Affaire Matata : les Juges de la Cour Constitutionnelle de nouveau induits en erreur par le Procureur Général près cette Cour ! (Tribune)

Augustin Matata Ponyo
Augustin Matata Ponyo

Tribune

Depuis plus de deux ans, l’affaire dite Matata ou Bukanga-Lonzo n’a cessé d’éprouver la justice congolaise, aux prises avec, d’une part, les injonctions politiques, le besoin d’offrir un procès spectacle à la population et faire tomber un poids lourd comme lors du procès Kamerhe, et le strict respect des dispositions de la Constitution.

Et depuis, la justice s’est illustrée par un vertigineux tâtonnement et un bafouement sans précédent des règles établies par la Constitution :

  • levée des immunités illégale ;
  • arrêt RP 0001 du 15 novembre 2021 rendu par la Cour constitutionnelle se déclarant incompétente, conformément à la Loi fondamentale, à juger un ancien Premier ministre ;
  • fixation et comparution illégales à la Cour de cassation ;
  • requête en interprétation illégale de la Cour de cassation introduite auprès de la Cour constitutionnelle ;
  • arrêt controversé du 18 novembre 2022 de la Cour constitutionnelle, en violation de l’article 168 de la Constitution ;
  • nouvelle levée illégale des immunités par le bureau du Sénat ;
  • nouveau mandat de comparution du Parquet Général près la Cour Constitutionnelle dans la même affaire.

Dans la tribune ci-après, le Professeur émérite de droit Raphaël Nyabirungu revient sur ces égarements judiciaires qui ne laissent plus planer aucun doute sur la thèse d’un acharnement politico-judiciaire contre Matata Ponyo. Il s’attaque à ce qui ressemble à du banditisme judiciaire, d’un mandat de comparution illégal à une fixation tout autant illégale, une erreur ! Et au Professeur Nyabirungu de conclure que toute cette machination est de nul effet, en vertu de la Constitution, des lois de la République et de l’arrêt RP 0001 du 15 novembre 2021. Il est par conséquent temps pour la justice de se ressaisir, car persévérer dans l’erreur serait diabolique.

Tribune : AFFAIRE MATATA PONYO : UN MANDAT DE COMPARUTION QUI RABAISSE LA NATIO

Mesdames et Messieurs de la Presse,

Chers Journalistes et chers invités,

Nous sommes heureux de vous recevoir ce jour dans ce beau cadre du CEPAS, et tenons à vous remercier d’avoir bien voulu accepter de répondre à l’invitation de l’Honorable MATATA PONYO MAPON et ce, malgré vos  multiples occupations.

La conférence de presse que nous tenons ce jour a pour objectif de réagir au mandat de comparution du 10 juillet 2023 adressé au Sieur MATATA PONYO MAPON, lui demandant de comparaître devant le Parquet général près la Cour Constitutionnelle, ce mercredi 12 juillet 2023 à 11heures précises pour y être entendu sur des faits infractionnels à lui imputés et lui faisant savoir que faute de ce faire, il y sera contraint conformément à la loi.

Les considérations de ce jour sont de nature exclusivement juridiques sans exclure que des considérations d’une autre nature soient tout à fait envisageables, vue la persistance des violations du droit et des actes d’acharnement sur la personne.

Nous avons intitulé la présente conférence de presse comme suit :

Affaire MATATA PONYO : un  mandat de comparution qui rabaisse la Nation

Ce titre renvoie directement à la récente conférence de presse du Chef de l’Etat dans laquelle il signalait qu’alors que la justice élève la Nation, lui était déçu du bilan de la justice actuelle. Il dit avoir tout fait, mais constate, malheureusement que la justice n’a pas rencontré ses attentes et reconnait un échec sur ce secteur.

Le  mandat de comparution qui a retenu notre attention rentre dans la catégorie de ces actes de justice qui, loin d’élever la Nation, la jette à terre par des violations aussi flagrantes que fréquentes de la Constitution et des lois de la République.

La question que nous nous posons, en notre qualité d’avocats de la défense, est de savoir si ce mandat de comparution concerne l’Affaire dite BUKANGA LONZO ou plutôt des faits nouveaux non encore portés à la connaissance de notre client.

En tout état de cause, la Constitution, dans différentes dispositions, a prévu toutes les hypothèses qui pouvaient concerner Monsieur MATATA PONYO. En effet,

  • soit il est poursuivi comme Premier ministre ;
  • soit il est poursuivi comme ancien Premier ministre ;
  • soit il est poursuivi comme Sénateur.

 

  1. MATATA PONYO POURSUIVI COMME PREMIER MINISTRE

Manifestement, telle est la volonté et la compréhension des choses par le Parquet général près la Cour Constitutionnelle. En effet, la Cour Constitutionnelle n’a de compétence pénale qu’à l’égard du Chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévues par la Constitution (Article 163).

