L’équipe désignée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour mener des enquêtes sur les accusations d’exploitation et d’abus sexuels lors de la dixième épidémie d’Ebola au Nord-Kivu et en Ituri a publié ses résultats ce 28 septembre.
En tout, cinq missions de terrain ont été effectués par l’équipe dans l'Est de la RDC. Il s’agit notamment d’une mission à Goma, trois à Beni et une autre à Bunia, au cours desquelles plusieurs entretiens ont été menés, y compris des entretiens à distance lorsque les circonstances l’exigeaient.
« Au total 210 entretiens ont été menés, y compris l’audition de 75 victimes présumées, de 23 employés de l’OMS dont 15 exerçant diverses responsabilités liées à la PEAS (Prévention contre l’Exploitation et les Abus sexuels ndlr) pendant la riposte, 32 employés des agences des Nations Unies, 23 agents d’organisations humanitaires internationales, 34 agents d’organisations non gouvernementales locales et de 23 autres personnes disposant d’informations pertinentes. Les enquêteurs de la Commission indépendante ont eu des entretiens notamment avec plusieurs responsables de premier plan de l’OMS, y compris le Directeur général et bien d’autres responsables encore en service au sein de l’organisation ou l’ayant quitté », peut-on lire dans le rapport .
Au cours de ses investigations, l'équipe d'examen a pu établir que les victimes présumées se voyaient promettre des emplois en échange de relations ou étaient exploitées sexuellement pour conserver un emploi au sein de la riposte. C’est par exemple le cas de « Nadira », citée dans le rapport, qui a travaillé à Beni au sein de la commission de surveillance en tant qu'archiviste puis avec la commission logistique. Elle a déclaré aux enquêteurs « je n'ai remarqué que « piquer » signifiait avoir des relations sexuelles qu'en février 2019, lorsque j'ai voulu me plaindre de mon salaire qui n'était pas payé. [...] Pour progresser dans le travail, il fallait avoir des relations sexuelles [...] Tout le monde avait des relations sexuelles en échange de quelque chose. C'était très courant. On m'a même proposé d'avoir des rapports sexuels si je voulais obtenir une bassine d'eau pour me laver dans le camp de base où nous étions hébergés pendant la riposte. »
Cependant, la grande majorité des victimes présumées que l’équipe d’examen a rencontrées n’ont pas obtenu les emplois promis en dépit d’avoir consenti aux relations sexuelles. Bon nombre des allégations analysées par l’équipe d’examen concernent des femmes et des filles qui sont tombées enceintes à la suite de l’EAS dont elles ont été victimes (29 cas), la majorité (22 cas) ayant mené leur grossesse à terme.
L'équipe a ainsi pu obtenir l’identité de 83 auteurs présumés. Dans 21 cas, elle a pu établir avec certitude que les auteurs présumés étaient des employés de l’OMS lors de la riposte. Cela a notamment pu être vérifié grâce aux dossiers des ressources humaines, aux organigrammes et à des courriels. Parmi les auteurs présumés se trouvent des ressortissants congolais tout comme des étrangers. La majorité des auteurs présumés se recrutaient parmi le personnel congolais embauchés à titre temporaire et profitaient de leur autorité apparente pour obtenir des faveurs sexuelles.
Aux termes de son analyse, la Commission indépendante a tiré deux importantes conclusions. A savoir, « des défaillances structurelles évidentes et une certaine impréparation à la gestion des risques d’incidents d’exploitation et d’abus sexuels, mais aussi des négligences individuelles pouvant s’apparenter à des fautes professionnelles ».
En termes des recommandations, la commission suggère à l’OMS la mise en œuvre des politiques et procédures renforcées et efficaces en matière de prévention et de lutte contre l’exploitation et les abus sexuels, de faciliter l’accès des victimes présumées à l’assistance et du droit à réparation, de déclencher sans beaucoup attendre, un système d’enquête en matière de prévention et de lutte contre l’exploitation et les abus sexuels mais aussi de prendre les dispositions pour réaliser les tests ADN fiables en coordination avec le BSCI du Secrétariat pour les cas où les victimes présumées sont tombées enceintes et où les auteurs présumés identifiés et communiquer les résultats de ces tests aux victimes présumées pour faire valoir tous leurs droits et ceux de leurs enfants. Ces tests d’ADN devront être étendus aux enfants également
Pour rappel, l’équipe d’examen, engagée le 1er avril 2021 par la Commission indépendante, est composée d'experts spécialisés en enquêtes sur les allégations d'exploitation et d'abus sexuels et des violences basées sur le genre, en protection des victimes et des témoins, en conseil psychosocial et en de gestion des bases de données.
La Commission est Co-présidée par Aïchatou Mindaoudou, ancienne Ministre des affaires étrangères et du développement social du Niger, qui a occupé des postes de direction des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Darfour. Elle est accompagnée de la coprésidente Julienne Lusenge de la République Démocratique du Congo, militante des droits de l'homme et défenseure des survivants des violences sexuelles dans les conflits.
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Prisca Lokale