RDC : " Nommer et renommer les lieux. Un siècle des batailles idéologiques à travers les toponymes à Kinshasa ", ouvrage de Claude Mukeba porté sur les fonts baptismaux

Livre
Ph. ACTUALITE.CD

Le président de l'Assemblée provinciale de Kinshasa, Godé Mpoy Kadima, a porté sur les fonts baptismaux le livre intitulé : "Nommer et renommer les lieux. Un siècle des batailles idéologiques à travers les toponymes à Kinshasa ". Ouvrage de 215 pages, cette production scientifique est l'œuvre du professeur Claude Mukeba Kolesha. La cérémonie a eu lieu ce vendredi 24 février au CEPAS à Kinshasa/Gombe en présence des éminents professeurs d’universités, des corps scientifiques, des députés et autres autorités politico-administratives.

Le pouvoir nomme les lieux à son image, en RDC comme ailleurs, hier comme aujourd'hui. Cet ouvrage scrute le phénomène à travers l'histoire de la RDC. Depuis l'EIC (1881-1908), en passant par l'administration belge (1908-1960), l'autorité coloniale a procédé aux retoponymisations, puisées dans l'histoire et la culture occidentales.

Après l'indépendance, certains toponymes ont été changés sur le fond d'une ferme volonté de congolisation (1966). Un mouvement poursuivi et formalisé, à la faveur du retour à l'authenticité, trouvaille du nouveau régime (1971). En 1992, la Conférence nationale souveraine (CNS) revisite la toponymie dans un esprit révisionniste. En 1998, la Commission urbaine, mise en place par le nouveau pouvoir, complète cette CNS.

" L'ouvrage est structuré dans une harmonie digne d'un orchestre symphonique entre trois parties d'importance et de longueur plus au moins égale. La première partie concepts, théories et méthodologiques est sans doute la moins facile à lire, c'est normal parce qu'elle pose les bases théoriques nécessaires à la compréhension de l'étude. Elle présente tour à tour les approches méthodologiques qui sont paradigmatiques, syntagmatiques , triangulatoires, et comparatives. La deuxième partie est historique, elle retrace avec application plus de 130 ans d'histoire de la RDC sous le prisme du phénomène topodymique et la troisième partie est le lieu de l'application de l'analyse retoponymosemique. C'est ici que l'auteur, le professeur Mukeba, étale les querelles séquentielles marquées tour à tour par l'européanisation des toponymes pour la période coloniale, l'imposition des toponymes africains de 1960 à 1990 et l'ouverture du fond toponymique aux divers courants idéologiques à partir d'avril 1990 ", a relaté le professeur Pierre Nsana Bitentu devant l'assistance lors de la présentation de l'ouvrage. 

Et de poursuivre :

" Le lecteur découvre ou découvrira le pourquoi du comment de la création des multiples panonceaux sur des lieux à l'image de l'ancienne avenue Joséphine Charlotte que certains parmi les plus anciens ici présents ont connu sous le nom des victimes des rébellions avant de devenir brièvement avenue Lumumba puis successivement pour les plus jeunes avenue du 24 novembre, Pierre Mulele, 17 mai et aujourd'hui Libération. L'auteur termine son ouvrage par l'élaboration des principes généraux éclairant les oppositions, les controverses, les contrastes générées par les actes des retoponymisations ". 

A

Se fondant sur un outil théorique et méthodologique, qu'il forge à partir de l'analyse sémique, l'auteur objective la chaîne des retoponymisations opérées à Kinshasa par les différents pouvoirs, avec pour ambition, chaque fois, de recréer un nouvel ordre de significations. Ensemble des noms des lieux, la toponymie, éternel enjeu pour les détenteurs du pouvoir, participe de la communication politique. Par la toponymisation, l'autorité politique (émetteur) transmet une idée (message) à travers le toponyme (canal) à l'attention du locuteur (récepteur) pour susciter une attitude et un comportement (effets).

" À chaque fois qu'on a changé un nom à un autre derrière le changement, il y a une idéologie qu'on veut passer. Il y a une histoire qu'on veut passer que notre pays a connue particulièrement Kinshasa. D'abord le premier nom de Kinshasa à l'arrivée de Stanley, il tente de changer des noms des autochtones en mettant les noms des Belges, j'appelle ça la tendance à l'européanisation des noms par exemple vous avez Mont Nkoy Nkulu ce qu'on appelle Mont Ngaliema aujourd'hui Stanley débaptise ça à Mont Stanley et même les avenues qu'ils ont créées après ils ont donné les noms des blancs ", a expliqué l'auteur de l'ouvrage, le professeur Claude Mukeba. 

Et d'ajouter :

" À travers tout ce va et vient des noms, il y a une certaine idéologie qui se trame derrière. C'est ce que j'ai essayé d'analyser et j'analyse en prenant une approche sémique c'est-à-dire quand on oppose un nom, on prend Lumumba contre Joséphine Charlotte c'est comme ça que s'appelait l'avenue du 24 novembre (Libération) en 1966, elle s'appelait un tout petit Lumumba quand on enlève Joséphine Charlotte on met Lumumba, on oppose Lumumba à Joséphine Charlotte, l'exercice que je fais c'est de voir quelles sont les scènes de Lumumba ? Derrière Lumumba il y a quoi ? Lumumba, c'est un homme, Joséphine Charlotte est une femme, Belge sœur aînée du Roi Baudoin et Lumumba congolais, renvoie au nationalisme etc. ". 

Claude Mukeba est Docteur en sciences de l'information et de la communication. Il enseigne à l'Institut Facultaire des Sciences de l'Information et de la Communication (IFASIC), à l'Université de Mbuji-Mayi (UM) et à l'Université Officielle de Mbuji-Mayi (UOM).

Clément MUAMBA