Kinshasa : les jeunes face aux défis de la santé sexuelle et reproductive

Boulevard du 30 juin à Kinshasa
Boulevard du 30 juin à Kinshasa

Au cours du mois de septembre, le monde a célébré la journée internationale de la santé sexuelle. À Kinshasa, capitale de la RDC, les jeunes sont confrontés à de nombreux défis. Entre manque d’information, difficultés d’accès aux services de santé et tabous culturels, ils peinent à s’approprier les outils nécessaires pour une sexualité responsable. Des garçons et filles kinoises nous ont partagé leurs préoccupations et expériences.

Fidéline Nzau, 19 ans, est en première année de licence à l’Université Libre de Kinshasa (ULK). Entourée de ses amies, elle s’est d’abord montrée réticente avant de parler. “Nous n’avons pas assez d’informations sur la contraception. Vous savez, à l’école, on en parlait à peine. Il fallait attendre le cours d’éducation à la santé pour évoquer le sujet. Mais le professeur était très strict lorsqu’il dispensait ce cours. Il ne fallait ni en rire ni commenter, ce qui décourageait les élèves à poser des questions. A la maison, c’est un sujet tabou. Je n’en dirais pas plus. J’ai des amies qui sont tombées enceintes par ignorance, car elles ne savaient pas vraiment comment se protéger”, a-t-elle confié. 

Comme Fidéline, beaucoup de jeunes filles de Kinshasa ne bénéficient pas d’une éducation sexuelle complète, définie par l’UNFPA comme le processus d’enseignement des aspects émotionnels, physiques et sociaux de la sexualité. Cependant, la prévalence du VIH/Sida chez les jeunes de 15-24 ans est de 0,23% sur une moyenne nationale de 1,2%, respectivement selon le Spectrum 2021 et l’Enquête Démographique et de Santé (EDS 2013-2014). 

Grâce Tshimanga, nom d’emprunt, aura 24 ans en janvier prochain. Elle nous a confié qu' “après son premier rapport sexuel à 17 ans, elle a sérieusement souffert d'infections urinaires”. Les deux mois de maladie ont poussé sa mère à tout savoir du partenaire sexuel de sa fille et l’obliger à mettre fin à la relation. “J’ai vu la mort en face et je n’avais d’autre choix que de tout avouer à ma mère. Je pensais que les méthodes contraceptives comme le préservatif ne pouvait s’utiliser qu’avec un partenaire atteint du VIH/SIDA. Et mon partenaire n’avait pas l’air malade, il était en bonne santé”, a-t-elle soutenu.  

L’autre défi auquel font face les jeunes, c’est l’accès aux méthodes contraceptives notamment à cause de la stigmatisation. Bernard Kabongo, 23 ans, est vendeur ambulant de café Touba. Il explique “Pour nous les garçons, le problème est souvent l'accès aux préservatifs. Ils ne sont pas toujours disponibles dans les pharmacies, et quand ils le sont, parfois on est trop gêné pour en acheter. Vous ne savez pas comment vous serez accueillis par les pharmaciens, ni ce que les personnes que vous trouverez dans la pharmacie diraient de vous ”

“ Lorsque j’étais en sixième année secondaire, je me suis évanouie à l’école. J’avais des fortes fièvres et les comprimés de paracétamol reçus de l’école ne pouvaient pas les calmer. Arrivée à l'hôpital, ma mère est venue. Entourée des infirmières lorsque je me suis réveillée, l’une d’elle m’a clairement dit : ne cache rien à ta mère. Dis nous si tu es enceinte. Comment tu as pu y aller sans préservatif ?. J’étais tellement choquée que ma mère a presque cru que j’étais enceinte. C’est un test de grossesse rapide qui a annulé les suspicions. Voyez-vous à quel point cette infirmière a manqué d'être professionnelle ? Déjà que si c’est comme ça, je préfère avorter seule que d’aller à l'hôpital”, se rappelle Sarah, 22 ans et qui tient une boutique en ligne. 

A l’ère du numérique, entre désinformation et responsabilité

D’autres jeunes ont révélé être abonnés à certaines pages et comptes dans les réseaux sociaux, tels que YouTube, Tiktok, Facebook, pour bénéficier des informations sûres en santé sexuelle et reproductive. Cependant, ce qu’ils appellent informations “sûres” peuvent également apparaître comme des risques de la désinformation. 

Celle que nous appellerons Clarisse nous a partagé son secret. “A la maison, on n'en parle pas. À l'église, un tout petit peu parce qu’on ne veut pas nous encourager à la débauche ou à la fornication. Mais je suis régulièrement des contenus sur Facebook, sur YouTube. Cela m’a permis de savoir calculer mon cycle menstruel et savoir quand il y a des fortes chances de tomber enceinte. Il y a aussi un compte sur Tik Tok qui apprend des bonnes astuces”, a-t-elle affirmé. 

A Patrick Monsengwo qui est en terminal à l’université Simon Kimbangu de conclure.  "Moi, je pense que les jeunes doivent aussi être responsables. On sait qu’il y a des risques, mais beaucoup de jeunes préfèrent prendre des raccourcis. Il faudrait plus de campagnes de sensibilisation dans les quartiers. Pourquoi ne pas installer des endroits où des jeunes iront discuter librement de ces questions entre eux et avoir des orientations auprès des professionnel.les ? "

Il faut également noter que dans un rapport publié par le Programme national de santé des adolescents (PNSA) en 2022 et consulté par Actualité.cd, le pourcentage des adolescents et jeunes qui utilisaient les services de santé dans les formations sanitaires n’était que de 3% en 2017. Ce pourcentage va tripler pour passer à 9% en 2018 et à 11% en 2019 soit deux points de pourcentage de plus. En 2020, le pourcentage des adolescents et jeunes qui utilisent les services de santé des jeunes est passé à 16% soit un gain de 5 points de pourcentage. Par contre, de 2020 à 2021, l’augmentation est lente et le pourcentage s’établit à 17% soit un gain faible de 1% contrairement aux années antérieures. Cette faible augmentation s’explique par le fait qu’il y a eu la maladie à Covid 19 en 2020 et la grève du personnel de santé en 2021 qui a duré 5 mois. 

Prisca Lokale