge" pour illustrer cette continuité historique. À l'époque, la violence extrême, comme les mutilations, servait à garantir l'exploitation des ressources. Aujourd'hui, c'est le même schéma, avec des conflits autour des ressources.

ACTUALITE.CD : Quelles sont les attentes à l'issue de ce séminaire, et à qui s'adresseront les résolutions ?

Isidore Ndaywel è Nziem : Ce séminaire a pour objectif principal la formation. Nous devons préparer nos jeunes docteurs, professeurs et chercheurs à comprendre les dynamiques de l'Est du Congo. Ils ne doivent pas se limiter à l'actualité immédiate, mais approfondir les fondements des conflits, pour être en mesure de proposer des solutions durables. Même si nous obtenons un cessez-le-feu, les problèmes sous-jacents resteront, et sans réponse à ces questions, nous risquons de voir les mêmes phénomènes se reproduire dans quelques années.

ACTUALITE.CD : Pensez-vous qu'une solution diplomatique ou politique est envisageable pour l'Est de la RDC ?

Isidore Ndaywel è Nziem : Absolument. Lorsqu'il y a un incendie, il faut d'abord l'éteindre avant de réfléchir à sa cause et à la manière de l'éviter à l'avenir. Il est essentiel de soutenir les efforts actuels du président de la République, du gouvernement et de l'armée pour rétablir une paix, même temporaire. Il est urgent de mettre fin aux massacres et aux souffrances des populations. Toutefois, cette paix ne sera durable que si nous abordons les causes profondes du conflit.