Le CNPAV dénonce la clause de confidentialité illégale du protocole d’accord sur la récupération des
actifs pétroliers et miniers avec le groupe de Dan Gertler. Seule sa publication permettra de dire si cet accord est réellement bénéfique pour la population congolaise.
La coalition Le Congo N’est pas à Vendre (CNPAV) a suivi avec beaucoup d’intérêt la conférence de presse du jeudi 3 mars 2022 sur l’accord de l’Etat congolais avec le groupe Ventora de Dan Gertler,
animée par le Porte-parole du gouvernement, la Ministre de la justice et le Directeur adjoint du cabinet du Chef de l’Etat.
Si cet exercice constitue un premier pas dans la bonne direction, il apparaît surtout comme une manœuvre pour garder secret un accord qui concerne le secteur minier et qui doit être publié selon
les dispositions du Code Minier. Le CNPAV ne comprend pas le refus de publier un accord présenté par tous comme bénéfique à la population congolaise.
En plus, le peu d'informations partagées lors de la conférence de presse nous fait craindre un accord déséquilibré en faveur de M. Gertler. Il n'y a pas été question d’indemniser les pertes de $2 milliards que le Congo a subi, ni de rétrocéder l’ensemble des royalties qu’il a acquises illégalement. Il existe encore plusieurs autres zones d’ombre, comme le sort du prêt de $148 millions que le groupe Gertler avait octroyé à la Gécamines juste avant d’être sanctionné. Le gouvernement doit publier le protocole d’accord afin de nous rassurer qu’il est réellement dans l’intérêt de la population
congolaise.
1. Une confidentialité illégale
La transparence n’est pas une question de promesses, elle se prouve. En effet, la volonté affirmée du gouvernement d’être transparent est complètement éclipsée par son refus de publier le protocole d’accord lui-même, invoquant une clause de confidentialité dans le protocole d’accord. Pourtant, des centaines de contrats sont déjà publiés sur le site du ministère des mines en dépit de leurs clauses de confidentialité, simplement parce que de telles clauses sont contraires au Code minier, qui exige la publication de tous les contrats miniers (art. 7 quater). Pire, tout celui qui entrave à la transparence dans le Code minier risque des amendes allant jusqu’à $1 million USD (art. 311 quater). Comment comprendre que ceux qui sont censés faire respecter la loi soient les premiers à la violer ?
2. Aucune mention d’indemnisations pour les pertes du passé
La société civile a documenté, chiffres et preuves à l’appui, les pertes que les transactions de Monsieur Gertler ont déjà causé à notre pays: plus de $2 milliards jusqu’à ce jour. Lors de cette conférence de presse, le directeur du cabinet adjoint du Chef de l’Etat a lui-même présenté Dan Gertler comme l’homme au cœur de la prédation de nos ressources minières sous le régime du président Kabila. Malgré cela, aucun des représentants n’a parlé d’une indemnisation quelconque pour les deux milliards de pertes dont ce « prédateur » s’est accaparé en complicité avec l’ancien Président Kabila. Ces pertes ont été réalisées sur d’autres transactions que les actifs qu’on affirme vouloir récupérer aujourd’hui. Comment peut-on parler d’un bon accord lorsque les termes sont si manifestement bénéfiques pour celui qui a pillé notre pays ?
3. Une récupération qui coûterait trop chère
Non seulement le Congo ne récupère aucune compensation pour les pertes passées, c’est le Congo qui semble promettre de compenser Gertler pour les quelques actifs récupérés! Le gouvernement congolais explique qu’il compte rembourser Gertler pour les frais investis dans les études réalisées et mentionne le chiffre de $200 millions. Des affirmations qui ne correspondent pas à nos propres informations.
Concernant les blocs pétroliers, le groupe de Gertler n’a jamais réalisé le moindre forage dans le lac Albert, et ne réalise plus aucune activité de recherche depuis huit ans. Et les explorations aériennes faites avant 2014 n’ont surement pas couté $200 millions. En plus, le contrat pour les blocs a été prolongé illégalement à plusieurs reprises - y compris une fois sous l’actuel régime – alors que le gouvernement aurait pu le laisser expirer et récupérer les blocs gratuitement. Au moment dudit renouvellement, le groupe de Gertler était dans l’obligation de montrer ses résultats des explorations réalisées et donc remettre les études gratuitement aux autorités. Or voilà que le gouvernement promet de les acheter.