Si donc aujourd’hui le Parquet général entend exercer sa compétence vis-à-vis de Monsieur MATATA PONYO, c’est parce qu’il est convaincu que les faits poursuivis, relevant de la Cour Constitutionnelle, il ne peut qu’être compétent à son tour.

Dans ce cas, en lançant son mandat de comparution, il prend une décision de poursuite d’un Premier ministre qui doit, conformément à l’article 166 de la Constitution, être votée à la majorité de deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. Ce qui, manifestement, n’a pas été fait.

Bien plus, le Parquet général fait la même erreur de prétendre poursuivre un Premier ministre, comme lors des poursuites qui furent rejetées le 15 novembre 2021 par l’arrêt 0001.

Et plus fondamentalement, s’il s’agit de BUKANGA LONZO, la Cour Constitutionnelle, siégeant en matière répressive en premier et dernier ressort, rendit l’arrêt RP 0001 en date du 15 novembre 2021, le Ministère public entendu, qui a déclaré recevable et fondée l’exception d’incompétence et s’est déclarée incompétente à connaître des poursuites contre notre client.

Cet arrêt a été signifié au  prévenu, au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale, au Président du Sénat ainsi qu’au Premier ministre. Il a été exécuté.

Cet arrêt, avait dit la Cour, devait être publié au Journal Officiel de la République démocratique du Congo ainsi qu’au Bulletin des arrêts de la Cour Constitutionnelle.

Cet arrêt, conformément à l’article 168 de la Constitution, n’est susceptible d’aucun recours et était immédiatement exécutoire, obligatoire et s’imposant aux pouvoirs public, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles civiles et militaires, y compris le Parquet général de la Cour Constitutionnelle ainsi qu’aux particuliers.

Vous comprendrez, dans ce cas, que s’il s’agit de BUKANGA LONZO, le mandat de comparution dont il est question est non conforme à la Constitution et nul de plein droit.

Et s’il s’agit des faits nouveaux, ils subiront le même sort, car la Cour Constitutionnelle se déclarera toujours incompétente à l’égard d’un ancien Premier ministre poursuivi sur base des dispositions qui ne concernent que le Premier ministre  en fonction.

  1. MATATA PONYO POURSUIVI COMME ANCIEN PREMIER MINISTRE

La Constitution n’a pas prévu ce cas d’un ancien Premier ministre qui serait poursuivi pour les infractions  énumérées et définies aux articles 164 et 165 de la Constitution, commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Et l’arrêt RP 0001 de la Cour Constitutionnelle va dans ce sens :

« Elle précise que l’exigence du principe de la légalité concerne aussi la procédure, ce qui revient à dire que ce principe exige que la procédure pénale à appliquer contre un justiciable devant les juridictions doit être celle expressément prévue par les textes constitutionnels et législatifs en vigueur. De même, il n’a pas de juge ou de juridiction sans la loi, ce qui veut dire qu’une personne  ne peut être poursuivie que devant une juridiction préalablement connue dans un texte de loi. Il s’agit là d’un principe constitutionnellement garanti par l’article 17 alinéa 2 de la Constitution ».

Dès lors, si le mandat de comparution concerne BUKANGA LONZO, il est nul et de nul effet.

Et s’il concerne des infractions nouvelles commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, la Cour Constitutionnelle  n’y a aucun égard conformément à la Constitution et à sa propre jurisprudence.

Ainsi, le mandat de comparution sera déclaré émaner d’un Parquet général qui n’en a pas la compétence.

Par contre, la Constitution a prévu le cas des infractions commises par un Premier ministre en dehors de l’exercice de ses fonctions et pour lesquelles les poursuites et la prescription sont suspendues jusqu’à l’expiration de son mandat. Ces infractions, dit la loi, relèvent de la juridiction de droit commun, et la Cour Constitutionnelle ainsi que le parquet y attaché sont incompétents, la juridiction compétente étant celle de droit commun (article 108, alinéa 3 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2015 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle).

  1. MATATA  PONYO POURSUIVI COMME SENATEUR

Notre client est Sénateur. Et malgré le fait que la Cour Constitutionnelle s’était déclaré déjà incompétente et clos ainsi définitivement le dossier, le Parquet général près la Cour de cassation s’acharna, à son tour, sur la personne de notre client en le poursuivant devant cette dernière, en dépit de la conclusion à laquelle trois magistrats de son office en charge de l’instruction du dossier contre l’Honorable MATATA PONYO MAPON avait abouti :

« Toutes les infractions, commises par le Premier Ministre pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ne peuvent être jugées que par la Cour Constitutionnelle (articles 163 et 164 de la Constitution). Ainsi, s’étant déclaré incompétente à connaître de poursuites engagées contre les prévenus MATATA PONYO MAPON et consorts, aucune autre juridiction ne peut engager une action pour ces mêmes  faits  contre  l’ancien Premier Ministre.  Au demeurant, les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont immédiatement exécutoires et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles (article 168). Dès lors, mon office  ne pourra pas instruire qu’à charge de ceux qui ont participé à la commission de ces faits selon l’un de mode de participation criminelle, non revêtus de cette qualité lors de leur perpétration. Votre avis m’obligerait, Excellence Monsieur le Président de la République, … ».

