Dans la nuit noire de Kinshasa, entre deux et trois heures du matin, des coups de feu retentissent. Secs, saccadés, parfois distants, ils déchirent le silence de la ville endormie. À la prison centrale de Makala, la plus grande du pays, une tentative d’évasion est en cours. Sous la première pluie annonçant la fin de la saison sèche, des détenus, en proie à une excitation fébrile, cherchent désespérément à briser les verrous des pavillons, à faire tomber les murs de cette forteresse qui les retient.
Des vidéos amateurs, fuites précipitées sur les réseaux sociaux, montrent des silhouettes se déplaçant dans le noir, errant, cherchant une issue. « Faites tomber les murs, cassons tout ! » crient certains, leurs voix se perdant dans la nuit, mêlées au crépitement des armes. D’autres tentent de se frayer un chemin, toujours à l’intérieur, piégés dans ce dédale carcéral. Un premier mort est signalé. « Laissez son visage visible pour que sa famille puisse le reconnaître », murmure un détenu, veillant sur le corps d’un camarade abattu d’une balle, gisant à même le sol humide.
Le matin venu, la fumée s’échappe des pavillons de Makala, vestiges d’une nuit de chaos. Les renforts arrivent tôt, tentant de reprendre le contrôle d’une situation devenue incontrôlable. « Les services de sécurité sont sur place pour restaurer l’ordre et la sécurité. La population kinoise est invitée à ne pas paniquer », déclare Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, dans un message qui se veut rassurant, mais qui peine à masquer l’ampleur du drame.
La Fondation Bill Clinton pour la Paix (FBCP), par la voix de son président Emmanuel Adu Cole, dresse un premier bilan dramatique : plusieurs morts, des blessés, et des évasions. « Depuis longtemps, nous avons alerté les autorités sur la nécessité de séparer les militaires des civils. Comment comprendre qu’une prison civile puisse accueillir plus de 4 000 militaires ? », s’indigne la FBCP, rappelant l’épisode tragique du 17 mai 2017, où une évasion massive avait entraîné la mort de nombreux détenus.
Les jours précédant cette nuit de terreur, la situation à Makala était déjà préoccupante. Début août, lors d’une visite au Centre pénitentiaire de rééducation de Kinshasa (CPRK), le ministre d'État, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba, avait réaffirmé sa détermination à désengorger cette prison surpeuplée. Conçue à l’origine pour 1 500 prisonniers, Makala en abrite aujourd’hui des milliers, conséquence directe de la croissance démographique exponentielle de Kinshasa, passée de 2 millions d’habitants à près de 15 millions.
Pour remédier à cette situation critique, le ministre avait annoncé l’émission prochaine d’une circulaire interdisant aux magistrats de transférer des prévenus à Makala, sauf pour des cas graves, et un plan pour construire une nouvelle prison moderne sur un site déjà identifié. « L’ambition est de désengorger Makala de moitié », avait-il déclaré, conscient du défi titanesque qui l’attendait.
Mais la réalité de la nuit du 2 septembre 2024 à Makala a montré l’urgence de la situation.