Au sujet du permis de Moku-Beverendi, le groupe Gertler n’a pas fait d’étude sur ces permis: c’est l’entreprise voisine, Kibali Gold, qui les a faites à sa place. Le contrat d’option entre le groupe Gertler et Kibali prévoyait que cette dernière réaliserait à ses frais toute l’exploration de la zone et récupèrerait une participation majoritaire dans Moku si elle y découvrait des gisements. Maintenant, c’est Gertler qui serait compensé pour cet investissement qu’il n’a jamais fait? Ce serait une arnaque de plus à l’actif de Gertler.
4. Gertler garde le morceau le plus juteux: les royalties de KCC, Mutanda et Metalkol
La plus grande arnaque qui ressort de cet accord se situe ailleurs. Ce qui est le plus précieux dans le portefeuille de Gertler, ce sont les royalties qu’il touche dans le secteur du cuivre-cobalt. Contrairement aux blocs pétroliers et permis miniers précités, c’est de l’argent tangible, garanti et purement rentier: plus de 200.000 par jour, soit une partie des recettes de cuivre et de cobalt vendus par KCC, Mutanda et Metalkol, trois des plus grands projets en opération au Congo. C’est de l’argent qui devait aller à la Gecamines et à l’État et qui a été privatisé à vil prix. Si le Congo ne les récupère pas, le Congo perdra 1.7 milliards à l’avenir.
La seule chose dont le gouvernement congolais se félicite d’avoir reçu, au titre de royalties, c’est une compensation pour les royalties de KCC. Lors de ce point de presse, le gouvernement congolais a annoncé que le groupe Gertler paiera 249 millions comme valeur actualisée de ces royalties. Ce qui en soi est une catastrophe ! En effet, Dan Gertler a déjà réalisé un profit net de 360 millions sur
l’ensemble des royalties, et la valeur future (actualisée) des royalties de KCC est de 380 millions, selon les chiffres conservateurs du Congo n’est pas à vendre. Doit-on se féliciter de récupérer 249 millions? Pis encore, à la question d’un journaliste de savoir si tous les royalties de Mutanda et Metalkol seraient également récupérés, aucune réponse claire n’a été donnée. Ceci laisse craindre qu’on ait autorisé à Dan Gertler de les garder, ce qui fait un manque à gagner de plus de 600 millions de dollars à l’avenir.
Malgré les pertes déjà causées, malgré ses pratiques reconnues comme prédatrices, malgré les énormes soupçons de corruption dont le groupe Gertler est entaché, le gouvernement congolais semble avoir décidé de blanchir Dan Gertler, d’’accepter que le Congo perde encore 1.7 milliards de dollars.
Notre combat demeure donc entier, car une fois de plus le gouvernement fait le choix de l’impunité et non de la justice. Conclure un accord secret avec un prédateur n’est pas ce que l’on peut qualifier de « mauvais accord plutôt qu’un bon procès ». C’est de la compromission. Sans la publication de ce protocole d’accord, ce compromis va rejoindre le rang de tous les accords que Dan Gertler a conclu avec l’ancien régime. Le peuple congolais ne sera pas éternellement dupe et le temps est notre meilleur allié. Les journalistes continueront à poser des questions pour découvrir la vérité. La société civile continuera à exiger de son gouvernement la totale transparence et la vraie défense des intérêts du peuple.
Ce protocole d’accord doit être publié et nous demandons à l’Assemblée Nationale de faire son travail et de convoquer la ministre de la Justice pour qu’elle s’explique. Le CNPAV se réserve le droit de saisir la justice pour faire respecter l’article 7 du Code minier. Il n’est pas trop tard pour le gouvernement de bien faire, mais il est temps.
Communiqué du CNPAV