Devenu Sénateur, son juge naturel est la Cour de cassation qui, en tout état de cause, s’est déclaré incompétente par son arrêt du 21 novembre 2022 sur l’affaire BUKANGA LONZO.

Maintenant qu’il a été établi par le plus hautes juridictions du Pays, d’une part, qu’aucune juridiction n’est compétente pour juger un ancien Premier ministre quand il s’agit des infractions de fonction et que, d’autre part, lorsqu’il a terminé son  mandat il est justiciable du droit commun, le mandat de comparution n’a aucun fondement juridique, viole la Constitution et la jurisprudence bien établie de la Cour Constitutionnelle. Il est nul de plein droit.

Quant à ses immunités de parlementaire, il s’agit d’une question sans objet depuis l’arrêt RP 0001 et, en cas de nouvelles infractions, elles ne peuvent être instruites sans lever d’abord les immunités parlementaires de notre client par le Parquet attaché à une juridiction compétente de droit commun.

CONCLUSION

Notre conclusion est courte et consiste en un constat et en un étonnement.

  1. Constat

Notre constat est que l’affaire BUKANGA LONZO est  terminée et aucune règle de droit ne permet de la relancer par la mise en cause de l’autorité de la chose jugée au pénal.

Et à ce sujet, les acquis de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle sont inébranlables. Ils peuvent se résumer comme suit :

  • De l’Etat de droit

« Dans le contexte congolais, la Constitution garantit, tant dans son préambule que dans son dispositif, entre autres valeur : l’Etat de droit, la démocratie pluraliste et les  droits humains ». (R. CONST. 1800 , du 22 juillet 2022, p. 15).

« Il est évident que le constituant n’a pas entendu laisser libre champ aux organes juridictionnels de porter atteinte aux valeurs fondamentales de l’Etat  moderne telles que garanties par la Constitution de la République. Et la Cour, comme garde-frontière, a été instituée pour placer les digues afin d’éviter les débordements dans l’œuvre normative de toute autorité publique. A ce titre, elle est un instrument de réalisation et de garantie de l’Etat de droit, le dernier rempart, l’ultima ration pour la préservation de l’Etat de droit qui emporte la soumission de tous, particuliers et institutions publiques, aux seuls règne et autorité du droit » (R. CONST.1800, du 22 juillet 2022, p. 6).

  • Primauté de la Constitution sur toutes les autres règles

Pour la Cour Constitutionnelle, « affirmer le primat de la Constitution sur toutes les autres règles juridiques matérielles dérivées ne va pas sans que certains mécanismes de contrôle soient mis en œuvre pour que ce principe de suprématie de la loi fondamentale ne demeure pas lettre morte » (R. CONS. 1800 DU 22 juillet 2022, p. 5).

  • Principe de la légalité

« La Cour précise que l’exigence du principe de la légalité concerne aussi la procédure, ce qui revient à dire que ce principe exige que la procédure pénale à appliquer contre un justiciable doit être celle expressément prévue par les textes constitutionnels et législatifs en vigueur. De même, il n’y a pas de juge ou de juridiction sans la loi. Ce qui veut dire qu’une personne ne peut être poursuivie que devant une juridiction préalablement connue dans un texte de loi. Il s’agit à d’un principe constitutionnellement garanti par l’article 17 alinéa 2 de la Constitution » (15ème feuillet de l’arrêt sous RP. 0001).

Nous citons l’article 17 alinéa 2 : « Nul  ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit ».

  • Du principe de la compétence juridictionnelle d’attribution

« La Cour relève que la compétence juridictionnelle étant d’attribution, le Prévenu MATATA PONYO MAPON Augustin, qui a cessé d’être Premier ministre en fonction au moment où les poursuites contre lui sont engagées, doit être poursuivi devant son juge naturel, de sorte que, autrement il serait soustrait du juge que la Constitution et les lois lui assignent, et sont en violation de l’article 19, alinéa 1er de la Constitution » (RP. 0001 du 15 novembre 2021, 15ème feuillet, §3).

  1. L’étonnement

 Notre étonnement porte sur le fait que certains hauts responsables de l’application de la loi font montre d’une témérité à nulle autre pareille quand il s’agit de violer ou de contourner la Constitution et la loi dans leurs dispositions les plus claires. C’est cela qui déçoit  le Chef de l’Etat, c’est cela qui rabaisse  la Nation. Mais celle-ci aura toujours les ressources nécessaires à se ressaisir.

Fait à Kinshasa, le 12 juillet 2023

Professeur Raphaël Nyabirungu Mwene Songa